Texte de Louis Aragon, analyse de l'image (sujet zéro, 2017)

Énoncé

Texte
Chagall XI(1)
« Le ciel est un pays de chèvres
C'est dommage pour les poissons
Les amoureux est-ce qu'ils sont
À ça près
 


Pourquoi les pieds touchent-ils terre
Quand ils peuvent faire autrement
Et ma tête à l'envers Maman
Ma tête
 


L'homme danse et non les oiseaux
Il est l'inventeur du trapèze
Les chevaux ont appris de lui l'art
Des bouquets
 


La vie est longue comme un air
De violon
Qui peint la nuit a deux visages
L'autre d'aimer l'un pour dormir
 


Tout est joli comme une lampe
C'est la guimpe(2) de la lumière
Les objets s'y font acrobates
Les gens légers
 


Chagall la couleur est ton peuple
Donne-lui des jeux et du pain(3)
Dieu qu'il fait beau quand l'ombre est rouge
Et bleu l'amour
   »
Aragon, « Chagall XI », Celui qui dit les choses sans rien dire, 1976.

Image
Sujet zéro du ministère, décembre 2017 - illustration 1
Marc Chagall, Les Mariés de la tour Eiffel, 1938-1939, huile sur toile, musée national d'Art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris. © Adagp, Paris, 2018. Retrouvez cette image en couleur sur eduscol.education.fr.
Image
Sujet zéro du ministère, décembre 2017 - illustration 2
Marc Chagall, Couple dans le paysage bleu, 1969-1971, collection privée. © Adagp, Paris, 2018. Retrouvez cette image en couleur sur eduscol.education.fr.
Travail sur le texte littéraire et sur l'image
Les réponses aux questions doivent être entièrement rédigées.
Compréhension et compétences d'interprétation
Ce texte littéraire est un poème. Mobilisez les savoirs et les outils d'analyse spécifiques de ce genre : versification, mise en strophes, syntaxe particulière, rythme, figures de style (comparaison, métaphore, personnification, assonance et allitération, etc.). Le titre est le nom du peintre Chagall, dont deux tableaux accompagnent le poème d'Aragon : poésie et peinture seront donc à rapprocher, comparer, différencier…
1. « Le ciel est un pays de chèvres » :
a) Quel est l'effet produit sur le lecteur par ce début de poème ?
Relevez les mots essentiels de ce vers ; le verbe être les met en relation en définissant un attribut du sujet. Cette relation entre les mots essentiels est-elle habituelle, banale, surprenante ?
b) Quel sens nouveau prend cette image quand le lecteur a connaissance des tableaux ?
Repérez les éléments essentiels du vers d'Aragon présents les tableaux de Chagall. Expliquez en quoi ces tableaux éclairent le sens du vers, dissipent le mystère de l'image poétique.
2. Relevez et commentez d'autres éléments communs au poème et aux tableaux.
Observez le poème et les tableaux. Relevez d'autres éléments communs (personnages, paysage, construction, sensations, impressions, etc.).
3. 
« Chagall la couleur est ton peuple » (vers 21) : comment comprenez-vous ce vers ?
Quel sens donnez-vous à peuple dans ce vers ? Interrogez-vous : qui avait un peuple ? Pourquoi la couleur est-elle le peuple du peintre Chagall selon Aragon ? Quel rapport établir entre le peintre et la couleur ?
4. 
Définissez le sens de « rendre hommage ». Interrogez-vous : quels procédés, quelles figures de style, quel vocabulaire permettent au poète de rendre hommage à Chagall ?
Quel sens donnez-vous à peuple dans ce vers ? Interrogez-vous : qui avait un peuple ? Pourquoi la couleur est-elle le peuple du peintre Chagall selon Aragon ? Quel rapport établir entre le peintre et la couleur ?
5. 
Pourquoi cette formulation est-elle surprenante ?
a) Identifiez la nature du pronom « qui » et sa construction habituelle. Observez les pronoms du vers 16, l'ordre adopté par le poète. Qu'en concluez-vous ?
Repérez les éléments essentiels du vers d'Aragon présents les tableaux de Chagall. Expliquez en quoi ces tableaux éclairent le sens du vers, dissipent le mystère de l'image poétique.
b) Rétablissez l'ordre habituel de la subordonnée relative et de l'emploi des pronoms indéfinis.
Repérez les éléments essentiels du vers d'Aragon présents les tableaux de Chagall. Expliquez en quoi ces tableaux éclairent le sens du vers, dissipent le mystère de l'image poétique.
6. 
« Les objets s'y font acrobates » (vers 19) :
Comment le poète fait-il, dans la construction du poème, dans les strophes, dans les vers ou dans l'ordre des mots, pour produire lui aussi cette « acrobatie » ?
Observez la construction du texte et des strophes (nombre de vers, nombre de syllabes, rimes, longueur des vers, succession des vers), la syntaxe des phrases (ordre des mots, ponctuation). Comment le poète produit-il cet effet d'acrobatie ?
7. 
Dites en quelques phrases quelles sont les caractéristiques de la vision poétique du monde que partagent ici le poète et le peintre.
Cette question constitue une conclusion de votre lecture du poème et des tableaux, en développant les caractéristiques de la vision poétique du monde partagée par Aragon et Chagall. Appuyez-vous sur vos réponses précédentes pour préciser ces points communs.
Grammaire et compétences linguistiques
1. Repérez des passages du poème relevant de la langue orale plutôt que de la langue écrite, et justifiez votre réponse.
Relisez le poème en relevant les marques d'oralité, le vocabulaire courant, les constructions éloignées du langage soutenu, comme l'interrogation sans inversion sujet/verbe.
2. 
« Qui peint la nuit a deux visages » :
a) À quelle classe grammaticale appartient « qui » ?
Interrogez-vous : à quelles classes grammaticales « qui » peut-il appartenir ? Observez la construction de la phrase : nombre de verbes, nombre de propositions, relations entre ces propositions. Relisez vos réponses à la question 5 de la partie « Compréhension et compétences d'interprétation ».
b) Quelle est sa fonction dans la phrase ?
Rappelez-vous : le pronom « qui » fonctionne comme sujet ou complément introduit par une préposition. Sa fonction dépend donc de sa construction.
c) De laquelle des deux constructions suivantes pouvez-vous rapprocher le vers d'Aragon ?
A. Qui dort dîne.
B. J'ai vu un homme qui dormait.
Justifiez votre réponse.
Observez la construction des phrases A et B : verbes, ordre des propositions. Laquelle se rapproche le plus de celle du vers 15 ?
3. 
« L'homme danse et non les oiseaux
Il est l'inventeur du trapèze
Les chevaux ont appris de lui l'art
Des bouquets » (vers 9 à 12).
Réécrivez cette strophe en commençant par « Les hommes dansaient » et faites toutes les transformations nécessaires.
Commencez par souligner « L'homme » et « danse ».
Mettez-les au pluriel et à l'imparfait : « Les hommes dansaient ».
Soulignez ensuite le(s) pronom(s) personnel(s) reprenant « L'homme » et les mots qui le désignent (complément, attribut du sujet, apposition, etc.).
Soulignez les verbes conjugués, et faites une flèche vers leur sujet.
Pour finir, effectuez les modifications suivantes :
  • mettez le(s) pronom(s) personnel(s) reprenant « Les hommes » au pluriel, ainsi que les mots les désignant ou les caractérisant ;
  • accordez le(s) verbe(s) avec le sujet pluriel « Les hommes » ou le pronom personnel sujet les reprenant ;
  • appliquez la concordance des temps au passé : conjuguez les verbes en relation avec l'imparfait « dansaient » (antériorité, postériorité, simultanéité).
4. Recopiez la dernière strophe du poème en y rétablissant tous les signes de ponctuation.
Relisez la dernière strophe. Déterminez puis rétablissez :
  • la ponctuation finale en fonction des types de phrases repérés (déclarative, injonctive, interrogative, exclamative), la majuscule en début de phrase ;
  • la ponctuation interne en fonction des groupes de mots (nominal, verbal, adjectival).
Dictée
On m'avait appris à regarder les choses d'une certaine façon, dans une certaine succession, un équilibre une fois pour toutes donné. Le miracle de Chagall, c'est qu'il désapprend : plus rien n'était grâce à lui forcément à sa place, on allait se coucher dans le ciel, la taille des bonshommes ne dépendait plus de la distance, les animaux jouaient du violon, une fois pour toutes l'ordre des facteurs était renversé, comme à la fin d'un banquet perpétuel. La peinture de Chagall, c'était une leçon sans heure, qui vous apprenait à voir autrement le monde, autrement vivre, autrement être.
Aragon, Préface du catalogue Marc Chagall –  Recent paintings, 1966-1968.
Rédaction
Vous traiterez à votre choix l'un des sujets suivants :
Sujet d'imagination
Vous rédigerez, en prose, un hommage à un artiste de votre choix (peintre, musicien, cinéaste, chanteur, danseur…) dont vous citerez le nom dans votre texte. Comme Aragon, vous vous efforcerez de rendre compte des impressions que vous procure son œuvre.
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet et soulignez les mots clés qui évoquent le thème du texte à écrire : « un hommage à un artiste de votre choix », « peintre, musicien, cinéaste, chanteur, danseur », « vous citerez le nom », « rendre compte des impressions que vous procure son œuvre ».
Étape 2. Repérez la forme du texte à écrire : « Vous rédigerez, en prose, un hommage ». En vous appuyant sur le poème d'Aragon et sur vos connaissances, définissez ce qu'est un hommage écrit.
Il faut donc écrire un texte en prose qui :
  • témoigne de votre respect, de votre admiration pour un artiste et justifie cet hommage ;
  • exprime les impressions et les émotions provoquées par ses œuvres ;
  • raconte et décrit à la 1re personne votre découverte de cet artiste, de ses œuvres ;
  • emploie le lexique de l'art choisi : peinture, musique, cinéma, chanson, danse, littérature ;
  • utilise, selon l'artiste choisi, le lexique des sensations (visuelles, auditives, tactiles), des sentiments exprimant l'intérêt, l'admiration, le plaisir, le trouble, etc. ;
  • recourt à des procédés d'écriture traduisant votre subjectivité, votre point de vue : vocabulaire valorisant, phrases exclamatives ou interrogatives, énumération et accumulation, images (comparaison, métaphore), hyperbole (exagération des réactions), ponctuation expressive (virgules, points de suspension).
Étape 3. Choisissez l'artiste auquel vous rendrez hommage. Trouvez des idées : dans quelles circonstances l'avez-vous découvert ? Quelles qualités, quelles caractéristiques ont suscité votre intérêt ? Quelles œuvres préférez-vous ? Pourquoi ? Si c'est un chanteur ou un musicien, avez-vous assisté à un de ses concerts ? Quel effet ce spectacle a-t-il produit sur vous ? Que vous apporte-t-il ? Divertissement, réflexion, prise de conscience ?
Étape 4. Établissez le plan général du devoir :
  • les circonstances de cette découverte, le premier contact avec cet artiste ou l'une de ses œuvres ;
  • les circonstances de cette découverte, le premier contact avec cet artiste ou l'une de ses œuvres ;
  • le désir de poursuivre cette découverte, la recherche d'autres œuvres, vos attentes et vos espoirs ; l'absence de déception, la confirmation de votre admiration ;
  • le bilan de cette découverte : ce que cet artiste et ses œuvres vous ont apporté sur le plan culturel, personnel, émotionnel.
Étape 5. Relisez votre texte et vérifiez la correction de la langue (ponctuation, orthographe, syntaxe, notamment).
Sujet de réflexion
Pensez-vous que le rôle des artistes est plutôt de nous aider à nous comprendre nous-mêmes ou de nous faire voir le monde autrement ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur vos connaissances, vos lectures et sur votre fréquentation des arts de votre choix (musique, peinture, cinéma, chanson…).
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots clés : « le rôle des artistes », « nous aider à nous comprendre nous-mêmes », « nous faire voir le monde autrement ». Le thème général est le rôle des artistes.
Étape 2. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots clés : « le rôle des artistes », « nous aider à nous comprendre nous-mêmes », « nous faire voir le monde autrement ». Le thème général est le rôle des artistes.
Il faut donc respecter :
  • le genre argumentatif : le développement organisé, avec sa progression, ses analyses et ses arguments, ses exemples ;
  • le temps de l'argumentation : le présent et les temps qui s'articulent avec lui ;
  • la composition en parties et paragraphes.
Étape 3. Définissez votre réponse, votre thèse : quel rôle des artistes privilégier ? Le sujet en propose deux.
Thèse 1. Les artistes nous aident à nous connaître, à nous comprendre nous-mêmes. Trouvez au moins trois arguments pour défendre cette thèse (par exemple, les artistes créent des personnages qui nous ressemblent, qui vivent des expériences qui sont les nôtres ou proches des nôtres ; les questions posées dans leurs œuvres sont celles que nous nous posons : la vie, la mort, l'amour, le bonheur, la liberté, la condition humaine, la génétique, la violence, etc. ; l'écrivain, le chanteur, le cinéaste apportent des réponses, montrent ce que nous sommes, ce que nous pourrions être…).
Thèse 2. Les artistes nous aident à voir le monde autrement. Trouvez au moins trois arguments pour défendre cette thèse (par exemple, la vie quotidienne, les difficultés de l'existence, le rythme effréné dans notre société, l'indifférence, le confort matériel ou spirituel, le pessimisme ambiant nous empêchent de voir le monde, ses beautés, sa richesse, sa fantaisie).
Étape 4. Trouvez :
  • d'autres idées et arguments pour défendre la thèse choisie ;
  • des exemples d'artistes, d'œuvres littéraires, musicales, picturales, cinématographiques pour illustrer votre thèse.
Étape 5. Établissez le plan de votre argumentation.
  • L'introduction présente le thème et pose la question. Passez une ligne avant le développement.
  • Le développement expose votre point de vue, soutenu par trois arguments et trois exemples au moins. Un paragraphe développe un argument. Défendez votre thèse en utilisant des modalisateurs de certitude (assurément, j'affirme, incontestablement…) ou de nuance (peut-être, sans doute, emploi du conditionnel, mais, certes…), des figures de style comme l'hyperbole, l'énumération, les fausses questions (ou questions rhétoriques) ou le vocabulaire positif, mélioratif pour affirmer votre point de vue. Passez une ligne avant la conclusion.
  • La conclusion rappelle que vous avez répondu à la question posée en dressant un bilan rapide.
Étape 6. Relisez-vous et corrigez d'éventuelles erreurs d'orthographe, de syntaxe, de ponctuation.
Étape 7. Relisez-vous et corrigez d'éventuelles erreurs d'orthographe, de syntaxe, de ponctuation.
(1)Il s'agit du onzième poème du recueil poétique consacré au peintre.
(2)Guimpe : élément du vêtement féminin, morceau de toile couvrant la tête ou petite chemise brodée dépassant de la robe pour monter jusqu'au cou.
(3)Reprise en français de l'expression « panem et circenses » par laquelle l'auteur latin Juvénal reprochait aux empereurs de donner « du pain et des jeux » au peuple romain pour le divertir.

Corrigé

Travail sur le texte littéraire et sur l'image
Compréhension et compétences d'interprétation
1. 
a) 
Le premier vers surprend le lecteur, le déconcerte, car la relation entre le ciel et les chèvres ne paraît pas logique ; elle ne correspond pas à la réalité : le pays des chèvres, c'est la terre, les prés, les herbages, la montagne. Cette image mystérieuse nécessite un éclaircissement.
b)  L'observation des tableaux permet de comprendre le sens de cette image du poète ; en effet, dans Les Mariés de la tour Eiffel, une chèvre, mi-animal, mi-violon ou violoncelle, apparaît dans le ciel. De même, dans Couple dans le paysage bleu, Chagall a peint un animal qui pourrait être aussi une chèvre. Cet animal appartient donc au bestiaire du peintre.
2.  Plusieurs éléments sont communs au texte et aux tableaux. Les personnages apparaissent dans les deux œuvres : « Les amoureux » d'Aragon sont les Mariés de la tour Eiffel et le « couple » de Couple dans le paysage bleu ; ils sont légers, volent dans les airs (vers 5, 20), sans doute grâce à l'amour. Un personnage des Mariés de la tour Eiffel a la tête en bas ; Aragon évoque cette position aux vers 7 et 10. Les « bouquets » sont aussi communs au texte (vers 12) et aux tableaux, ainsi que des objets (lampe, chandelier à trois branches, violon). Enfin le rouge et le bleu dominent les tableaux et la dernière strophe du poème.
3.  Pour Aragon, Chagall est le roi de la couleur, il maîtrise parfaitement la palette des couleurs dans ses œuvres. Cette richesse des couleurs, source de beauté, me semble plus évidente dans Les Mariés de la tour Eiffel.
4.  Le titre du poème, son numéro dans le recueil, comme l'explique la note 1, montrent l'importance de Chagall pour Aragon ; le peintre est, comme le poète, Celui qui dit les choses sans rien dire ; en poésie et en peinture, les images, les métaphores, le lyrisme sont importants. Aragon essaie de restituer dans ses vers la dimension poétique, sensible, fantastique, merveilleuse de la peinture de Chagall : il emploie des métaphores, comme dans le vers 1, des comparaisons (vers 13, 17), une composition moderne et libre, fantaisiste en supprimant la ponctuation, en inversant l'ordre logique (« L'autre d'aimer l'un pour dormir »). Enfin Aragon s'adresse directement à Chagall dans la dernière strophe : il l'admire car il est le roi de la couleur ; il s'exclame devant la beauté de ses œuvres.
5. 
a) 
La construction de ces deux vers surprend par le caractère inhabituel de l'ordre syntaxique (« l'autre… l'un », au lieu de l'unl'autre), l'absence de l'antécédent du pronom relatif « qui ».
b)  Celui qui peint la nuit a deux visages  L'un pour dormir, l'autre pour aimer.
6.  Le poème est composé de six quatrains, séparés par un blanc, ce qui est régulier. Cependant, Aragon joue avec la place des vers plus courts de deux, trois, quatre syllabes ; il rompt la régularité au vers 14. Dans chaque strophe, le rejet répété de quelques syllabes au vers suivant crée une attente de la suite du groupe verbal ou nominal : « ils sont / À ça près » ; « l'art / Des bouquets » ; « un air / De violon »). De même, il joue avec la régularité des rimes plates (strophes 1 et 2 : « poissons » / « sont » ; « autrement » / « Maman ») et l'irrégularité des rimes dans les autres strophes (« trapèze » / « art » ; « violon » / « dormir » ; « lumière » / « acrobates » ; « pain » / « rouge »). Une autre « acrobatie » consiste à jouer sur les sonorités : allitérations (« pour » / « poissons », « est-ce » / « sont » / « ça », « qu'il » / « quand », « beau » / « bleu »), assonances (« À « / » ça », « autrement » / « envers » / « Maman », « Les » / » légers »). L'absence de ponctuation oblige à trouver le rythme en s'appuyant sur les groupes nominaux et verbaux, sur les constructions habituelles que le poète prend plaisir à bouleverser avec une fantaisie certaine (vers 16 et vers 23-24 : « quand l'ombre est rouge / Et bleu l'amour »).
7.  La vision poétique du monde que partagent Aragon et Chagall se définit d'abord par la liberté, liberté dans la composition ou la construction, les écarts avec l'ordre habituel ou logique, avec le réel ; ces deux artistes revendiquent aussi la fantaisie voire le fantastique : des personnages et des animaux, des objets qui volent ; une poule qui sert de monture, une chèvre-violoncelle… La peinture de Chagall, comme la poésie, transfigure la réalité, en ne respectant pas les rapports d'échelle ou de couleur, en exagérant la taille des personnages par exemple. Enfin, la sensibilité, la subjectivité, le lyrisme inondent la vision du poète et du peintre, notamment avec l'image du couple amoureux, thème cher à Aragon. La modernité est une autre caractéristique de leur vision commune : présence de la tour Eiffel, sujets « ordinaires » de la vie quotidienne, renouvellement du langage poétique ou pictural.
Grammaire et compétences linguistiques
1.  Les passages suivants relèvent plutôt de la langue orale. « Les amoureux est-ce qu'ils sont / À ça près » : la formule interrogative est-ce que s'emploie plutôt à l'oral ; la dislocation de la phrase détache le groupe « Les amoureux », rompant l'ordre plus soutenu de l'écrit (Les amoureux sont-ils à ça près ?). « Et ma tête à l'envers maman / Ma tête » : cette adresse directe à la mère revêt un caractère oral ; la phrase est non verbale, le sens n'est pas précisé, comme si le poète interrompait son propos. « Dieu qu'il fait beau quand l'ombre est rouge / Et bleu l'amour » : l'interjection « Dieu », ainsi que l'exclamative introduite par « que » qui suit manifestent la subjectivité, les sentiments du poète, en restituant l'expressivité de l'oral. De même, l'apostrophe « Chagall » (vers 21) est une marque d'oralité car le poète interpelle directement le peintre, en le tutoyant (« ton peuple », « Donne-lui »).
2. 
a) « Qui » est un pronom relatif.
b) Le pronom relatif « qui » est ici sujet du verbe « peint ».
c) La phrase A est construite comme le vers d'Aragon. Le pronom relatif « qui » n'a pas d'antécédent et la subordonnée relative, située en tête de phrase, remplit la fonction de sujet du verbe « dîne ». Cette construction est fréquente dans les proverbes, les dictons.
3. 
Les hommes dansaient et non les oiseaux
Ils étaient les inventeurs du trapèze
Les chevaux avaient appris d'eux l'art
Des bouquets
4. 
Chagall, la couleur est ton peuple.
Donne-lui des jeux et du pain.
Dieu ! Qu'il fait beau quand l'ombre est rouge
Et bleu l'amour !
Dictée
Les temps du passé dominent dans ce texte d'Aragon. Les verbes s'accordent avec leur(s) sujet(s). De nombreux verbes sont à l'imparfait de l'indicatif : « plus rien n'était » ; « on allait » ; « la taille (des bonhommes) ne dépendait plus » (le verbe s'accorde avec « la taille » et non pas avec « des bonhommes », complément du nom « taille ») ; « les animaux jouaient » ; « l'ordre (des facteurs) était renversé » (le verbe et le participe passé s'accordent avec « l'ordre » et non pas avec « des facteurs », complément du nom « ordre ») ; « c'était (une leçon…) qui vous apprenait » (le verbe s'accorde avec le relatif « qui », dont l'antécédent est « une leçon » ; attention, la présence de « vous » devant le verbe est source d'erreur : « vous » est complément d'objet second, pas sujet ; n'écrivez surtout pas « vous apprenez » !).
Un verbe est au plus-que-parfait de l'indicatif : « On m'avait appris ». Deux verbes sont au présent de l'indicatif : « c'est » ; « il désapprend » (« il » est au singulier ; le pluriel est « ils désapprennent »).
Plusieurs verbes sont à l'infinitif car ils dépendent d'une préposition (à, de, pour, sans, etc.) ou d'un autre verbe (excepté les auxiliaires être et avoir) : « à regarder », « on allait se coucher », « à voir », « (à) vivre », « (à) être ». Pour vérifier la terminaison des verbes du 1er groupe, remplacez l'infinitif en -er par un verbe du 2e ou du 3e groupe : à voir, on allait dormir.
Les adjectifs et participes passés épithètes ou apposés s'accordent en genre et en nombre avec le nom qu'ils qualifient : « une certaine façon » ; « une certaine succession » ; « un équilibre… donné » (le nom et le participe sont séparés par « une fois pour toutes » ; attention ! l'accord ne s'effectue pas avec le féminin pluriel « toutes ») ; « un banquet perpétuel ».
Plusieurs mots comportent une consonne doublée : « appris », « succession », « donné », « désapprend », « allait », « bonshommes », « comme », « apprenait ».
Plusieurs mots s'écrivent avec une consonne finale que l'on n'entend pas ; en cherchant un mot de la même famille, en mettant au féminin, vous identifierez parfois cette consonne : « appris » (apprise), « fois », « plus » (plusieurs), « banquet » (banquette, banqueter).
Attention aux homonymes, sources d'erreurs fréquentes : « on » (pronom sujet) / ont (avoir) ; « à » (préposition) / a, as (avoir) ; « fois » (fait unique ou qui se répète) / foi, foie ; « c'est », (cela est) / s'est (se + est), ses (possessif), ces (démonstratif) ; « grâce à » (préposition) / grasse (féminin de gras) ; « se » (pronom personnel réfléchi, devant un verbe : se lever, se plaindre) / ce (démonstratif, devant un nom ou un groupe nominal : ce film, ce vieux film).
L'orthographe de plusieurs mots présente une difficulté : « façon », « leçon » (cédille devant « o ») ; « succession » (finale en -ssion, contrairement à -tension, -pension, -attention, création) ; « forcément », « autrement » (adverbes en -ment) ; « sans heure » (au singulier : il n'y a pas d'heure pour la leçon) ; « animaux » (les noms en -al au singulier forment leur pluriel en -aux, sauf bal, cal, carnaval, chacal, festival, régal, qui se terminent par -s au pluriel).
Rédaction
Sujet d'imagination
Cette année-là, la bibliothécaire de la médiathèque avait organisé, à l'occasion du festival de la BD d'Angoulême, une exposition sur ce genre, que certains ont qualifié de 9e art. Bien sûr, comme de nombreux enfants, j'avais lu, à mesure que je grandissais, les aventures de Yakari, puis de Tintin, celles de Blake et Mortimer, sans oublier Boule et Bill, Gaston Lagaffe ou Astérix. Mais la bande dessinée ne me passionnait pas vraiment. Jusqu'à ce jour où, parmi les albums que la bibliothécaire avait exposés, j'ai feuilleté le tome 1 du Combat ordinaire, d'un certain Manu Larcenet, dessinateur dont je n'avais jamais entendu parler.
Cet illustre inconnu m'a pourtant captivé dès les premières pages. J'ai découvert un univers très différent des albums que j'avais lus auparavant. Le graphisme est particulier ; le personnage principal, Marco, n'a rien d'un héros. Son physique est banal, très ordinaire, dessiné à gros traits naïfs. Bref, les personnages sont assez « moches », caricaturés en quelque sorte. En revanche, les couleurs explosent et créent un univers plutôt attirant, avec une certaine dimension comique. De plus, l'artiste mêle planches en couleur et en noir et blanc avec des nuances sépia, pour signaler les rêves, les retours dans le passé ou les obsessions du personnage. Cette façon originale de traiter le temps, la plongée dans les pensées profondes me plaît beaucoup, elle reprend avec finesse quelques procédés cinématographiques en les adaptant à l'image fixe. Toutefois l'essentiel est ailleurs car ce qui fait la force et l'intérêt de cette œuvre, c'est le combat ordinaire que livre le héros ou plutôt l'anti-héros pour vivre au quotidien tout en cherchant le bonheur. L'artiste nous confronte aux difficultés de l'existence : la vie professionnelle, l'amour, la famille, la maladie, les grèves, les fléaux qui gangrènent notre société, l'angoisse de vivre, les peurs, la solitude… En cela, Manu Larcenet remplit pleinement la fonction de l'art, essentielle selon moi : nous aider à comprendre le monde, l'homme et nous-mêmes.
L'émotion m'étreignait au fil des pages en suivant la lutte de Marco, photographe de presse désabusé, fatigué de fixer sur la pellicule les horreurs et les malheurs du monde, les victimes des guerres absurdes, s'interrogeant sur le sens à donner à sa vie, en proie à toutes les incertitudes. Mais ce qui me fascine aussi dans cette œuvre, c'est la relation que l'auteur établit entre l'histoire de Marco, chronique intimiste, et l'Histoire, les événements sociaux et politiques qui marquent cette période, comme la guerre d'Algérie. Les tribulations de cet anti-héros permettent de découvrir toute une galerie de portraits de personnages, suscitant l'attachement ou la répulsion, une gamme variée d'émotions selon les situations : les parents de Marco, le frère qui est resté un grand enfant accro aux jeux vidéos et sa jeune femme Naïma, le chasseur irascible, le gentil voisin, la jolie vétérinaire.
Manu Larcenet aborde avec une apparente simplicité la complexité de la vie, les thèmes existentiels majeurs qui ne peuvent que nous inviter à réfléchir, à voir le monde autrement sans illusions ni faux-semblants. Cet album m'a captivé par sa vérité, sa richesse, sa beauté ; pour moi, c'est un authentique chef-d'œuvre. Aussi ai-je dévoré ce jour-là et les jours suivants les trois autres tomes du Combat ordinaire, sans jamais être déçu. Mon admiration pour cet artiste et ses œuvres est toujours aussi vive ; je collectionne tous ses albums. Je ne suis pas le seul à rendre un vibrant hommage à Manu Larcenet car, en me renseignant sur cet auteur, j'ai constaté que ses fans sont nombreux et que son talent a été récompensé par divers prix.
Sujet de réflexion
La jeunesse est l'âge des espérances, des inquiétudes, des incertitudes, de la révolte, des rêves, de l'utopie, de l'enthousiasme ou du désespoir… Les romans d'initiation ou de formation racontent comment un jeune homme part à la découverte du monde et de soi ; ils permettent au lecteur de suivre un itinéraire qui pourrait être le sien. Aussi devons-nous nous demander si la fonction de l'art, le rôle des artistes ne sont pas de nous aider à nous comprendre nous-mêmes, à combler un manque que nous ressentons, à trouver des réponses à toutes nos questions.
La littérature, le cinéma mettent en scène des personnages auxquels le lecteur peut s'identifier, dont il peut partager les attentes, les interrogations, les sentiments ; ce sont des miroirs qui offrent une image de lui, image parfois déformée, grossissante mais qui porte une part de vérité générale et individuelle. L'existence de ces personnages de fiction est une succession de situations, d'expériences, heureuses ou malheureuses, qui révèlent leur caractère, leur être, qui favorise également la construction d'une personnalité, d'une identité. Annie Ernaux, dans plusieurs de ses œuvres, comme La Place, Les Années, Mémoire de fille, raconte, entre autobiographie et roman, la vie d'une enfant, d'une adolescente, d'une jeune femme, qui sont à la fois elle et toutes les filles, une vie dont les contenus sont les mêmes pour toutes mais que chacune éprouve individuellement, afin qu'elle-même et les lecteurs fouillent, explorent cette matière, se connaissent et se comprennent un peu mieux. L'auteur de bande dessinée Riad Sattouf présente aussi au lecteur des tranches de notre vie, de notre société, dans La Vie secrète des jeunes ou dans son film, Les Beaux Gosses ; cet observateur avisé porte un regard clinique, critique, parfois cynique, sur le quotidien, les rencontres dans le métro, dans les bus, aux terrasses des cafés, dans les magasins, les collèges. Il tente de mettre au jour les traits et les comportements humains souvent surprenants, comiques, absurdes, cruels… Balzac, dans La Comédie humaine, proposait déjà au xxiXIXe siècle divers types humains, sociaux : l'arriviste, l'avare, l'usurier, l'homme d'affaires sans scrupules, l'ingénue, la courtisane, l'homme politique… C'est donc une fonction constante de l'art que d'aborder les grands thèmes de l'existence, du monde et de la société.
Nous le voyons bien, les artistes cherchent à favoriser la compréhension de soi, du monde, à révéler ce que les hommes renferment de misère ou de grandeur, de faiblesse ou de force, de banalité ou d'originalité… S'ils interrogent, ils apportent quelquefois des réponses : Albert Camus, dans La Peste, affirme, à la fin du roman, qu'une des leçons que l'on apprend en traversant de terribles épreuves est « qu'il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser ». Cette leçon nous invite à l'optimisme, à croire en l'homme, en certaines valeurs universelles et peut-être éternelles.
Mais le lecteur doit accomplir sa part active s'il veut s'épanouir, mieux se connaître, mieux vivre. L'artiste montre, met en scène ou en images, en narration, et le lecteur est invité à se servir des œuvres pour se former, pour se construire, se transformer, s'épanouir. Au questionnement des artistes répond le questionnement du lecteur, la réflexion s'avère alors nécessaire pour que le retour sur soi porte ses fruits. Qu'a fait le héros ou l'héroïne de cette œuvre ? Qu'aurais-je fait dans ces circonstances ? Qu'aurais-je pu faire ? Et que fais-je dans ma vie de tous les jours ? Une comédie comme Lolo, de Julie Delpy, au-delà du rire qu'elle provoque, ne doit pas faire oublier les thèmes essentiels qui la sous-tendent : les relations parents-enfants ou adolescents-adultes, la recherche de l'amour et du bonheur, la violence physique ou morale des rapports humains, l'égoïsme, les traumatismes de l'existence…
L'art répond bien à la curiosité de l'homme pour l'homme en général et pour lui-même en particulier, c'est pourquoi les œuvres constituent des rencontres avec autrui qui débouchent sur une rencontre essentielle avec nous-mêmes, une sorte d'introspection. Cependant l'art se réduit-il à cette seule fonction ? Certes, non, car sa richesse est justement d'offrir de multiples possibilités : montrer le monde autrement, divertir… Mais, aujourd'hui, nous consommons les médias, l'art de manière beaucoup trop passive ; on nous répète à l'envi qu'il faut faire oublier les difficultés du monde, les catastrophes qui nous frappent. La mission des artistes est donc plus que jamais de ne pas nous faire oublier qui nous sommes, qui nous pourrions être, ce qu'est notre société et ce qu'elle pourrait devenir, bref de développer en nous un savoir-être.