Le Cahier de Douai est un ensemble de 22 poèmes rédigés en 1870 par Arthur Rimbaud : un adolescent qui n'avait même pas seize ans. Il cessera d'écrire après 1875 : en seulement cinq ans d'écriture, il a considérablement marqué la poésie française.
Pourquoi peut-on trouver ces poèmes publiés aussi bien sous le titre de Cahier de Douai au singulier qu’au pluriel ?
Ils ont été rédigés sur deux types de feuilles différents : du papier écolier et du papier à lettres plus petit. La critique littéraire se divise d’ailleurs sur le fait de considérer ces poèmes comme un « recueil » à cause de l'absence de construction d'ensemble. On ne trouve pas d'unité thématique, bien que certaines veines soient repérables comme la satire et l'expression des sentiments amoureux. Il n'y a pas non plus d'unité formelle. Il faut donc percevoir ces poèmes comme écrits au jour le jour et inspirés à Rimbaud par la découverte qu'il fait du monde. Ils sont fortement liés aux évènements historiques comme aux évènements personnels de la vie de Rimbaud. Il y fait ainsi référence à Mazas, la prison où, ayant fugué, il fut incarcéré quelques jours pour avoir voyagé sans billet de train. Le lecteur le suit ainsi à travers ses pérégrinations, de fugues en retours, de retours en fugues.
Rimbaud a en effet une passion de la vie et de la liberté. Comment s’exprime-t-elle dans ses poèmes ?
D’abord, il ne s'interdit aucun sujet, et surtout pas ceux jugés non poétiques, s'inscrivant en cela dans le sillage tracé par Baudelaire. Par exemple, dans la « Vénus anadyomène », il dresse le portrait grotesque et terrible d'un corps de femme abîmé par la vie, parée seulement d'un « ulcère à l'anus ».
Sur le plan socio-politique, certains poèmes dénoncent toutes les formes d'asservissement comme « À la musique ». D’autres font l'éloge de la liberté comme « Morts de Quatre-vingt-douze... ». La dénonciation de l'hypocrisie cléricale éclate dans « Le Châtiment de Tartufe ». Mais l'amour de Rimbaud pour la liberté se dit aussi de façon plus intime et personnelle dans des poèmes comme « Sensation » ou « Ma bohème », qui chantent la rêverie, le vagabondage du cœur, de l'esprit et des pieds.
Avec cette soif de liberté et d’absolu, le poète n’est-il pas déçu face à la médiocrité du réel ?
En effet, et le poème qui ouvre le recueil, conçu comme un dialogue, l'annonce immédiatement. Le rêve de fugue amoureuse, pleine de tendresse et d'humour, est brisé net par la réplique de Nina : « Elle – Et mon bureau ? ». Une chute brutale se donne aussi à lire dans « Le Dormeur du val » : comment mieux exprimer l'absurdité de la guerre que par ce contraste entre la beauté de la nature et l'horreur de la mort du soldat ?
Le poète rêve alors d'un passé plus authentique, et célèbre le culte du soleil et des dieux gréco-romains. Mais la « blanche Ophélia » glisse discrètement dans ce recueil, broyée, noyée pour avoir rêvé l'impossible : « Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle ! ».