Molière, Le Malade imaginaire : dissertation

Énoncé

Sujet : La comédie n'est-elle qu'un divertissement ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur Le Malade imaginaire de Molière ainsi que sur des lectures personnelles.

Corrigé

Introduction
La comédie a souvent été considérée comme un spectacle léger : le but qu'elle affiche, faire rire le spectateur, l'a souvent reléguée au rang de simple distraction sans conséquence. Certes, la comédie fait rire à gorge déployée à partir de petits riens, de situations futiles, mais cela signifie-t-il pour autant qu'il ne faille pas la prendre au sérieux ? Nombre d'auteurs comiques ont revendiqué haut et fort le simple droit d'amuser par tous les moyens leur public. Néanmoins, le rire provoqué par la comédie est souvent un rire « aux dépens de » : un personnage, une situation suscitent la moquerie du spectateur, mettant ainsi en évidence un défaut, un ridicule. Cette capacité à faire rire que détient la comédie s'avère alors libératrice.
La liberté d'amuser par tous les moyens
Des plaisanteries prosaïques
« Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n'a pas suivi un bon chemin », dit Dorante dans la scène 6 de La Critique de l'École des femmes de Molière : assurément, le but de la comédie est l'amusement du public. Pour ce faire, elle n'hésite pas à recourir au comique décrié, mais toujours efficace du « bas corporel ». Le Malade imaginaire lui consacre une place non négligeable en mentionnant les maux d'Argan et les ordonnances des médecins. Ce comique culmine lorsque Monsieur Purgon se met à maudire Argan à grand renfort de maladies digestives : de la « bradypepsie » à la « dyspepsie », de la « dyspepsie » à l'« apepsie », de l'« apepsie » à la « lienterie », etc. (III, 5).
Les fastes de la comédie : séduire et fasciner
Mais le divertissement que propose la comédie se traduit aussi par un art de séduire et fasciner le spectateur, comme c'est le cas avec la comédie-ballet qui ne ménage pas ses effets en mêlant théâtre, danse et musique. Dans Le Malade imaginaire, le prologue et les trois intermèdes mettent en scène des univers très différents, de la pastorale au carnaval en passant par la commedia dell'arte et l'orientalisme. Outre l'animation produite par la musique et la danse, on imagine assez bien le faste des costumes, des maquillages, des lumières tel qu'a pu essayer de les reproduire Jean-Marie Villégier dans sa mise en scène au théâtre du Châtelet en mars 1990. La comédie s'affirme comme un divertissement préoccupé seulement de plaire et d'amuser. Pourtant le rire qu'elle provoque n'est pas aussi bénin qu'il le semble.
Faire rire pour mieux dénoncer les travers du monde
Des pièces engagées
Sous couvert de faire (innocemment) rire le spectateur, bien des comédies pourraient être qualifiées de pièces engagées, car elles dénoncent, en les tournant en dérision, les injustices sociopolitiques de leur temps. Les pièces de Molière en sont bien sûr un exemple : si dans Le Malade imaginaire il s'attaque au pouvoir excessif des médecins, dans Tarfuffe, l'une de ses pièces les plus polémiques, il s'en prend à l'influence abusive des faux dévots. Un siècle plus tard, la comédie prend une teinte explicitement politique avec Le Mariage de Figaro de Beaumarchais. Dans son célèbre monologue, Figaro met à mal la société des trois ordres et des privilèges en invectivant le comte en son absence : « Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! … noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus […] » (V, 3).
Une école de sagesse
La comédie, en exagérant les manies d'un individu au point d'en faire un « type », se révèle aussi être une école de sagesse. S'ouvrant au plus fort de la crise monomaniaque d'un personnage qui tyrannise son entourage, elle mène peu à peu à sa défaite en ridiculisant au fur et à mesure toutes ses obsessions. C'est le cas dans L'École des femmes de Molière, où Arnolphe incarne le stéréotype de l'homme qui craint d'être cocu au point d'élever une jeune fille dans le secret et l'ignorance de tout pour en faire une épouse docile. Dans Le Malade imaginaire, la scène d'ouverture lors de laquelle Argan fait ses comptes et énumère à n'en plus finir tout ce qu'il a payé aux médecins, donne une juste idée de sa folie, dont les autres personnages tentent de le guérir en lui faisant prendre conscience de l'excès dans lequel il est tombé. Le rire provoqué par la comédie est moins anodin qu'il ne le semble à première vue : le spectateur rit de personnages ou de situations qui lui apparaissent tout à coup risibles, car il en perçoit, par un effet de grossissement comique, tout le ridicule. C'est que le divertissement occasionné par la comédie permet, en lui faisant prendre de la distance, de libérer le spectateur.
Un rire libérateur : divertir ou l'art de détourner des pensées sombres
Le rire comme remède
Certes, la comédie est un divertissement, mais un divertissement au sens fort du terme puisque celui-ci vient du latin divertere qui signifie « détourner ». La comédie est ainsi ce qui permet de se détourner de ses ennuis, comme l'explique Françoise à Irénée dans Le Schpountz de Pagnol : « Quand on fait rire sur la scène ou sur l'écran, on ne s'abaisse pas, bien au contraire. Faire rire ceux qui rentrent des champs, avec leurs grandes mains tellement dures qu'ils ne peuvent plus les fermer ; […] Ceux qui reviennent de l'usine, la tête basse, les ongles cassés, avec de l'huile noire dans les coupures de leurs doigts… » De fait, le divertissement apporté par la comédie est un remède qui vaut bien « une ordonnance » comme le déclare Béralde à Argan dans Le Malade imaginaire (II, 9).
Philosophie du rire : dépasser la crainte de la mort
Le divertissement comique permet aussi de dépasser certaines de ses peurs et, parmi elles, la plus répandue, celle de la mort. C'est bien cette peur qui hante Argan : les multiples maladies qu'il s'invente n'en sont que l'expression. C'est une facétie imaginée par sa servante qui lui offre l'occasion d'apprivoiser sa crainte : Toinette, pour éprouver la véracité des sentiments de Béline puis d'Angélique à son égard, lui propose de faire semblant d'être mort. Si Argan s'inquiète la première fois (« N'y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort ? », III, 11), il obtempère sans objection la seconde fois. Jouer au mort (et faire naître de belles frayeurs chez ses victimes en mettant fin à la plaisanterie !) lui permet de mettre la mort à distance et, ainsi, de surmonter sa phobie.
Conclusion
La comédie assume pleinement son caractère de divertissement en se donnant comme dessein premier de faire rire son public par tous les moyens et, comme mission, de parvenir à le détourner de ses idées noires : si le rire s'élève à partir de petits riens, par la dimension d'exutoire qu'il possède, il hisse celui qui le laisse s'échapper au-dessus des évènements et le réconcilie avec sa finitude.