La Bruyère, Les Caractères (livres V à X)

Jusqu'en 1696, La Bruyère n'a cessé de parfaire ses Caractères. Ces portraits s'inscrivent dans la veine des réflexions brèves et variées, popularisée par les Maximes de La Rochefoucauld (1665) ou les Pensées de Pascal (1670). Les livres V à X, au cœur des seize livres constituant l'ouvrage, relèvent à la fois du projet moraliste et de la littérature.
Inspirés par Théophraste, Les Caractères sont une galerie de portraits qui croquent :
  • des « types » tel « l'épouseur » (livre VII, remarque 14) ;
  • des personnages précis, comme celui d'un auteur à la mode (livre V, remarque 66) ;
  • et plus largement, la société du XVIIe siècle, entre « grands » et petites gens, et entre ville, cour et campagne.
Sont ainsi présentées :
  • les coutumes,
  • les mutations (comme le remplacement des nobles par des bourgeois fortunés),
  • et les hypocrisies sociales, petites ou grandes.
Ces évocations ont pour but d'instruire et de corriger les lecteurs. La préface l'annonce explicitement : « On ne doit parler, on ne doit écrire que pour l'instruction. » Aussi l'auteur décrypte-t-il les coulisses du theatrum mundi (le théâtre du monde). Il cible la vanité des uns et la duplicité des autres - à l'instar de Théodote, comédien-né évoqué dans la remarque 61 du livre VIII. Il utilise le « je » pour partager son expérience, éclairant les observations générales par un cas particulier. La première personne du singulier côtoie le « on », le « il » et le « vous ». Cette pluralité de pronoms est déployée par La Bruyère pour montrer au lecteur ce qui se joue autour de lui et en lui, afin de l'inciter à se corriger.
On le voit, Les Caractères sont davantage qu'une galerie de portraits et qu'un traité de morale : il s'agit d'une œuvre littéraire marqué par la variété. L'auteur manie tant la brièveté de la « pointe » que les récits plus longs, comme s'il conversait avec son lecteur. Rien d'étonnant : selon lui, « l'on dit les choses encore plus finement qu'on ne peut les écrire ». Par conséquent, La Bruyère sculpte sa langue dans une oralité apparente. Dans Les Caractères, le langage est à la fois matériau (c'est lui qui constitue le livre) et matière (c'est un sujet souvent traité).
En conclusion, Les Caractères réussissent la fusion entre :
  • description plaisante du monde,
  • décryptage des rouages sociaux et de nos propres modes de fonctionnement,
  • et réflexion sur l'importance du langage.