Les établissements Schneider au Creusot sous la IIe République et le Second Empire

Le Creusot, en Saône-et-Loire, est une petite bourgade au début du xixe siècle. La cristallerie qui y est installée est rachetée par les frères Adolphe et Eugène Schneider en 1836, avec le soutien de la banque Seillière. Les Schneider fondent alors une véritable dynastie qui règne sur le territoire pendant plus d'un siècle, en faisant un centre d'industrialisation majeur.
En quoi le Creusot est-il un exemple représentatif de l'industrialisation de la France au xixe siècle ?
Eugène Schneider : portrait d'un patron d'industrie
• Le rachat des bâtiments de l'ancienne cristallerie en 1836 signe la création des établissements Schneider. En 1845, après la mort accidentelle de son frère Adolphe, Eugène Schneider en devient l'unique patron.
• Le territoire du Creusot est propice à l'installation d'un complexe industriel, car il s'y trouve des gisements de charbon et de minerai de fer. L'extraction minière permet un accès local aux matières premières pour fabriquer du métal (sidérurgie) et avec ce dernier construire des machines et des produits finis. Trois branches d'activité interdépendantes sont donc mises en place au Creusot. Les usines fabriquent notamment des locomotives et des structures métalliques : elles conquièrent le marché national, puis international avec ces productions modernes. Ainsi, dans les années 1860, des ponts métalliques sont produits pour la colonie française d'Algérie, mais aussi pour le Brésil, l'Autriche et la Russie. En 1869, les établissements Schneider construisent la charpente métallique de la gare d'Austerlitz, à Paris.
• Fort de son succès, Eugène Schneider entame une carrière politique. Dès 1845, il est élu député de Saône-et-Loire ; il est constamment réélu à la tête de sa circonscription sous le Second Empire. Proche de Napoléon III, il est nommé par ce dernier président du Corps législatif en 1867. La chute de l'Empire le pousse à l'exil pendant quelques mois. À son retour en France, le président de la nouvelle République Adolphe Thiers lui confie la fabrication de nouveaux canons en acier capables de concurrencer les canons allemands.
• Influent dans le milieu des affaires, le patron d'industrie Eugène Schneider a donc également une place importante dans la vie politique française. À sa mort en 1875, son fils Henri Schneider prend la succession. Ainsi, la réussite industrielle des Schneider les positionne comme l'une des plus puissantes familles du xixe siècle en France.
La naissance d'une ville industrielle
• Le développement du complexe industriel dirigé par Eugène Schneider modifie en profondeur le territoire du Creusot. L'industrie (c'est-à-dire la production de biens matériels par la transformation de matières premières) y devient rapidement la principale activité économique et le moteur de la croissance. Les établissements Schneider deviennent un bassin d'emploi attractif : les ouvriers sont recrutés dans les campagnes environnantes et la population du Creusot augmente considérablement. Ainsi, elle passe de 2 700 habitants en 1836 à plus de 28 000 habitants en 1881. Les hauts-fourneaux se multiplient et transforment le paysage de cette bourgade devenue ville nouvelle.
• Les Schneider règnent sans partage sur cette ville : Eugène Schneider en est d'ailleurs le maire de 1866 à 1870. Ils souhaitent inscrire le Creusot dans la modernité : ainsi, le chemin de fer relie rapidement les différents pôles du complexe industriel. Le télégraphe est installé dans l'usine, qui adopte une architecture moderne avec la construction de halles à structure métallique. En 1877, la construction d'un marteau-pilon doté d'un marteau de plus de 100 tonnes, actionné par la vapeur, permet de forger des lingots de fer et d'acier. C'est alors le plus puissant du monde et ce prodige de l'ingénierie devient le symbole de la puissance industrielle du Creusot.
• Avec l'industrialisation du territoire, la question du logement des ouvriers va rapidement se poser.
Les conditions de vie des ouvriers du Creusot
• Ainsi, Eugène Schneider fait construire deux cités ouvrières en 1865. L'une d'elles, la cité de Villedieu, est constituée de 80 maisons individuelles identiques, de deux pièces avec un petit jardin. Ces constructions correspondent à une vision paternaliste du rapport entre le patron et ses ouvriers. Le paternalisme désigne une attitude à la fois bienveillante, protectrice et condescendante dans l'exercice de l'autorité : le rapport entre patron et ouvriers doit être comparable à celui d'un père avec ses enfants. Ainsi, les ouvriers sont étroitement encadrés et fidélisés par l'accès à des avantages sociaux : Schneider fait construire des écoles, des bibliothèques et des hôpitaux. Le petit jardin individuel permet de fournir une occupation aux ouvriers après le travail.
• Cependant, le rapport hiérarchique entre patron et ouvriers reste extrêmement fort et parfois brutal : ainsi, en janvier 1870, une grève éclate au Creusot car Eugène Schneider refuse aux ouvriers le droit de gérer la caisse de secours de l'entreprise. À sa demande, 4 000 hommes de troupe sont envoyés pour occuper l'usine et mettre fin à la grève. Malgré cette réaction violente, la grève reprend en mars 1870. Ces soulèvements influenceront durablement le monde ouvrier français.