L'introduction (ou exorde)

L'exorde (exordium, en latin, signifie « commencement ») sert d'introduction au discours. Il capte l'attention des auditeurs (ce que l'on nomme, en latin, la captatio benevolentiae). Puis, le plan, ou simplement le fil conducteur, y est annoncé (la partitio, en latin). Selon Quintilien : « L'exorde n'a pas d'autre but que de préparer l'esprit de celui qui nous écoute, comme on prépare une matière qu'on veut rendre plus maniable. On est généralement d'accord qu'on arrive à cette fin par trois moyens principaux : en rendant l'auditeur bienveillant, attentif, docile » (Institution oratoire).
Un exorde contemporain : Christiane Taubira, discours à l'Assemblée nationale du 18 février 1999
L'introduction (ou exorde) - illustration 1
par Claude Truong-Ngoc/Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0
La proposition de loi affirmant que la traite et l'esclavage sont des crimes contre l'humanité est présentée à l'Assemblée nationale par Christiane Taubira, alors députée de la Guyane.
« Le sujet dont nous nous sommes emparés n'est pas un objet froid d'étude. Parce qu'il s'écoulera encore quelque temps avant que la paix et la sérénité ne viennent adoucir la blessure profonde qu'irrigue une émotivité inassouvie, parce qu'il peut être rude d'entendre décrire par le menu certains aspects de ce qui fut une tragédie longue et terrible, parce que l'histoire n'est pas une science exacte […].
Ce rapport n'est pas une thèse d'histoire. Il n'aspire à aucune exhaustivité, il ne vise à trancher aucune querelle de chiffres, il reprend les seules données qui ne font plus litige.
Il n'est pas le script d'un film d'horreur, portant l'inventaire des chaînes, fers, carcans, entraves, menottes et fouets qui ont été conçus et perfectionnés pour déshumaniser.
Il n'est pas non plus un acte d'accusation, parce que la culpabilité n'est pas héréditaire et parce que nos intentions ne sont pas de revanche. […].
Il n'est pas non plus une profession de foi, parce que nous avons encore à ciseler notre cri de foule.
Pourtant, nous allons décrire le crime, l'œuvre d'oubli, le silence, et dire les raisons de donner nom et statut à cette abomination. »
L'analyse du discours
→ Le tour de force de Christiane Taubira est d'avoir recours à des prétéritions. En disant qu'elle n'évoquera pas l'esclavage à la manière d'un film d'horreur, elle l'évoque tout de même ainsi ! Ses négations sont donc l'occasion de parler précisément de ce dont elle affirme qu'elle ne parlera pas…
→ L'auteure emploie l'anaphore. En répétant plusieurs fois le même début de phrase (« Il n'est pas… »), elle insiste sur les données incontestables qui ont marqué la terrible histoire de l'esclavage.
→ L'effet d'attente obtenu grâce à la succession des négations amplifie l'effet produit par la résolution. Celle-ci annonce enfin ce dont sera constituée la suite de son discours : la partitio.
Et pour l'épreuve ?
Outre la clarté de la partitio, essentielle dans un Grand oral afin que l'examinateur se repère bien, un candidat peut avoir recours à de telles négations. Il s'agit d'un excellent moyen pour suggérer à son examinateur qu'il pourra revenir dans l'entretien sur tous les aspects prétendument niés. Énoncer des prétéritions, c'est tendre des perches pour l'entretien.
Par ailleurs, l'insistance de l'oratrice sur les émotions terribles véhiculées par l'esclavage doit inspirer les candidats. Le Grand oral n'est pas une thèse de spécialiste, mais une prestation personnelle. On pourra donc, avec prudence et sans excès, y déployer des sentiments, quand le projet s'y prête.
Enfin, l'élégance du style de Christiane Taubira peut être imitée, notamment l'utilisation initiale d'une métaphore, ou le rythme des phrases, des propositions et des paragraphes.
La véhémence de Cicéron contre Catilina
L'introduction (ou exorde) - illustration 2
En 63 av. J.-C., Cicéron, alors consul, a prononcé une série de discours contre le sénateur Catilina, qui conspirait contre la République romaine. Voici l'exorde de sa première Catilinaire :
« Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ? Combien de temps encore serons-nous ainsi le jouet de ta fureur ? Où s'arrêteront les emportements de cette audace effrénée ? Ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les postes répandus dans la ville, ni l'effroi du peuple, ni le concours de tous les bons citoyens, ni le choix, pour la réunion du sénat, de ce lieu le plus sûr de tous, ni les regards ni le visage de ceux qui t'entourent, rien ne te déconcerte ? Tu ne sens pas que tes projets sont dévoilés ? Tu ne vois pas que ta conjuration reste impuissante, dès que nous en avons tous le secret ? Penses-tu qu'un seul de nous ignore ce que tu as fait la nuit dernière et la nuit précédente, où tu es allé, quels hommes tu as réunis, quelles résolutions tu as prises ?
Ô temps ! ô mœurs ! »
L'analyse du discours
→ Cicéron est offensif d'entrée de jeu. À travers plusieurs questions rhétoriques et une opposition de pronoms personnels (« nous » contre « toi »), il dépeint un portrait fourbe et sournois de son adversaire, par opposition à l'ensemble du peuple romain. Il cherche ainsi à attirer la bienveillance de son public (captatio benevolentiae).
→ Le lexique de la colère révèle le caractère irascible de Catilina qui confine au furor, proche de la folie. L'orateur utilise ainsi le registre polémique, en ne ménageant aucun moyen afin de décrédibiliser son adversaire.
→ La polysyndète (« ni », « ni », « ni »…) est employée pour ménager un effet de surprise dans la captatio benevolentiae.
→ La fameuse double exclamation « Ô temps ! ô mœurs ! » (o tempora, o mores, en latin) a acquis une véritable valeur de maxime par sa concision et les réflexions qu'elle stimule. Ces deux apostrophes que Cicéron adresse à des concepts abstraits (le temps et les mœurs), comme il l'aurait fait à des personnes, constituent des personnifications. À travers cette expression, Cicéron déplore la conduite morale des hommes de son époque.
Et pour l'épreuve ?
Les questions rhétoriques employées par Cicéron constituent un bon moyen d'attiser l'intérêt de ses examinateurs, à condition de les employer à bon escient. Dans un oral de cinq minutes, on pourra se contenter d'en formuler deux, à des endroits stratégiques, comme au tout début ou avant son annonce de plan.
L'utilisation de formules concises et percutantes est aussi bienvenue, comme « ô temps ! ô mœurs ! » Encore une fois, il ne s'agit pas d'en abuser. Mais un exorde gagne à contenir de telles maximes. On peut aussi les placer en fin de péroraison (conclusion).
On pourra difficilement employer le registre polémique dans le cadre du Grand oral. Néanmoins, certains sujets sur des problématiques humanitaires, politiques ou écologiques peuvent s'y prêter.
Dans d'autres contextes
De tels procédés fonctionnent très bien dans une joute verbale. Surtout, ne pas hésiter à jouer sur les oppositions entre les pronoms, afin de dessiner clairement les camps : « nous » contre « vous » ou contre « toi ». Les hommes politiques y ont fréquemment recours pour soutenir leurs idées. L'apostrophe (« Catalina ») permet de prendre à partie son adversaire, en le nommant par son nom. Elle contribue à définir clairement la situation et cadrer les enjeux.
La captatio benevolentiae
La captatio benevolentiae – qui signifie, en latin « recherche de la bienveillance [de l'auditoire] » – désigne la recherche, au début de l'exorde d'un discours, de l'attention bienveillante et des bonnes grâces d'un auditoire. Si l'expression provient des orateurs latins, ce sont les sophistes grecs qui en ont suggéré l'importance plusieurs siècles plus tôt. En revanche, Aristote, dans sa Rhétorique (entre – 329 et – 326), ne la considère pas comme essentielle : « Elle est semblable au prélude qu'exécute le joueur de flûte avant d'entamer le véritable morceau. » Ce parallèle avec les préludes musicaux est péjoratif. Selon Aristote, l'exorde en général peut éloigner de l'essentiel. Attention donc à ne pas s'égarer du sujet dans les premières phrases de son Grand oral !