La guerre de 14-18 et l'émancipation des femmes

« Dans mon milieu, on trouvait alors incongru qu'une jeune fille fît des études poussées ; prendre un métier, c'était déchoir. Il va de soi que mon père était vigoureusement anti-féministe [...] ; il estimait que la place de la femme est au foyer et dans les salons. [...] Avant la guerre, l'avenir lui souriait ; il comptait faire une carrière prospère, des spéculations heureuses, et nous marier ma sœur et moi dans le beau monde. Pour y briller, il jugeait qu'une femme devait avoir non seulement de la beauté, de l'élégance, mais encore de la conversation, de la lecture, aussi se réjouissait-il de mes premiers succès d'écolière ; physiquement, je promettais ; si j'étais en outre intelligente et cultivée, je tiendrais avec éclat ma place dans la meilleure société. Mais s'il aimait les femmes d'esprit, mon père n'avait aucun goût pour les bas-bleus. Quand il déclara : « Vous, mes petites, vous ne vous marierez pas, il faudra travailler », il y avait de l'amertume dans sa voix. »
Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958

La Première Guerre mondiale a joué un rôle déterminant dans l'émancipation des femmes : les hommes étant mobilisés, elles représentent, dans un premier temps, la seule main-d'œuvre disponible « à l'arrière ». Progressivement, elles accèdent à des postes à responsabilité, s'intègrent dans le monde du travail et gèrent seules les finances du foyer. De nombreux signes témoignent de ce changement, dans tous les domaines : les jupes et les coupes de cheveux raccourcissent, le mouvement des suffragettes qui milite pour le droit de vote des femmes prend de l'ampleur... Pourtant, à la fin de la guerre, le retour des hommes s'accompagne pour un temps d'un retour à la « normale », difficilement supportable pour des femmes qui pensaient désormais occuper une tout autre place dans la société. Les mentalités évoluent lentement, comme en témoigne Simone de Beauvoir (1908-1986) dans les Mémoires d'une jeune fille rangée. Évoquant le milieu provincial et bourgeois dont elle est issue, elle dresse un tableau sans concession de la condition féminine.