Récits autobiographiques

Parler de soi, se raconter, se représenter sont devenus au fil du temps des enjeux majeurs dans notre société ; tout le monde, de l'inconnu à la star de cinéma ou du sport, raconte sa vie, son enfance, la maladie de son père ou de sa mère, son existence d'ouvrier agricole, de mineur de fond… Pourquoi et comment raconter sa vie ?
I. Le projet autobiographique
• Les raisons qui poussent à s'engager dans un projet autobiographique sont diverses et variées : parler de soi pour soi-même ou pour autrui, se connaître, comprendre sa personnalité, revenir sur son itinéraire personnel, témoigner d'une expérience particulière, s'expliquer, expliquer ses choix de vie, ses choix politiques, témoigner d'événements importants, etc.
«  Je commence mon journal, mais ai-je seulement réfléchi pourquoi je le faisais, pourquoi je me mettais à écrire ? Qu'est-ce qui me pousse à tenir un journal ? Je pourrais donner beaucoup de réponses à cette question. Tout d'abord, c'est que je désire avoir un ami, un ami que pourrait faire un journal : à qui il est possible de tout raconter, un ami selon son cœur.   »
Wanda Przybylska, Journal de Wanda, Varsovie, 1942-1944.
• L'autobiographie (du grec autos, soi-même ; bios, vie ; graphein, écrire) est donc le récit que fait une personne réelle de sa propre vie, au fil des jours ou à un moment donné de son existence, souvent la vieillesse ; l'auteur est à la fois le narrateur et le personnage principal de ce récit.
« Récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité. »
Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, 1975.
II. Le pacte autobiographique
• L'auteur, en écrivant, prend l'engagement d'être sincère, de dire la vérité sur lui, les autres, les événements vécus. C'est un contrat d'authenticité qui lie auteur et lecteur.
« Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra ; je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. »
André Gide, Si le grain ne meurt, 1955.
III. Les formes de l'autobiographie
Pour se raconter, les formes d'écriture sont variées ; elles conditionnent le moment choisi pour parler de soi, la durée et la fréquence, le choix de la personne (1re, 2e ou 3e), des temps verbaux…
« Je suis née à quatre heures du matin, le 9 janvier 1908, dans une chambre aux meubles laqués de blanc, qui donnait sur le boulevard Raspail. Sur les photos de famille prises l'été suivant, on voit de jeunes dames en robes longues, aux chapeaux empanachés de plumes d'autruche, des messieurs coiffés de canotiers et de panamas qui sourient à un bébé : ce sont mes parents, mon grand-père, des oncles, des tantes, et c'est moi. Mon père avait trente ans, ma mère vingt et un, et j'étais leur premier enfant. »
Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958.
L'auteur ajoute parfois clairement au titre la mention « autobiographie » : Julien Green, Jeunes années, autobiographie.
1. L'autobiographie
1. L'autobiographie prend la forme d'un récit chronologique qui suit les différentes périodes de l'existence de l'auteur, de sa naissance au moment où il se lance dans son projet d'écriture.
2. Le journal
Le journal (journal intime ou journal de voyage) rapporte au jour le jour les événements vécus par l'auteur ; il précise en général la date et parfois le lieu, accompagne son récit de commentaires.
« Dimanche 3 septembre [2000]. Il fait beau.
Ce matin, pendant que j'étais occupée à travailler en classe, mon père et ma mère m'ont rendu visite. Ils sont venus à Yuwang pour une foire. Avant de s'en retourner, ils m'ont recommandé : "Il faut que tu travailles bien, pour être reçue au collège des filles." Aussitôt après, ils sont repartis. »

Ma Yan, Le journal de Ma Yan, 2003
« Port de Chalai, immédiatement au-dessus de la première cataracte, septième jour à partir de Ouadi-Alfa.
Samedi 29 janvier 1848.
Le défilé s'élargit, les granits reparaissent ; ils s'entassent en blocs énormes, noirs au contact de l'eau, rouges à la crête. Les tombeaux de scheiks posés sur les pics tachent de leurs dômes blancs le sombre chaos. L'île de Philé sort des eaux avec ses groupes de palmiers, avec ses bosquets de henné aux fleurs vertes et au suave parfum. Nous errons sous la merveilleuse galerie du grand temple : celle qui longe le fleuve ; elle aboutissait à l'escalier devant lequel s'arrêtaient les barques éthiopiennes. »

Comtesse de Gasparin, Journal d'un voyage au Levant, 1850.
3. Les mémoires
Les mémoires rapportent la vie de l'auteur mais en insistant sur les événements historiques dont il a été le témoin ou un des acteurs.
« La première chose à faire était de hisser les couleurs. La radio s'offrait pour cela. Dès l'après-midi du 17 juin, j'exposai mes intentions à M. Winston Churchill. Naufragé de la désolation sur les rivages de l'Angleterre, qu'aurais-je pu faire sans son concours ? Il me le donna tout de suite et mit, pour commencer, la B.B.C. à ma disposition. »
Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, première partie, chap. I, 1954.
4. La correspondance
La correspondance dévoile aussi l'existence d'une personne car elle y rapporte les événements qu'elle vit et exprime ses sentiments, ses émotions, ses idées, ses réactions.
« À Madame la Présidente de Bernières
À la Haye, 7 octobre 1722
Votre lettre a mis un nouvel agrément dans la vie que je mène à la Haye. De tous les plaisirs du monde je n'en connais point de plus flatteur que de pouvoir compter sur votre amitié. Je resterai encore quelques jours à la Haye pour y prendre toutes les mesures nécessaires sur l'impression de mon poème, et je partirai lorsque les beaux jours finiront. […]  »

Voltaire, Correspondance.
5. Le roman autobiographique
Certains auteurs choisissent de raconter leur vie en s'inventant un double, ils mêlent leurs souvenirs à la fiction ; l'identité entre auteur, narrateur et personnage n'existe plus. Jules Vallès raconte la vie de Jacques Vingtras dans une trilogie publiée entre 1879 et 1886 : L'Enfant, Le Bachelier, L'Insurgé. Amélie Nothomb, dans Stupeur et tremblements (1999), qu'elle qualifie de « roman », s'inspire de sa propre vie au Japon pour imaginer les aventures de la narratrice dans une entreprise japonaise. On peut citer également L'Amant de Marguerite Duras.
6. Aux frontières de l'autobiographie
D'autres types d'écrits se rapprochent plus ou moins de l'autobiographie.
• Le récit de vie s'est beaucoup développé à notre époque : une personne, souvent d'origine modeste, lors d'entretiens, raconte sa vie à un écrivain, un journaliste, qui lui donne une forme écrite. Adélaïde Blasquez raconte la vie d'un artisan, Gaston Lucas, dans Gaston Lucas, serrurier. Chronique de l'anti-héros (1976).
• Les entretiens ont aussi une dimension autobiographique. Ainsi Marguerite Yourcenar revient sur son enfance, son parcours d'écrivain, sur son époque, lors d'entretiens avec le journaliste Mathieu Galey, publiés sous le titre Les Yeux ouverts, en 1980.
• La nouvelle autobiographie, l'autofiction : certains auteurs contestent la forme traditionnelle de l'autobiographie, en mettant notamment en cause les questions de sincérité, d'authenticité, de mémoire, de sélection des souvenirs, la reconstruction rétrospective d'une existence, l'enchaînement quasi logique des événements, la chronologie, le style trop narratif et trop romanesque. Ces nouvelles œuvres mêlent donc volontairement le réel, le fictionnel et l'imaginaire, sans respecter le contrat de vérité autobiographique.
• La bande dessinée s'est intéressée à l'autobiographie : Marjane Satrapi, Persepolis ; Art Spiegelman, Maus ; Joann Sfar, Harmonica. Dans ces récits graphiques, les auteurs rapportent leur propre existence, leurs expériences (Satrapi, Sfar) ou celles de leurs proches (Spiegelman).
IV. Quelques procédés d'écriture
Certains procédés dépendent de la forme choisie pour parler de soi (autobiographie, journal intime, correspondance, mémoires, etc.) et des principes qui, selon l'auteur, doivent régir la composition du récit autobiographique.
1. L'emploi des pronoms personnels
En raison de l'identité auteur-narrateur-personnage, le pronom personnel dominant est la 1re personne, je. Toutefois, certains autobiographes préfèrent employer la 2e (tu) ou la 3e personne (il, elle) afin d'exprimer la distance entre le passé et le présent, entre l'être, le « moi » d'avant et ceux d'aujourd'hui, entre l'enfant et l'adulte. Quelques-uns utilisent même ces trois pronoms dans leur récit autobiographique pour signaler les diverses époques, les strates temporelles.
Il répond aux questions Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?
« Je ne puis parler de lui à la première personne : je ne m'arroge pas le droit d'affirmer que je suis encore, à mon âge, ce qu'il était autrefois. J'aurais de la peine à le traiter à la troisième : il n'est pas un étranger avec qui je veuille tenir d'inutiles distances. Je le tutoie plutôt : c'est ma manière de lui montrer mon affection. »
Alain Bosquet, L'Enfant que tu étais, roman, 1982.
2. L'emploi des temps verbaux
Le présent correspond au moment de l'écriture (ancrage dans la situation d'énonciation) et des commentaires sur le passé. Mais certains auteurs racontent leur existence, leur enfance par exemple, au présent (sorte de présent qui actualise le passé).
Le passé composé marque l'antériorité par rapport au présent de l'énonciation, de l'écriture, ou par rapport au présent de narration.
Le passé simple est aussi employé, surtout au xviiie et au xixe : il marque davantage la distance entre le présent de l'écriture et le passé des événements.
3. L'ordre de la narration
Le récit autobiographique suit souvent l'ordre chronologique, de la naissance à l'âge adulte, en passant par des époques obligatoires du genre, l'enfance et l'adolescence. Mais quelques auteurs ne respectent pas la chronologie car, selon eux, elle ne rend pas compte de la complexité de la vie, et ne correspond pas au fonctionnement « naturel » de la mémoire.
« Sans doute faudrait-il mettre un peu d'ordre dans ces souvenirs, mais je ne m'en sens pas capable. J'ai l'impression que tout se présente à moi en même temps, et la chronologie dans tout cela, où la trouver ? »
Julien Green, « Partir avant le jour », Jeunes Années. Autobiographie, 1984.
• La brève est une information très courte, réduite à un seul paragraphe, souvent en dernière page. Elle ne comporte ni titre ni signature.
• Le reportage est un témoignage direct du journaliste, sur le terrain. Il fait part au lecteur de sa vision personnelle et communique ses émotions.
• L'interview est constituée par le dialogue d'un journaliste et d'une personnalité. On attend d'une bonne interview des révélations que la personne interrogée ne comptait pas faire. En général, l'interview est recomposée par le journaliste.
• L'enquête fait le point sur une question d'actualité (une catastrophe, une crise politique, une guerre), une situation (le sort de réfugiés, les conditions de vie d'un groupe social), une personne (un homme d'État, un artiste). Elle s'appuie sur une importante documentation et de nombreux témoignages. Rédigée souvent par plusieurs journalistes, elle rassemble plusieurs types d'articles.
2. Les textes qui commentent l'information
• L'éditorial, souvent placé à la « une », signé du rédacteur en chef ou du directeur du journal, prend position sur l'actualité. En prenant la défense de certaines causes, en dénonçant des injustices ou des abus, il définit la ligne éditoriale du journal.
• La critique émane généralement d'un journaliste spécialisé, qui juge des qualités d'un spectacle, d'un film, d'un roman ou d'un restaurant…
• Le billet, beaucoup plus court, est un article d'humeur, souvent surprenant ou humoristique, dont la chute est amusante ou incisive.
Exercice n°1
Vrai ou faux ? Dans un récit autobiographique :
l'auteur emploie toujours la 1re personne, je.
Cochez la bonne réponse.
vrai
faux
l'auteur, le narrateur et le personnage sont toujours une seule et même personne.
Cochez la bonne réponse.
vrai
faux
l'auteur suit toujours la chronologie de sa vie.
Cochez la bonne réponse.
vrai
faux
le temps principalement employé est le passé simple.
Cochez la bonne réponse.
vrai
faux
il existe des thèmes fréquemment traités : naissance, enfance, études, etc.
Cochez la bonne réponse.
vrai
faux
Exercice n°2
Complète ces titres d'écrits autobiographiques.
Écrivez les réponses dans les zones colorées.
1.  d'une jeune fille rangée, Simone de Beauvoir.
2.  d'Anne Frank.
3.  d'un voyage fait aux Indes Orientales, (1690-1691), Robert Challe.
4. Comme Akira Kurosawa (cinéaste japonais).
5. Paroles de Poilus. et carnets du front 1914-1914 – anthologie sous le direction de Jean-Pierre Guénot et Yves Laplume.
6. La Gloire de >, Le Château de .