L'affirmation de la puissance chinoise, sujet de métropole, juin 2025 (étude critique de documents, sujet 1)
Énoncé
Étude critique de document(s)
En analysant les documents, en les confrontant et en vous appuyant sur vos connaissances, vous analyserez les moyens et les conséquences de l'affirmation de la puissance chinoise dans les nouveaux espaces de conquête.
En analysant les documents, en les confrontant et en vous appuyant sur vos connaissances, vous analyserez les moyens et les conséquences de l'affirmation de la puissance chinoise dans les nouveaux espaces de conquête.
Document 1
La Marine française a effectué en 2021 des déploiements significatifs dans l'Indo-Pacifique, où s'observe une montée en puissance de la Chine. L'amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la Marine nationale, a répondu aux questions du journal Le Monde pour en dresser le bilan.
« L'armée chinoise a récemment multiplié les démonstrations militaires en Indo-Pacifique : elle a massé 200 bateaux devant l'îlot Whitsun revendiqué par les Philippines, cartographié les fonds de l'océan Indien avec des drones, envoyé vingt chasseurs J-20 dans la zone de défense aérienne de Taïwan… Comment analysez-vous ces comportements ?
Nous avons beaucoup d'éléments qui montrent un changement de posture. Nos bateaux sont systématiquement suivis, parfois contraints de manœuvrer face à des navires chinois pour éviter une collision, au mépris des règles de la liberté de navigation que nous défendons. Certaines de nos escales dans des pays de la région où nous avions des habitudes de passage sont annulées au dernier moment, sans explications claires.
Une pression « sanctuarisante » s'étend au-delà de la première chaîne d'îles en mer de Chine [la ligne dite des « neuf traits » considérée par la Chine comme sa frontière immédiate]. Cette chaîne a été poldérisée, des porte-avions fixes sanctuarisent l'espace, et viennent en quelque sorte fissurer la compréhension du droit international qui était partagée par tous. Au-delà, des logiques de contrainte s'exercent sur certains pays, ici pour ne pas forer, là pour ne pas accueillir de navires étrangers… Le développement militaire chinois répond évidemment à une volonté politique, et le livre blanc de la défense chinoise en a exposé les objectifs stratégiques. Le durcissement atteint une nouvelle phase, il était prédictible.
Vous voyez donc plus une logique de bastion que de perturbation des flux maritimes ?
L'approche est essentiellement territoriale au départ, et commerciale. Nous sommes face à une puissance qui a tourné le dos à la mer pendant cinq siècles mais qui, devenue une puissance commerciale mondiale, va devoir se « maritimiser ». Nous devons trouver les moyens de discuter avec une puissance qui occupe son espace et s'essaie au rapport de forces. Nous affrontons une logique d'étouffement. L'approche est multidomaines, elle utilise des leviers financiers, économiques, diplomatiques, militaires, et peut exercer sa pression par la guerre hybride, le cyber ou de nombreux autres moyens.
On vient d'apprendre que la marine chinoise va équiper son porte-avions d'un nouvel avion dédié, le FC-31. Est-ce le signe de cette maritimisation et une menace ?
Pour une marine de guerre, plusieurs étapes conduisent à la maîtrise d'un porte- avions : avoir un porte-hélicoptères, puis un navire allongé pour y placer un avion à décollage vertical, ensuite un pont permettant de propulser un avion terrestre « navalisé » à peu de frais. Enfin, pour avoir un véritable avion de combat, il faut une catapulte et un avion spécialisé, conçu pour le navire. Cette ambition avance sous nos yeux.
Un conflit peut-il survenir à Taïwan, comme le pensent certains analystes américains ?
Je resterais prudent. Mais l'accumulation des moyens militaires dans la région est telle que le Rubicon(1) est de moins en moins difficile à franchir. Et chaque jour qui passera d'ici à 2030 rendra cela un peu plus vrai, avec plus de bateaux, plus de missiles… Le coût d'une réaction militaire à une action militaire chinoise à Taïwan augmentera avec e temps, et c'est probablement ce qui est recherché, dans un effort de dissuasion. »
Nous avons beaucoup d'éléments qui montrent un changement de posture. Nos bateaux sont systématiquement suivis, parfois contraints de manœuvrer face à des navires chinois pour éviter une collision, au mépris des règles de la liberté de navigation que nous défendons. Certaines de nos escales dans des pays de la région où nous avions des habitudes de passage sont annulées au dernier moment, sans explications claires.
Une pression « sanctuarisante » s'étend au-delà de la première chaîne d'îles en mer de Chine [la ligne dite des « neuf traits » considérée par la Chine comme sa frontière immédiate]. Cette chaîne a été poldérisée, des porte-avions fixes sanctuarisent l'espace, et viennent en quelque sorte fissurer la compréhension du droit international qui était partagée par tous. Au-delà, des logiques de contrainte s'exercent sur certains pays, ici pour ne pas forer, là pour ne pas accueillir de navires étrangers… Le développement militaire chinois répond évidemment à une volonté politique, et le livre blanc de la défense chinoise en a exposé les objectifs stratégiques. Le durcissement atteint une nouvelle phase, il était prédictible.
Vous voyez donc plus une logique de bastion que de perturbation des flux maritimes ?
L'approche est essentiellement territoriale au départ, et commerciale. Nous sommes face à une puissance qui a tourné le dos à la mer pendant cinq siècles mais qui, devenue une puissance commerciale mondiale, va devoir se « maritimiser ». Nous devons trouver les moyens de discuter avec une puissance qui occupe son espace et s'essaie au rapport de forces. Nous affrontons une logique d'étouffement. L'approche est multidomaines, elle utilise des leviers financiers, économiques, diplomatiques, militaires, et peut exercer sa pression par la guerre hybride, le cyber ou de nombreux autres moyens.
On vient d'apprendre que la marine chinoise va équiper son porte-avions d'un nouvel avion dédié, le FC-31. Est-ce le signe de cette maritimisation et une menace ?
Pour une marine de guerre, plusieurs étapes conduisent à la maîtrise d'un porte- avions : avoir un porte-hélicoptères, puis un navire allongé pour y placer un avion à décollage vertical, ensuite un pont permettant de propulser un avion terrestre « navalisé » à peu de frais. Enfin, pour avoir un véritable avion de combat, il faut une catapulte et un avion spécialisé, conçu pour le navire. Cette ambition avance sous nos yeux.
Un conflit peut-il survenir à Taïwan, comme le pensent certains analystes américains ?
Je resterais prudent. Mais l'accumulation des moyens militaires dans la région est telle que le Rubicon(1) est de moins en moins difficile à franchir. Et chaque jour qui passera d'ici à 2030 rendra cela un peu plus vrai, avec plus de bateaux, plus de missiles… Le coût d'une réaction militaire à une action militaire chinoise à Taïwan augmentera avec e temps, et c'est probablement ce qui est recherché, dans un effort de dissuasion. »
Propos recueillis par Nathalie Guibert et Elise Vincent, « Amiral Pierre Vandier : En Indo-Pacifique, “nous affrontons une logique d'étouffement” », Le Monde, 10 juin 2021.
Document 2
![]() Dessin de Glenn Anthony T. Tolo paru dans le journal philippin Daily Tribune, 15 mars 2024. |
Corrigé
Introduction
[Accroche] En février 2023, la Chine est accusée d'espionnage par les États-Unis alors dirigés par le président Biden. En effet, plusieurs ballons d'observation ont survolé le territoire américain. L'incident provoque de fortes tensions diplomatiques entre les deux puissances, les États-Unis déclarant que le dirigeable transportait du matériel d'espionnage, tandis que la Chine défend la piste d'une station météorologique. Dans tous les cas, l'événement atteste de l'omniprésence de la Chine dans tous les espaces : ici, les airs mais aussi l'espace extra-atmosphérique et les mers.[Présentation des documents : la copie doit prendre en compte 5 éléments différents – type de document, auteur, contexte, objectif et sujet – et, pour chaque, apporter des éléments supplémentaires d'analyse à ce qui est simplement écrit dans le sujet.] Les deux documents évoquent cette affirmation de la Chine dans les nouveaux espaces de conquête, à savoir l'espace et les océans. Les deux ont été publiés dans la presse : pour le document 1, il s'agit d'une interview d'un militaire français publiée dans un grand quotidien généraliste français, Le Monde ; pour le document 2, il s'agit d'un dessin publié dans un journal quotidien philippin, le Daily Tribune. Les deux documents sont récents et ont trois ans de différence, le premier datant de 2021 tandis que le deuxième a été publié en 2024. Les deux interviennent dans la période post-COVID alors que la Chine affiche sa politique expansionniste à l'échelle régionale et s'affirme comme une puissance mondiale, rivale des États-Unis et plus largement des pays occidentaux. Le document 1 évoque la forte présence militaire chinoise dans les mers et les airs, parfois au mépris du droit international, tandis que le dessin évoque les objectifs de la Chine en matière de conquête spatiale. Les deux documents regardent avec distance et critique les actions de la Chine.
[Problématique] Pourquoi la Chine, en investissant les mers et l'espace, transforme-t-elle la géopolitique régionale et mondiale ?
[Annonce du plan] D'abord, la Chine se montre comme une puissance mondiale complète quand elle investit les mers et l'espace. En s'affirmant sur ces nouveaux espaces de conquête, elle transforme aussi les relations internationales à l'échelle régionale mais également mondiale.
I. La montée en puissance de la Chine dans les mers et l'espace
En premier lieu, la Chine investit les mers et l'espace en utilisant tous les moyens de la puissance, c'est-à-dire le hardpower, sa capacité de coercition, et le softpower, sa capacité d'influence.
1. Le développement de l'armée chinoise
D'abord, pour investir les nouveaux espaces de conquête, la Chine utilise son armée. C'est essentiellement le premier document qui développe cet aspect. La Chine se dote de moyens militaires impressionnants pour contrôler les mers et les océans de sa zone régionale. Les journalistes évoquent « les démonstrations militaires en Indo-Pacifique ». L'amiral Pierre Vandier fait référence, quant à lui, à la stratégie militaire pensée et mise en œuvre par l'État chinois : « Le développement militaire chinois répond évidemment à une volonté politique, et le livre blanc de la défense chinoise en a exposé les objectifs stratégiques. Le durcissement atteint une nouvelle phase, il était prédictible. ». En effet, en 2015, le dirigeant Xi Jinping lance une grande réforme de l'armée et fixe des objectifs pour 2049, c'est-à-dire pour le centenaire de la République Populaire de Chine. La Chine doit notamment se doter d'une « armée de classe mondiale ». Elle investit alors fortement dans sa marine. D'abord, elle atteint rapidement son premier objectif de dépasser la puissance étasunienne en nombre : quand l'interview paraît, la Chine a déjà 350 navires de guerre contre 293 pour les États-Unis. Elle a aussi davantage de marins : 225 000 hommes contre moins de 200 000 dans l'US Navy. Ensuite, elle entend rattraper son retard technologique. Le militaire interviewé évoque cet élément : « Pour avoir un véritable avion de combat, il faut une catapulte et un avion spécialisé, conçu pour le navire. Cette ambition avance sous nos yeux. » En effet, il existe deux types de porte-avions. Le porte-avions à tremplin, le plus couramment déployé, qui lance les avions avec moins de puissance que le porte-avions à catapulte. En 2021, seuls les États-Unis et la France, avec le Charles-de-Gaulle, possèdent des porte-avions à catapulte. Toutefois, la Chine est alors en train d'élaborer le Fujian, son troisième porte-avions, désormais doté de catapultes. Depuis, il a effectué ses premiers essais en mer en mai 2024. De même, la Chine travaille sur un 4e porte-avions, lui aussi à catapulte, dont la propulsion serait désormais nucléaire. Bref, sans porte-avions avant 2012, la Chine est désormais la seule puissance avec les États-Unis à en posséder plus de deux. Enfin, le texte l'évoque en sous-main mais la Chine s'est dotée d'une véritable force de projection au-delà de la mer de Chine. Depuis 2017, elle dispose de bases militaires à l'étranger, la première étant à Djibouti et lui ouvrant l'accès occidental à l'océan Indien. Elle dispose également de ses propres installations militaires dans de nombreux ports de l'océan Indien.2. Une présence tendue dans la région Indo-Pacifique
Ainsi, la Chine allie moyens militaires et diplomatiques pour s'imposer dans la région Indo-Pacifique. La stratégie diplomatique est évoquée à plusieurs reprises dans l'interview : « Certaines de nos escales dans des pays de la région où nous avions nos habitudes de passage sont annulées au dernier moment, sans explications claires. », « des logiques de contrainte s'exercent sur certains pays, ici pour ne pas forer, là pour ne pas accueillir de navires étrangers » et « Nous affrontons une logique d'étouffement. L'approche est multi-domaine, elle utilise des leviers financiers, économiques et diplomatiques ». En effet, la Chine affirme sa présence dans l'océan Indien. Certes, cela passe par une patrouille militaire au large du golfe d'Aden sous prétexte de lutter contre la piraterie. Toutefois, la Chine a aussi créé tout un réseau de pays amis dans la région. La Chine dispose ainsi de facilités dans plusieurs ports, aux Maldives, au Sri Lanka, au Bangladesh, en Birmanie, en Thaïlande, aux Seychelles, à l'île Maurice, ce qui lui permet de quadriller la zone. Elle dispose également du soutien du Pakistan. Les Américains appellent cette stratégie « le collier de perles » et soutiennent l'idée que la Chine entend enserrer sa principale rivale dans la zone, l'Union indienne. Sur un plan plus factuel, la constitution de ce réseau est le résultat d'un projet économique et diplomatique pharaonique lancé par la Chine de Xi Jinping en 2013 : « les Nouvelles Routes de la Soie ». L'objectif est d'investir fortement dans les infrastructures de transport de nombreux États pour que ces derniers deviennent des alliés, voire des États redevables. En effet, la Chine n'offre pas la création d'infrastructures mais avance l'argent par l'intermédiaire des banques. Les États qui bénéficient des aménagements deviennent donc débiteurs. Aujourd'hui, le projet concerne 138 pays et permet à la Chine de s'implanter dans toute la zone Indo-Pacifique, notamment sur les côtes africaines et même au-delà, en Amérique latine et en Europe. Ce projet repose aussi sur le savoir technologique de la Chine.3. Le développement technologique et spatial
C'est le troisième outil qu'utilise la Chine pour conquérir mers et espace. En effet, ses capacités technologiques et innovantes lui permettent de maîtriser les nouveaux espaces de conquête. D'abord, l'amiral Vandier fait allusion au « cyber » dans la liste des moyens dont dispose la Chine aujourd'hui pour s'imposer comme puissance. La Chine contrôle très fortement Internet par plusieurs biais : les cyberattaques, mais aussi le contrôle des infrastructures. L'État chinois développe ainsi « des routes de la soie numériques ». Cela passe par le déploiement d'une mégaconstellation de 13 000 satellites en orbite basse, pour couvrir les télécommunications de toute l'Asie. De même, l'entreprise chinoise Huawei est aujourd'hui en charge de la pose de câbles, notamment sous-marins, pour relier l'Afrique au reste du monde. Le document 2 évoque un autre aspect du déploiement de la Chine dans l'espace. En effet, le dessin montre un taïkonaute réalisant une sortie extravéhiculaire pour tracer une ligne sur la Lune. Le taïkonaute est relié à une station spatiale chinoise. On peut l'observer par la présence, sur son équipement comme sur la station, du drapeau chinois. Depuis 2000, la Chine investit massivement dans la conquête spatiale – elle a le deuxième budget avec 11 milliards de dollars annuels derrière les États-Unis. Dès 2008, un premier taïkonaute, Zhai Zhigang, réalise une sortie d'une quinzaine de minutes dans l'espace durant laquelle il brandit un drapeau chinois. Surtout, à partir de 2011, la Chine se dote d'une station spatiale. En 2021, elle lance sa deuxième station, qui concurrence l'ISS, la station spatiale internationale dont elle ne fait pas partie. Elle souhaite d'ailleurs que des scientifiques et des astronautes d'autres nationalités viennent à son bord. Bref, la Chine utilise l'espace pour rayonner comme puissance. Enfin, début 2019, la Chine parvient à poser un engin sur la face cachée de la Lune et est actuellement le seul pays à disposer d'un robot sur l'espace lunaire. Cette opération fait partie de son programme de conquête de la Lune, Chang'e. L'objectif ultime est la mise en place d'une base lunaire permanente dans les années 2030.Ainsi, la Chine utilise tous les moyens – militaires, diplomatiques et économiques, technologiques – pour investir l'espace et les mers. Cette affirmation croissante a des conséquences importantes : les actions et les discours de la Chine conduisent à une modification de la géopolitique régionale et mondiale.
II. Les conséquences de l'affirmation de la Chine sur la scène internationale
L'affirmation de la Chine sur les mers et dans l'espace renforce les tensions au niveau régional et mondial et engendre une reconfiguration des relations internationales.