Molière, Le Malade imaginaire

Le Malade imaginaire est la dernière pièce de Molière, créée le 10 février 1673 au théâtre du Palais-Royal : Molière, qui joue le rôle d'Argan, meurt après la 4e représentation. On retrouve dans cette pièce tout ce qui caractérise son théâtre, depuis les emprunts formels à d'autres arts du spectacle jusqu'aux attaques en règle contre les mariages arrangés et les médecins, en passant par l'affirmation de deux préceptes directifs : la volonté de plaire et la liberté de critiquer.
Avec cette comédie-ballet, Molière offre un spectacle total : il s'entoure du chorégraphe Beauchamp et du jeune compositeur Marc-Antoine Charpentier, avec lesquels il a déjà travaillé. Danse et musique s'entremêlent ainsi à la comédie : un Prologue ouvre la pièce et chacun des trois actes est suivi d'un intermède chanté et dansé. Ces scènes de ballet empruntent à des univers littéraires connus du public comme le monde de la pastorale, la commedia dell'arte et la farce, la mode de l'Orientalisme et la tradition du carnaval. Car Molière écrit cette pièce à l'occasion du carnaval, c'est-à-dire pour un moment de joie et d'exubérance.
Néanmoins, si faire rire pour Molière, c'est amuser les spectateurs, c'est aussi tenter de les amener à corriger leurs défauts. Sa critique habituelle des mariages d'intérêt redouble d'intensité dans cette pièce, où deux mariages servent de cibles, et elle culmine à la scène 12 de l'acte III, lorsqu'Argan, contrefaisant le mort, découvre que Béline, loin de le pleurer, ne songe qu'à s'emparer de son argent. L'autre point de mire de cette comédie, ce sont bien sûr les excès des médecins. Molière en croque tous les défauts, depuis le pédantisme de Thomas Diafoirus jusqu'à l'ignorance crasse et dangereuse du médecin joué par Toinette, en passant par l'autoritarisme despotique de Monsieur Purgon. Le dernier intermède offre une savoureuse parodie, où des comédiens jouent des médecins et imitent leur parlure faussement savante.
Cet extraordinaire talent de Molière pour la critique lui a, sans surprise, attiré de violentes oppositions. Mais celles-ci l'ont conduit à développer un art de contourner la censure dont il semble offrir ici une démonstration. À la scène 5 de l'acte II, Cléante, qui souhaite parler à Angélique malgré la surveillance d'Argan, s'est déguisé en maître de musique et a l'idée de chanter avec elle « un petit opéra qu'on a fait depuis peu ». Il s'agit en réalité d'une invention personnelle à travers laquelle Cléante peut déclarer son amour à Angélique. Molière va encore plus loin dans la scène 3 de l'acte III : par un autre effet de mise en abyme, Béralde conseille à Argan d'aller voir les comédies de Molière. C'est l'occasion pour Molière, en tant qu'auteur, de répondre à ses détracteurs en expliquant l'objet exact de ses railleries. Et c'est aussi l'occasion pour Molière, en tant que comédien jouant Argan, c'est-à-dire un personnage représentant ses adversaires, de ridiculiser ces mêmes adversaires.
Ainsi Molière réconcilie-t-il les divers sens de « jouer » et « se jouer de », à savoir : « s'amuser, interpréter un rôle, se moquer. »
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