Sarraute, Pour un oui ou pour un non : dissertation, sujet de métropole, juin 2025
Énoncé
Énoncé, sujet C
Un critique remarque que, dans Pour un oui ou pour un non, « le dialogue est toujours, en fin de compte, un jeu dans lequel tous les coups sont permis. » Cette citation éclaire-t-elle votre lecture de la pièce ?Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en prenant appui sur Pour un oui ou pour un non, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé, et sur votre culture personnelle.
Corrigé
Introduction
Dans Notes et contre-notes , Ionesco évoque ainsi l'expérience théâtrale : « Il faut aller au théâtre comme on va à un match de football, de boxe, de tennis. Le match nous donne en effet l'idée la plus exacte de ce qu'est le théâtre à l'état pur : antagonismes en présence, oppositions dynamiques, heurts sans raison de volontés contraires. » C'est en des termes similaires qu'un critique parle de Pour un oui ou pour un non : « Le dialogue est toujours, en fin de compte, un jeu dans lequel tous les coups sont permis. », semblant ramener la pièce à sa dimension ludique. La dispute opposant les deux protagonistes, H. 1 et H. 2, repose, de l'aveu même de H. 2, sur « ce qui s'appelle rien » : ils s'affrontent pour s'affronter. La notion même de « coup » n'est pas étrangère au jeu, « coup de dés » ou « coup de poker », chacun des personnages tentant de prendre l'avantage sur l'autre, quitte à se retrouver à perdre la manche d'une partie.
Ici, nous venons de justifier l'intérêt du sujet par la définition du terme clé.
Cependant, ce terme contient également une connotation de violence réelle, tirant la pièce hors de la pure dimension ludique.
Présenter un paradoxe permet de nuancer la thèse et donc de justifier un développement.
Dès lors, peut-on réellement réduire l'affrontement des deux protagonistes à un simple jeu et à des coups « pour de rire » ?
Il faudra répondre à cette problématique, qui ne se présente pas forcément sous la forme d'une question, tout au long du devoir : chaque paragraphe doit ainsi apporter un élément de réponse clair à la question.
En effet, Pour un oui ou pour un non met en scène deux personnages fantoches, dont la dispute peut n'être qu'un « jeu », mais au fur et à mesure que ce jeu évolue, les coups révèlent toute la violence des tropismes et de l'affrontement humain.
L'annonce de plan présente un projet clair au correcteur et donc facilite sa lecture. Intégrer des mots-clés permettra d'éviter le hors-sujet.
Le plan développé
La pièce met en scène deux personnages fantoches, dont la dispute peut n'être qu'un « jeu » sans conséquence : partant d'un motif dérisoire, elle s'ouvre au registre comique et tourne la dispute au ridicule.
Quelques lignes d'introduction permettent d'annoncer avec clarté l'idée globale défendue dans une grande partie.
Le déclencheur de la dispute entre H. 1 et H. 2 semble ridicule et puéril : une simple phrase, « C'est bien… ça… », prononcée sur un certain ton,
La première phrase d'un paragraphe annonce l'idée qui va être défendue.
ce dont H. 1 se défend pourtant en refusant de prendre cette raison au sérieux : « Non mais vraiment, ce n'est pas une plaisanterie ? », mais H. 2 insiste : « Tu m'as soulevé par la peau du cou […] et tu m'as dit… en dansant, en disant : « C'est biiiien… ça… »
Les exemples peuvent prendre plusieurs formes : citation, évocation d'un extrait, résumé d'un passage…
Cette hypersensibilité de H. 2 s'apparente à un caprice d'enfant blessé et donne à la dispute un aspect ridicule, qu'il ne faut pas prendre au sérieux.
Il faut commenter les exemples en lien avec l'idée défendue, pour que le propos soit argumentatif et non simplement descriptif.
Cet aspect est renforcé par le motif de l'enfance qui traverse toute la pièce, à travers le vocabulaire par exemple : H. 2 évoque sa « pauvre maman », parle de H. 1 comme d'un « vrai copain », mais également par des références aux contes, H. 2 évoquant la « petite princesse » et la reine de « Blanche-Neige ». La pièce reprend d'ailleurs la structure de ce genre pour enfant, respectant un schéma quinaire allant de la situation initiale à la situation finale, s'ancrant ainsi davantage dans le monde léger et sans conséquence de l'enfance. On assiste ainsi à une pièce où la querelle se fonde sur un motif dérisoire, ce qui souligne une certaine dimension de jeu et d'absurdité, presque comique.
Ainsi, Sarraute joue avec les codes, fait des concessions aux procédés comiques traditionnels et emprunte des éléments aux comédies classiques. H. 2, intransigeant, rappelle Alceste dans Le Misanthrope de Molière, tandis que H. 1, plus modéré, incarne un Philinte ironique, ce qui tire la pièce de Sarraute vers le comique de caractère. On retrouve aussi des schémas issus de duos comiques, très à la mode au moment de l'écriture de la pièce : l'équilibre entre contraste et ressemblance entre H. 1 et H. 2 fait penser à Laurel et Hardy ou au duo de clowns traditionnel Pierrot et Auguste auquel la metteuse en scène Élisabeth Chailloux pense en affublant H. 1 et H. 2 de costumes clownesques. Le comique de caractère se double également d'un comique de mots omniprésent : le fameux « C'est biiiiien ça » répété sept fois dans la pièce devient un leitmotiv qui appuie le ridicule des personnages cherchant à la prononcer correctement. Les mots deviennent source de jeu, comme lorsque F. parodie la métaphore de la souricière employée par H. 2, et évoque en riant une « souricière d'occasion », ou encore dans les très nombreuses remarques ironiques de H. 1 qui peine à cacher son agacement face à ce qui paraît à ses yeux comme une broutille ridicule : « Qui s'étaient permis de dire “C'est bien… ça” avec un grrrand suspens ? » Enfin, le jeu repose aussi sur des renversements comiques : dans la logique de l'arroseur arrosé, H. 2 convoque F. et H. 3 en espérant qu'ils se rangeront à ses côtés, mais ceux-ci finissent par le déclarer coupable, et H. 1, d'abord en posture de défense, devient celui qui attaque. Pour un oui ou pour un non ne néglige ainsi pas les ressorts comiques qui peuvent apparenter la dispute à un « jeu » sans conséquence entre deux amis.
Ainsi, Sarraute joue avec les codes, fait des concessions aux procédés comiques traditionnels et emprunte des éléments aux comédies classiques. H. 2, intransigeant, rappelle Alceste dans Le Misanthrope de Molière, tandis que H. 1, plus modéré, incarne un Philinte ironique, ce qui tire la pièce de Sarraute vers le comique de caractère. On retrouve aussi des schémas issus de duos comiques, très à la mode au moment de l'écriture de la pièce : l'équilibre entre contraste et ressemblance entre H. 1 et H. 2 fait penser à Laurel et Hardy ou au duo de clowns traditionnel Pierrot et Auguste auquel la metteuse en scène Élisabeth Chailloux pense en affublant H. 1 et H. 2 de costumes clownesques. Le comique de caractère se double également d'un comique de mots omniprésent : le fameux « C'est biiiiien ça » répété sept fois dans la pièce devient un leitmotiv qui appuie le ridicule des personnages cherchant à la prononcer correctement. Les mots deviennent source de jeu, comme lorsque F. parodie la métaphore de la souricière employée par H. 2, et évoque en riant une « souricière d'occasion », ou encore dans les très nombreuses remarques ironiques de H. 1 qui peine à cacher son agacement face à ce qui paraît à ses yeux comme une broutille ridicule : « Qui s'étaient permis de dire “C'est bien… ça” avec un grrrand suspens ? » Enfin, le jeu repose aussi sur des renversements comiques : dans la logique de l'arroseur arrosé, H. 2 convoque F. et H. 3 en espérant qu'ils se rangeront à ses côtés, mais ceux-ci finissent par le déclarer coupable, et H. 1, d'abord en posture de défense, devient celui qui attaque. Pour un oui ou pour un non ne néglige ainsi pas les ressorts comiques qui peuvent apparenter la dispute à un « jeu » sans conséquence entre deux amis.
Penser à finir une grande partie sur une phrase de conclusion provisoire.
Ainsi, tout cela pourrait bien n'être « qu'un jeu ». La dispute, cependant, met en jeu des « coups » violents dans le langage et, derrière l'humour, ce sont deux camps adverses et irréconciliables qui sont mis en scène.
En effet, il apparaît bien vite que ce jeu dépasse la simple querelle « pour rien ». Si la structure de la pièce s'apparente à celle du conte, il n'y a pas de résolution du problème, et elle se ferme sur un dialogue brutalement minimaliste : « H. 2 : En effet. Oui. Ou non. / H. 1 : Oui. / H. 2 : Non ! »
Cette succession de monosyllabes exprime l'impasse : plus de terrain d'entente, aucun espoir de résolution, la dispute semble devoir durer éternellement, loin de la réconciliation attendue dans une comédie. Sous les apparences d'un échange ludique se cache ainsi une violence symbolique : H. 1 reproche à H. 2 sa jalousie face à sa réussite, tandis que H. 2 renvoie H. 1 à sa conformité bourgeoise étouffante : « et moi, vois-tu, quand je suis chez toi […]… je suis dans un édifice fermé de tous côtés, partout des compartiments, des cloisons… » Si aucun coup physique n'est porté, la violence de l'échange est rendue par la répartie, qui fait des répliques autant de coups portés à l'autre, chacun tentant d'humilier son adversaire : H. 1 du haut de son appartenance aux « gens normaux », H. 2 revendiquant sa sensibilité qui le met « ailleurs et au-dessus » (pour reprendre une expression du poète Saint-John Perse). De fait, H. 2 utilise pour parler de sa relation à H. 1 des métaphores militaires : « un combat sans merci », une « lutte à mort », et H. 1 n'hésite pas à tromper H. 2, feignant de prendre en compte sa sensibilité pour l'humilier plus cruellement encore : « tous les coups sont permis ». Dans la mise en scène de Jacques Doillon, les costumes appuient cette opposition : H. 1 en costume complet, H. 2 négligé, deux figures irréconciliables qui n'arrivent pas à se regarder dans les yeux et que les murs du décor séparent régulièrement.
De cette violence naît une réflexion sur le jeu théâtral, propice à exprimer la violence. Progressivement, Sarraute dévoile que ce « jeu » de langage est le lieu où s'exprime la violence invisible des tropismes, ces élans intérieurs inconscients qui gouvernent nos rapports. Si H. 2 peut paraitre pleinement ridicule au début, la pièce nous mène au fur et à mesure à la compréhension du principe du tropisme, que Nathalie Sarraute qualifie de « drames minuscules ». H. 1 lui-même s'ouvre à ses propres tropismes, décelant la violence condescendante du langage de H. 2, qui procède par métaphores et références (à Grimm, à Verlaine) comme s'il asseyait une domination intellectuelle, et non matérielle. Il finit par s'interroger lui aussi sur les sous-entendus qui traversent leurs dialogues, et découvre à son tour la portée blessante des non-dits : alors qu'il ridiculisait les métaphores de son ami, il finit par s'en emparer en évoquant à son tour les « taupes » et les « souricières ». C'est paradoxalement le seul point de contact entre les deux personnages : la compréhension de ces tropismes qui les distingue des « gens normaux », mais qui est aussi la raison pour laquelle ils ne pourront se réconcilier : « H. 1 : Oui, aucun doute possible, aucune hésitation : déboutés tous les deux. »
Pour montrer une bonne connaissance de l'œuvre, il est bon de convoquer des passages variés, et ne pas en rester aux seuls extraits étudiés en classe.
Le spectateur lui-même est ainsi amené à potentiellement faire le même trajet que H. 1 : le « jeu » de Sarraute consiste à faire ressentir un inconfort devant la pièce, et nous mener à une compréhension progressive des tropismes : si le spectateur pouvait potentiellement choisir un camp (de façon simpliste) au début, il se retrouve finalement désarmé devant la pièce.
Conclusion
En définitive, la citation selon laquelle « le dialogue est toujours, en fin de compte, un jeu dans lequel tous les coups sont permis » éclaire avec justesse Pour un oui ou pour un non. Le dialogue, en apparence frivole ou comique,
Résumé de la première partie
devient le lieu d'un affrontement verbal, d'un règlement de comptes existentiel et linguistique.
Résumé de la seconde partie
Sarraute fait de cette querelle une métaphore du langage et de ses violences invisibles, soulignant à quel point le théâtre, même à partir d'un rien, peut révéler ces « mouvements subtils, à peine perceptibles, fugitifs, contradictoires, évanescents, de faibles tremblements […] dont le jeu incessant constitue la trame invisible de tous les rapports humains, et la substance même de notre vie », ainsi qu'elle définit les tropismes.