Marivaux, Les Fausses Confidences

Créée à la Comédie-Italienne à Paris le 16 mars 1737, Les Fausses Confidences est la dernière comédie en trois actes de Marivaux, alors âgé de 49 ans et auteur reconnu. Le succès n'est pas immédiatement au rendez-vous : il faut attendre sa reprise au Théâtre-Français après la Révolution Française pour que cette pièce devienne l'une des œuvres de Marivaux les plus appréciées. Cela peut s'expliquer par le fait que loin de se réduire à un simple badinage ou « marivaudage », cette comédie reflète l'évolution de la société française.
On retrouve dans Les Fausses Confidences les formes traditionnelles du comique comme le comique de mots ou le comique de situation. De même, on retrouve trace de l'influence de la commedia dell'arte, notamment par le biais du personnage d'Arlequin, stéréotype du valet balourd et rustaud, intéressé uniquement par la nourriture et la boisson, et dont les bévues donnent lieu à des saynètes comiques. L'autre personnage de valet de cette comédie, Dubois, s'oppose en tous points à Arlequin et rappelle les personnages de serviteurs rusés des comédies de Plaute. Si Arlequin ralentit le cours de l'action, Dubois le dirige comme il le décrète dès la scène 2 de l'acte I, en jurant à Dorante qu'il épousera Araminte : « vous réussirez, vous dis-je. Je m'en charge, je le veux, je l'ai mis là ».
Avec cette comédie en apparence anodine, Marivaux saisit sur le vif les indices d'une profonde évolution de la société qui mènera à la Révolution française. Les rôles sociaux sont en train de changer, comme l'indique l'héroïne de la pièce, Araminte. Sa situation reflète en effet la difficulté du sort des femmes sous l'Ancien régime et les premières manifestations de leur désir d'émancipation. Le caractère d'Araminte s'affirme en même temps que son amour pour Dorante grandit. De son refus de le renvoyer à l'annonce de leur mariage, Araminte entre en résistance, dénonçant à voix haute dans la scène 9 de l'acte III les manœuvres dont elle fait l'objet. Comme elle, Dubois affermit sa liberté d'action : quoique valet, il s'impose comme le personnage-maître de cette pièce, dépassant de loin sa condition et surpassant même parfois son maître, Dorante, au point de lui donner des ordres comme à la scène 17 de l'acte II.
Si Dubois domine toutes les situations, c'est qu'il détient une parfaite maîtrise du langage, à la différence des autres personnages : Arlequin prend les mots au pied de la lettre, Marton parle trop et ne comprend qu'à demi, Madame Argante se laisse aller à l'injure et le comte emploie une parlure trop policée qui s'avère désuète. Dubois, en fin connaisseur du langage, peut distiller à l'oreille d'Araminte des paroles qui éveillent en elle de l'amour pour Dorante. Consciente du danger présenté par ces paroles, Araminte tente d'y résister. Elle apprend même à manier le langage à son avantage, jusqu'à « tendre un piège » à Dorante à la scène 12 de l'acte II. Mais Dorante, s'il ne doit rien révéler de sa passion, se révèle lui-même très adroit avec les mots. Le rapport qu'entretiennent les personnages avec le langage est ainsi un révélateur de l'influence qu'ils exercent au sein de leur micro-société.
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