Baudelaire, Les Fleurs du mal

Accusé d'« outrage à la morale publique », Flaubert est acquitté en février 1857. Six mois plus tard, Baudelaire est condamné pour le même motif à cause de sa quête d'une étonnante forme de beauté associant défi poétique, sublimation des tensions et exaltation des métamorphoses.
Les Fleurs du mal sont avant tout un défi poétique. Indifférent aux sujets anodins ou mignons, Baudelaire est fasciné par « le fond des abîmes » : ceux de l'homme ne sont pas moins profonds que ceux des océans, dit-il dans « L'homme et la mer ». Le lecteur, souvent interpelé, se retrouve ainsi confronté au paradoxe baudelairien annoncé dès le titre : comment rendre poétiques la mort, les charognes, ou une supplique à Satan ? Le défi poétique méprise toute limite, faisant fleurir les vers sur la subversion religieuse, l'homosexualité et la finitude humaine. La justice lui en tiendra grief !
Le livre est en effet parcouru de tensions. Le premier type de tensions est externe et concerne le lien entre le poète et la société. Dans ce « siècle vaurien », l'écrivain dénonce les mutations parisiennes, les défauts de ses semblables et l'incompatibilité entre la société et l'artiste, cet albatros « exilé sur le sol au milieu des nuées ». Le second type de tensions est interne et synthétisé par le spleen, « cet ennemi qui nous ronge le cœur » quand on constate l'inaccessibilité de l'idéal. Le poète devient alors un heautontimoroumenos, c'est-à-dire le bourreau de lui-même. Le paradoxe baudelairien consiste ici à faire surgir le beau de la douleur car c'est « dans le coin le plus sombre de son cœur » que l
Aux abîmes insondables et aux tensions infinies, Les Fleurs du mal opposent l'art des métamorphoses. Baudelaire est fasciné par l'alchimie, mais le poète ne transforme pas le plomb mais la boue en or. Aussi est-il proche du soleil, car l'un comme l'autre « ennoblit le sort des choses les plus viles ». Par son regard, « jaillit toute vive une âme qui revient ». En ce sens, il plonge dans l'obscurité pour en tirer la lumière et l'harmonie des correspondances, quand « les parfums, les couleurs et les sons se répondent ».
Entre antithèses et synesthésies, l'art baudelairien est un concentré bouillonnant d'émotions paradoxales qui, après avoir secoué ses contemporains, continue de bouleverser ses lecteurs.