Balzac, La Peau de Chagrin

La parution en 1831 de La Peau de chagrin dans la Comédie humaine marque le début de la célébrité de Balzac. Le roman est une sorte de somme littéraire, politique, sociale et philosophique dans laquelle l'auteur livre une vision grimaçante de la société de son temps.
Le roman semble à la croisée des genres, lesquels ?
D'abord, il présente une allure de conte oriental. La peau de chagrin serait d'« onagre », c'est-à-dire d'âne sauvage d'Iran, avec des paroles inscrites en sanscrit. Le pouvoir de la peau, qui se rétrécit au fur et à mesure qu'elle accomplit les vœux, donne bien sûr au roman un aspect merveilleux. Les possibles interprétations rationnelles tendent cependant à installer l'histoire dans une tonalité fantastique.
Le roman a aussi des airs d'autobiographie fictive, lorsque Raphaël se lance dans le récit de sa vie. Enfin, il s'inspire des récits romantiques et gothiques anglais et irlandais.
Malgré cette atmosphère irrationnelle, Balzac ne cherche-t-il pas à montrer et à critiquer la société de son temps ?
Plusieurs personnages incarnent en effet des types de la société. Émile Blondet personnifie le type du journaliste désinvolte et ambitieux. Fœdora représente les femmes vaniteuses et narcissiques qui hantent la bonne société parisienne.
Au-delà de la critique sociale, le roman témoigne aussi d'une désillusion envers la politique et la science.
L'instabilité politique est figurée par les aléas de la trajectoire du père de Raphaël : il est établi au cœur du pouvoir sous la monarchie, puis renversé par la Révolution, relevé par l'Empire et à nouveau renversé par la Restauration. L'auteur met en scène le règne de l'argent, qui pousse les uns et les autres à se prostituer, au sens propre comme au figuré.
La désillusion politique se double d'une déception épistémique, c'est-à-dire relative à la connaissance. Lorsque Raphaël se met à rechercher une solution scientifique au rétrécissement de la peau, les savants qu'ils consultent se révèlent impuissants et sont tournés en ridicule.
L'auteur montre donc la faillite de la politique et de la connaissance. Mais qu'en est-il de la question du désir, de la volonté, représentée par la peau ?
Raphaël est l'auteur d'une « Théorie de la volonté ». Or, la magie de la peau dont il devient le possesseur le confronte bien cruellement à la question de la volonté et du désir. Désirer le tue, puisque la peau rétrécit et lui enlève de la vie à chacun de ses désirs. Mais ne pas vouloir le tue tout autant, le plongeant dans un terrible état végétatif. Le roman semble ainsi s'achever sur le regret de n'avoir pas su vouloir : « Raphaël avait pu tout faire, il n'avait rien fait »