Corrigé
Introduction
[Accroche] En février 2023, la Chine est accusée d'espionnage par les États-Unis alors dirigés par le président Biden. En effet, plusieurs ballons d'observation ont survolé le territoire américain. L'incident provoque de fortes tensions diplomatiques entre les deux puissances, les États-Unis déclarant que le dirigeable transportait du matériel d'espionnage, tandis que la Chine défend la piste d'une station météorologique. Dans tous les cas, l'événement atteste de l'omniprésence de la Chine dans tous les espaces : ici, les airs mais aussi l'espace extra-atmosphérique et les mers.
[Présentation des documents : la copie doit prendre en compte 5 éléments différents – type de document, auteur, contexte, objectif et sujet – et, pour chaque, apporter des éléments supplémentaires d'analyse à ce qui est simplement écrit dans le sujet.] Les deux documents évoquent cette affirmation de la Chine dans les nouveaux espaces de conquête, à savoir l'espace et les océans. Les deux ont été publiés dans la presse : pour le document 1, il s'agit d'une interview d'un militaire français publiée dans un grand quotidien généraliste français, Le Monde ; pour le document 2, il s'agit d'un dessin publié dans un journal quotidien philippin, le Daily Tribune. Les deux documents sont récents et ont trois ans de différence, le premier datant de 2021 tandis que le deuxième a été publié en 2024. Les deux interviennent dans la période post-COVID alors que la Chine affiche sa politique expansionniste à l'échelle régionale et s'affirme comme une puissance mondiale, rivale des États-Unis et plus largement des pays occidentaux. Le document 1 évoque la forte présence militaire chinoise dans les mers et les airs, parfois au mépris du droit international, tandis que le dessin évoque les objectifs de la Chine en matière de conquête spatiale. Les deux documents regardent avec distance et critique les actions de la Chine.
[Problématique] Pourquoi la Chine, en investissant les mers et l'espace, transforme-t-elle la géopolitique régionale et mondiale ?
[Annonce du plan] D'abord, la Chine se montre comme une puissance mondiale complète quand elle investit les mers et l'espace. En s'affirmant sur ces nouveaux espaces de conquête, elle transforme aussi les relations internationales à l'échelle régionale mais également mondiale.
I. La montée en puissance de la Chine dans les mers et l'espace
En premier lieu, la Chine investit les mers et l'espace en utilisant tous les moyens de la puissance, c'est-à-dire le hardpower, sa capacité de coercition, et le softpower, sa capacité d'influence.
1. Le développement de l'armée chinoise
D'abord, pour investir les nouveaux espaces de conquête, la Chine utilise son armée. C'est essentiellement le premier document qui développe cet aspect. La Chine se dote de moyens militaires impressionnants pour contrôler les mers et les océans de sa zone régionale. Les journalistes évoquent « les démonstrations militaires en Indo-Pacifique ». L'amiral Pierre Vandier fait référence, quant à lui, à la stratégie militaire pensée et mise en œuvre par l'État chinois : « Le développement militaire chinois répond évidemment à une volonté politique, et le livre blanc de la défense chinoise en a exposé les objectifs stratégiques. Le durcissement atteint une nouvelle phase, il était prédictible. ». En effet, en 2015, le dirigeant Xi Jinping lance une grande réforme de l'armée et fixe des objectifs pour 2049, c'est-à-dire pour le centenaire de la République Populaire de Chine. La Chine doit notamment se doter d'une « armée de classe mondiale ». Elle investit alors fortement dans sa marine. D'abord, elle atteint rapidement son premier objectif de dépasser la puissance étasunienne en nombre : quand l'interview paraît, la Chine a déjà 350 navires de guerre contre 293 pour les États-Unis. Elle a aussi davantage de marins : 225 000 hommes contre moins de 200 000 dans l'US Navy. Ensuite, elle entend rattraper son retard technologique. Le militaire interviewé évoque cet élément : « Pour avoir un véritable avion de combat, il faut une catapulte et un avion spécialisé, conçu pour le navire. Cette ambition avance sous nos yeux. » En effet, il existe deux types de porte-avions. Le porte-avions à tremplin, le plus couramment déployé, qui lance les avions avec moins de puissance que le porte-avions à catapulte. En 2021, seuls les États-Unis et la France, avec le Charles-de-Gaulle, possèdent des porte-avions à catapulte. Toutefois, la Chine est alors en train d'élaborer le Fujian, son troisième porte-avions, désormais doté de catapultes. Depuis, il a effectué ses premiers essais en mer en mai 2024. De même, la Chine travaille sur un 4e porte-avions, lui aussi à catapulte, dont la propulsion serait désormais nucléaire. Bref, sans porte-avions avant 2012, la Chine est désormais la seule puissance avec les États-Unis à en posséder plus de deux. Enfin, le texte l'évoque en sous-main mais la Chine s'est dotée d'une véritable force de projection au-delà de la mer de Chine. Depuis 2017, elle dispose de bases militaires à l'étranger, la première étant à Djibouti et lui ouvrant l'accès occidental à l'océan Indien. Elle dispose également de ses propres installations militaires dans de nombreux ports de l'océan Indien.
2. Une présence tendue dans la région Indo-Pacifique
Ainsi, la Chine allie moyens militaires et diplomatiques pour s'imposer dans la région Indo-Pacifique. La stratégie diplomatique est évoquée à plusieurs reprises dans l'interview : « Certaines de nos escales dans des pays de la région où nous avions nos habitudes de passage sont annulées au dernier moment, sans explications claires. », « des logiques de contrainte s'exercent sur certains pays, ici pour ne pas forer, là pour ne pas accueillir de navires étrangers » et « Nous affrontons une logique d'étouffement. L'approche est multi-domaine, elle utilise des leviers financiers, économiques et diplomatiques ». En effet, la Chine affirme sa présence dans l'océan Indien. Certes, cela passe par une patrouille militaire au large du golfe d'Aden sous prétexte de lutter contre la piraterie. Toutefois, la Chine a aussi créé tout un réseau de pays amis dans la région. La Chine dispose ainsi de facilités dans plusieurs ports, aux Maldives, au Sri Lanka, au Bangladesh, en Birmanie, en Thaïlande, aux Seychelles, à l'île Maurice, ce qui lui permet de quadriller la zone. Elle dispose également du soutien du Pakistan. Les Américains appellent cette stratégie « le collier de perles » et soutiennent l'idée que la Chine entend enserrer sa principale rivale dans la zone, l'Union indienne. Sur un plan plus factuel, la constitution de ce réseau est le résultat d'un projet économique et diplomatique pharaonique lancé par la Chine de Xi Jinping en 2013 : « les Nouvelles Routes de la Soie ». L'objectif est d'investir fortement dans les infrastructures de transport de nombreux États pour que ces derniers deviennent des alliés, voire des États redevables. En effet, la Chine n'offre pas la création d'infrastructures mais avance l'argent par l'intermédiaire des banques. Les États qui bénéficient des aménagements deviennent donc débiteurs. Aujourd'hui, le projet concerne 138 pays et permet à la Chine de s'implanter dans toute la zone Indo-Pacifique, notamment sur les côtes africaines et même au-delà, en Amérique latine et en Europe. Ce projet repose aussi sur le savoir technologique de la Chine.
3. Le développement technologique et spatial
C'est le troisième outil qu'utilise la Chine pour conquérir mers et espace. En effet, ses capacités technologiques et innovantes lui permettent de maîtriser les nouveaux espaces de conquête. D'abord, l'amiral Vandier fait allusion au « cyber » dans la liste des moyens dont dispose la Chine aujourd'hui pour s'imposer comme puissance. La Chine contrôle très fortement Internet par plusieurs biais : les cyberattaques, mais aussi le contrôle des infrastructures. L'État chinois développe ainsi « des routes de la soie numériques ». Cela passe par le déploiement d'une mégaconstellation de 13 000 satellites en orbite basse, pour couvrir les télécommunications de toute l'Asie. De même, l'entreprise chinoise Huawei est aujourd'hui en charge de la pose de câbles, notamment sous-marins, pour relier l'Afrique au reste du monde. Le document 2 évoque un autre aspect du déploiement de la Chine dans l'espace. En effet, le dessin montre un taïkonaute réalisant une sortie extravéhiculaire pour tracer une ligne sur la Lune. Le taïkonaute est relié à une station spatiale chinoise. On peut l'observer par la présence, sur son équipement comme sur la station, du drapeau chinois. Depuis 2000, la Chine investit massivement dans la conquête spatiale – elle a le deuxième budget avec 11 milliards de dollars annuels derrière les États-Unis. Dès 2008, un premier taïkonaute, Zhai Zhigang, réalise une sortie d'une quinzaine de minutes dans l'espace durant laquelle il brandit un drapeau chinois. Surtout, à partir de 2011, la Chine se dote d'une station spatiale. En 2021, elle lance sa deuxième station, qui concurrence l'ISS, la station spatiale internationale dont elle ne fait pas partie. Elle souhaite d'ailleurs que des scientifiques et des astronautes d'autres nationalités viennent à son bord. Bref, la Chine utilise l'espace pour rayonner comme puissance. Enfin, début 2019, la Chine parvient à poser un engin sur la face cachée de la Lune et est actuellement le seul pays à disposer d'un robot sur l'espace lunaire. Cette opération fait partie de son programme de conquête de la Lune, Chang'e. L'objectif ultime est la mise en place d'une base lunaire permanente dans les années 2030.
Ainsi, la Chine utilise tous les moyens – militaires, diplomatiques et économiques, technologiques – pour investir l'espace et les mers. Cette affirmation croissante a des conséquences importantes : les actions et les discours de la Chine conduisent à une modification de la géopolitique régionale et mondiale.
II. Les conséquences de l'affirmation de la Chine sur la scène internationale
L'affirmation de la Chine sur les mers et dans l'espace renforce les tensions au niveau régional et mondial et engendre une reconfiguration des relations internationales.
1. Des tensions au niveau régional…
D'abord, la Chine investit les mers pour appuyer ses revendications territoriales, ce qui génère des tensions avec les autres États de la région. Ainsi, les deux documents évoquent les tensions entre la Chine et les Philippines pour des îles. Dans le document 1, les journalistes rappellent que la Chine « a massé 200 bateaux devant l'îlot Whitsun revendiqué par les Philippines ». De même, le document 2 fait référence à ces tensions en ne faisant figurer que la Chine et les Philippines séparées par une ligne sur le globe terrestre en bas à gauche de l'image. En effet, les îles Spratleys sont des îlots disputés par les deux puissances. Plus largement, la Chine revendique systématiquement les îles au sein des mers de Chine. Dès les années 1940, la Chine revendique la totalité de la mer de Chine méridionale. Pour appuyer ses revendications, la Chine utilise des cartes anciennes et indique que c'est elle qui a découvert les îles durant la période médiévale. Même si l'État chinois parle de ligne discontinue, de nombreux médias matérialisent la zone revendiquée par une ligne à 9 ou 10 traits (aussi appelée ligne en langue de bœuf), visible sur le document 2. Outre les Spratleys, la Chine souhaite avoir la mainmise sur les îles Pratas, administrées par Taïwan, les îles Paracels, revendiquées par Taïwan et le Vietnam, ainsi que les îles Natuna. Toutes ces îles lui permettraient d'agrandir considérablement sa Zone Économique Exclusive (ZEE). Une autre revendication majeure de la République Populaire de Chine est Taïwan. L'interview l'évoque dans le dernier paragraphe. Aujourd'hui, les tensions sont fortes entre la Chine et Taïwan, soutenu par les États-Unis. Régulièrement, il y a des escarmouches et des déploiements de force de la Chine. Les incidents diplomatiques avec annulation de visites officielles de ministres américains sont fréquents. Bref, les tensions sont très fortes entre la Chine et ses voisins. La mer de Chine est fortement militarisée et la menace d'une guerre ouverte existe.
2. … mais aussi au niveau international.
Par sa politique expansionniste, la Chine remet d'ailleurs fortement en cause le droit international. Le document 1 indique que la chaîne des îles en mer de Chine « a été poldérisée, des porte-avions fixes sanctuarisent l'espace, et viennent en quelque sorte fissurer la compréhension du droit international qui était partagée par tous. ». Ainsi, la Chine a pris matériellement possession de nombreuses îles qu'elle revendique. Elle ne respecte pas la convention de Montego Bay ni les arbitrages des juridictions internationales. En 2016, les Philippines ont poursuivi la Chine pour occupation des îles auprès de la Cour Permanente d'Arbitrage de La Haye. Cette dernière a débouté la Chine dans son projet d'extension en s'appuyant sur la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) signée à Montego Bay. Il y est écrit que les rochers qui ne se prêtent pas à une habitation humaine ou à une vie économique propre n'ont pas de ZEE, ni de plateau continental. D'autre part, la Chine fait des mers de sa région des mers intérieures. L'amiral français déclare : « Nos bateaux sont systématiquement suivis, parfois contraints de manœuvrer face à des navires chinois pour éviter une collision, au mépris des règles de la liberté que nous défendons. ». La CNUDM classe les océans en différentes zones. L'État riverain n'a le droit de fixer des règles de navigation et de survol que dans la mer territoriale, soit dans une zone s'étendant à 12 miles du littoral. Ailleurs, y compris dans la ZEE, il y a une liberté totale de navigation ou de survol pour les bâtiments étrangers. En traquant tout navire qui circule en mer de Chine ou dans l'océan Indien, la Chine contrevient à ce principe fondamental. Cette position appelle à une reconfiguration des relations internationales, pour éviter la montée des tensions et rester dans un monde où la paix doit être la priorité. C'est ce à quoi appelle le militaire français quand il déclare : « Nous devons trouver les moyens de discuter avec une puissance qui occupe son espace et s'essaie au rapport de forces. »
Conclusion
En conclusion, la Chine, en investissant les mers et l'espace, transforme la géopolitique régionale et mondiale. En effet, elle s'affirme d'abord comme une puissance mondiale et complète : elle maîtrise tous les outils de la puissance, aussi bien militaires, diplomatiques que technologiques. Surtout, elle s'affirme comme une puissance rivale des autres grandes puissances : haut niveau dans la conquête spatiale en parallèle du travail international autour de l'ISS, logique expansionniste à l'échelle régionale mais aussi mondiale avec le projet des Nouvelles Routes de la Soie. Cette politique engendre de fortes tensions avec les grandes puissances occidentales mais aussi avec les États de la région. De même, la Chine, comme d'autres, entame fortement les bases des relations internationales en ne respectant pas le cadre juridique fixé par les Nations Unies.