La pertinence d'une approche en termes de classes sociales pour rendre compte de la société française. (EC3)

Énoncé

Partie 3 d'épreuve composée.
À l'aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous montrerez que la pertinence d'une approche en termes de classes sociales pour rendre compte de la société française actuelle peut être remise en cause.
Document 1
Les développements sur la « mort des classes » sont toujours peu ou prou fondés sur les mêmes arguments, même si certains auteurs ont pu ajouter quelques éléments : la croissance scolaire et l'entrée des classes populaires au lycée puis à l'université, le flou croissant des échelles de salaire, la diffusion de la propriété de valeurs mobilières, la généralisation d'une culture « moyenne » – dont le blue-jeans ou le barbecue sont les figures exemplaires –, la multiplication de différenciations et de conflits fondés sur des enjeux symboliques, et la revendication de la reconnaissance des différences religieuses, de genre, d'ordre culturel, régionalistes, ethniques ou d'orientation sexuelle.
L'essentiel de l'argumentation des sociologues intéressés à montrer la disparition des classes sociales peut être résumé en un diagnostic simple : baisse des inégalités économiques et éducatives, affaiblissement des frontières sociales en termes d'accès à la consommation et aux références culturelles, mais aussi croissance de la mobilité, moindre structuration des classes en groupes hiérarchiques distincts, repérables, identifiés et opposés, moindre conflictualité des classes et conscience de classe affaiblie.
Source : Louis CHAUVEL, « Le retour des classes sociales ? », Revue de l'OFCE, 2001.
Document 2
L'évolution du sentiment d'appartenance à une classe sociale en France de 1982 à 2010
L'évolution du sentiment d'appartenance à une classe sociale en France de 1982 à 2010

1982
1985
1993
1998
2001
2010
Avez-vous le sentiment d'appartenir à une classe sociale ?(part des réponses obtenues en %)
Oui
63
60
58
60
54
65
Non
37
35
40
39
45
34
Laquelle ?(part de l'ensemble des réponses affirmatives à la première question en %)
Les classes moyennes
31
32
39
42
51
58
La classe ouvrière, les ouvriers
33
29
19
21
17
9

Source : TNS-SOFRES, 2010.
Champ : Enquête menée par téléphone auprès d'un échantillon de 1 504 personnes représentatif de la population de nationalité française de 18 ans et plus.
Document 3
Salaires mensuels nets selon le sexe et la catégorie socioprofessionnelle en 2011 en France (en €)
Salaires mensuels nets selon le sexe et la catégorie socioprofessionnelle en 2011 en France (en €)

Hommes
Femmes
Ensemble
Écart entre hommes et femmes en%
Cadres
4 302
3 362
3 988
−21,8
Professions intermédiaires
2 309
2 011
2 182
−12,9
Employés
1 649
1 515
1 554
−8,1
Ouvriers
1 680
1 398
1 635
−16,8
Ensemble
2 312
1 865
2 130
−19,3

Champ : Salariés du secteur privé et des entreprises publiques, rémunérations pour un temps plein.
Source : INSEE, 2014.
Salaire net : salaire perçu par le salarié.
Les chefs d'entreprise salariés sont ici compris dans le groupe des cadres.
Note de lecture : en 2011 en France, les femmes cadres perçoivent en moyenne un salaire mensuel net inférieur de 21,8 % à celui des hommes cadres.

Corrigé

Le terme de classe sociale est l'une des rares notions sociologiques à être entrée dans le langage courant : chacun connaît ce concept, même si les manières de l'interpréter différent.
La définition d'une « classe sociale » est hors de tout consensus, de nombreux auteurs ayant proposé leur définition de l'expression. Dans une approche générale, elle peut être définie comme un groupe d'individus qui se distingue des autres par un niveau de vie, un mode de vie et des pratiques culturelles spécifiques.
De nos jours, la question de la pertinence d'une approche en termes de classes sociales pour rendre compte de la société française se pose. C'est pourquoi nous allons montrer qu'une telle analyse peut aujourd'hui être remise en cause.
Dans un premier temps, nous verrons que les inégalités économiques et sociales se sont réduites depuis les années 1960, diminuant ainsi la pertinence de la notion de classe sociale. Dans un second temps, nous verrons que le sentiment d'appartenance à une classe sociale est de plus en plus flou. Enfin, nous verrons qu'aujourd'hui, d'autres critères doivent être pris en compte pour étudier la société.
Selon Henri Mendras, la période allant de 1965 à 1984 a été celle d'une moyennisation de la structure sociale grâce à l'aspiration vers le haut des classes populaires (« baisse des inégalités économiques », document 1). La distance interclasses s'est largement réduite durant cette période. Les années 1960 ont également été un moment d'homogénéisation des modes de vie : certaines pratiques (comme le port du jean ou le barbecue, document 1) se sont progressivement diffusées à l'ensemble de la population française. La massification scolaire durant la Ve République a également participé à cette moyennisation de la société. Dès lors, selon Mendras, si « tout le monde est moyen » alors il n'est plus pertinent de raisonner en termes de classes sociales. Il serait d'ailleurs préférable, selon lui, de parler de « constellations sociales ».
Les analyses contemporaines affirmant qu'il n'est plus pertinent de raisonner en termes de classes sociales partent généralement du principe qu'il n'existe plus réellement de « conscience de classe ». Si, de manière constante depuis 1982, environ deux tiers des Français ont le sentiment d'appartenir à une classe sociale, il faut toutefois remarquer qu'aujourd'hui une majorité d'entre eux se situe dans la classe moyenne (58 % des personnes qui ont le sentiment d'appartenir à une classe sociale s'y positionnent, document 2). Cette identification subjective grandissante à la classe moyenne démontre que la notion de classe sociale a perdu de son sens, du moins dans sa dimension « marxienne » de « classe pour soi ».
Dans les sociétés modernes, au-delà de leur fragmentation interne (augmentation de la distance intraclasses), les catégories socioprofessionnelles auraient perdu de leur pouvoir explicatif des pratiques sociales et culturelles des Français. Dès lors, les études sociologiques actuelles s'intéressent de plus en plus souvent à d'autres critères pour étudier la structuration de l'espace social. Par exemple, au-delà de la PCS, le genre explique aussi les inégalités de salaire. En 2011, quel que soit leur groupe socioprofessionnel, les femmes touchent un salaire net mensuel moyen de 1 865 € contre 2 312 € pour les hommes, soit un salaire en moyenne moins élevé de 19,3 % pour les femmes (document 3). Ainsi, il semble qu'il soit aujourd'hui fondamental de se pencher sur de multiples critères d'individualisation (le genre mais aussi le niveau de diplôme, l'âge, la génération, etc.) pour rendre compte de manière pertinente de la société française.
Pour conclure, une analyse en termes de classes sociales pour rendre compte de la société française actuelle peut être remise en cause pour plusieurs raisons : la moyennisation enclenchée durant les années 1960 a réduit les inégalités économiques, sociales et culturelles entre des classes sociales aujourd'hui de plus en plus fragmentées, le sentiment d'appartenance à une classe est brouillé et d'autres critères que la classe sociale doivent désormais être pris en compte dans un contexte d'individualisation croissante.
La mobilisation récente des « gilets jaunes » peut néanmoins être analysée comme un retour d'une certaine forme de conscience de classe. Les « classes pour soi » théorisées par Karl Marx ne sont peut-être pas si loin. Pour citer Louis Chauvel « après une période de purgatoire, des objets démodés peuvent retrouver une jeunesse inattendue »…