Mes forêts, paru en 2021, est à ce jour le dernier recueil poétique publié par Hélène Dorion. Dans cette œuvre, la poétesse nous entraîne à travers les paysages de son enfance, ceux parmi lesquels elle continue de vivre et qui l'inspirent.
Quelle est la fonction des forêts dans les textes d'Hélène Dorion ?
Si la poétesse est en accord profond avec les forêts, il ne faudrait pas les considérer comme des paysages état-d'âme, de simples reflets de son intériorité. Au contraire, c'est la forêt qui permet à la poétesse de lire en elle-même, comme elle l'écrit dès le premier poème du recueil, « L'horizon » :
les forêts
apprennent à vivre
avec soi-même

C'est d'une lecture attentive des signes émis par les forêts que procède la mise au jour de ses propres sentiments. C'est sans doute pourquoi elle puise dans le vocabulaire de la nature pour les exprimer, comme dans les rares poèmes d'amour clairsemés dans le recueil. Plusieurs fois, une métaphore végétale vient traduire ce qu'elle éprouve.
Parce qu'elle observe la nature et ses signes, Hélène Dorion met donc la vue au centre de son recueil ?
Cette observation se réalise certes au moyen du regard, mais également de l'ouïe. La métaphore musicale, présente dès les premiers poèmes, parcourt l'ensemble du recueil. Les forêts possèdent des voix, elles émettent « un chant » dont la poétesse capte les variations de poème en poème, attentive aux « cordes de l'univers », aux branches qui « s'inclinent comme des archets », au « chant des racines ».
La poésie d'Hélène Dorion emprunte également sa forme à la musique. Elle manie l'art de l'imitation et de la variation, comme dans une fugue. Cinq poèmes commencent par « Mes forêts sont » et structurent le recueil. Ils alternent avec quatre sections apparaissant comme autant de variations sur le thème des forêts. Les cinq poèmes consacrés aux forêts en déclinent chacun un aspect, comme autant d'imitations à partir du même sujet.
L'écriture fuguée se retrouve aussi à l'intérieur des poèmes, grâce à la récurrence de l'utilisation de l'anaphore.
Cette observation de la nature est-elle le signe d'un détachement par rapport aux grands enjeux du monde contemporain ?
Il ne faudrait pas imaginer les forêts d'Hélène Dorion recluses et closes sur elles-mêmes. Tout au contraire, elles sont ouvertes sur le monde moderne, elles en portent les stigmates et en dénoncent les dérives. Au cœur des mots de la nature s'immisce un vocabulaire contemporain, fait de sigles et d'acronymes comme « arn », « ram », « zip », « sdf », « vip ». Des noms de réseaux sociaux sont compilés en un seul « facebookinstagramtwitter », qui vient percuter le temps lent et continu des forêts par sa frénésie et ses heurts. Le recueil donne l'impression de se trouver à un moment fatidique, celui d'une bascule d'un côté ou de l'autre. Au milieu de cette incertitude vibre un avertissement clair : « on ne pourra pas toujours/ tout refaire ».