« La vérité est-elle toujours convaincante ? », sujet de métropole, juin 2025

Énoncé

La vérité est-elle toujours convaincante ?

Corrigé

Introduction
Depuis quelques années, le terme « fake news » est apparu pour désigner un ensemble de discours politiques ou médiatiques réfutant des propos considérés comme des vérités. Elles vont souvent à l'encontre des faits, pour décrire un monde différent de celui établi par les scientifiques ou les personnes sur le terrain. Un moment paradigmatique a été la pandémie du Covid-19, durant laquelle beaucoup se sont exprimés publiquement, ce qui a donné lieu à de multiples débats, notamment concernant l'origine de la maladie ou les traitements possibles. Ainsi, des scientifiques ont été questionnés et ont été propulsés au cœur de vives réactions assimilées pour certaines à des théories du complot. Cela nous amène à nous interroger. Que croire ? Quoi penser ? Pourquoi la vérité ne triomphe-t-elle pas d'elle-même ? Comment peut-il y avoir des contre-vérités, que nous ne désignons ni comme erreurs ni comme mensonges ? Nous sommes habitués à penser que la vérité convainc toujours. Néanmoins, cette crise témoigne du fait que, parfois, la vérité semble avoir des failles. Ainsi, la vérité est-elle toujours convaincante ?
Ancrer le sujet dans des exemples concrets permet de rendre compte de l'urgence de l'analyse. Faire apparaître le sujet nécessite une véritable réflexion.
Afin de mettre en exergue l'exigence de ce questionnement, commençons par en définir les termes. La vérité est considérée traditionnellement comme un discours ou une idée qui se rapporte de manière adéquate au réel. Le réel n'est ni vrai ni faux. Il se rapporte à nos pensées, notre jugement et notre discours. Ce sont des vérités – ou non –, des erreurs, ou des mensonges. Mais alors, la vérité étant ce qui correspond au réel, elle semble toujours devoir convaincre, c'est-à-dire s'adresser à la raison, pour nous y faire adhérer. Ainsi, nous devrions être convaincu par chaque vérité lorsqu'elle nous est présentée, grâce à son caractère tangible. Or, dans les exemples cités en préambule, nous voyons qu'il peut y avoir un échec dans ce passage de l'énoncé de la vérité à la conviction de l'interlocuteur. S'agit-il d'un défaut du discours ? d'un défaut de l'interlocuteur ? de l'énonciateur ? ou est-ce un facteur extérieur qui viendrait entraver son caractère véridique, voire remettre en question la vérité en elle-même. Une nouvelle hypothèse apparaît selon laquelle convaincre signifierait faire adhérer : or, nous connaissons tous des choses que nous pensons vraies sans pour autant y adhérer. En d'autres termes, nous pouvons connaître une vérité sans en faire une vérité. Par exemple nous pouvons nous accorder sur certains faits liés au risque environnemental provoqué par la pollution, sans pour autant changer nos agissements.
Les définitions peuvent parfois ouvrir sur différents aspects du sujet. Plusieurs approches sont envisageables, en se focalisant soit sur un axe précis, soit sur les deux.
La problématique se déploie ainsi sur deux axes. Le premier interroge sur le caractère convaincant de la vérité : l'est-elle toujours ? Si nous constatons que non, cela vient-il de la vérité ou d'un système extérieur à elle ? Puis un second axe nous permet d'interpréter « conviction » au sens de valeur. Ainsi, la vérité modifie-t-elle nos valeurs, c'est-à-dire nos façons de vivre, ou bien y a-t-il un refus possible de cette vérité ?
Le travail de définition et de distinction des notions doit permettre de faire apparaître la multiplicité des angles d'interrogation du sujet : ce sont ces angles qui constitueront la problématique. C'est la synthèse des interrogations que porte la question de la dissertation.
En outre, comment penser que la vérité est toujours convaincante si elle entend pouvoir se différencier d'autres types de discours par son accord avec le réel, et si, dans le même temps, elle témoigne d'un échec du discours vrai à convaincre ?
Nous aborderons dans un premier temps l'idée d'une puissance intrinsèque de conviction dans la vérité, en essayant de montrer que celle-ci se construit dans une logique qui la différencie, indépendamment de discours concurrents. Nous travaillerons alors à analyser d'une part ce qui fait échouer, et d'autre part, que si la vérité a toujours la puissance de convaincre, elle ne l'actualise pas toujours. Enfin, nous tâcherons de montrer qu'il y a une distinction entre la conviction dite « intellectuelle » et la conviction « existentielle ». Selon ce postulat, la vérité convaincrait toujours selon la construction de son argumentaire.
L'annonce de plan doit faire apparaître le déroulé logique du développement. Il doit annoncer la progression de l'argumentaire ainsi que ce qui explique cette dernière. Ici, nous travaillons à travers une distinction « en puissance » et « en acte », pour expliquer le passage de la première partie à la seconde, puis nous cherchons à ouvrir depuis « la vérité » vers des vérités de différents types pour proposer une résolution de la tension remarquée dans les deux premiers temps du développement.
I. La puissance convaincante de la vérité
1. Ce qui distingue la vérité, c'est de pouvoir convaincre
Des centaines d'années durant, l'humanité a admis que la Terre était au centre de l'univers ; les Européens ont voyagé jusqu'en Amérique, s'aidant de cartes astronomiques construites sur ce modèle. Cette représentation géocentrique de l'univers, construite dans l'Antiquité par Ptolémée, a été remise en question lors de la « révolution scientifique », et remplacée par le modèle héliocentrique. Dès lors, le soleil est représenté au centre du système astronomique. C'est ce modèle qui est décrit comme le plus proche du réel. Or, la révolution scientifique a soulevé de nouvelles interrogations à l'égard de la pensée moderne : comment éviter de reproduire l'erreur que nous avons commise durant des centaines d'années ? Comment la vérité peut-elle être distinguée du genre d'autres idées ? Pouvons-nous éviter d'adhérer une nouvelle fois à un modèle erroné ? Il fallait donc trouver un critère distinguant la vérité d'autres types de discours. C'est à cette tâche que s'attelle Descartes au début du xviie siècle. Il publie notamment les Règles pour la direction de l'esprit, dans lesquelles il tente de développer une méthode pour reconnaître et construire un discours « vrai ». Il défend que la vérité est un type de discours qui doit répondre à l'exigence de la démonstration mathématique : pouvoir convaincre. Il faut pouvoir analyser un discours, le diviser en parties simples et compréhensibles, pour alors le résoudre, élément par élément, en construisant une chaîne de raisonnements. Ainsi, chaque partie est assurée par la validité du précédent maillon dans l'ensemble de la chaîne, nous amenant à déduire la solution. Le modèle mathématique est à la faveur de Descartes, car la discipline scientifique ne repose ni sur des observations subjectives ni sur une opinion, mais bien sur une démonstration rationnelle qui peut être vérifiée et reconnue par tous. Ainsi, si, sur un sujet donné, nous ne pouvons pas appliquer une analyse méthodique et rationnelle, alors il n'est question que d'opinions subjectives faisant l'objet d'un exercice de rhétorique, dénué de toute puissance de conviction. A contrario, la vérité se caractérise par une évidence que chacun peut percevoir grâce à la démonstration de son argumentation. Cela montre que la vérité est, par définition, toujours convaincante ; non pas qu'elle réussisse par nature à triompher de nous, mais bien qu'elle s'adresse à la raison et que tout individu prenant appui sur sa démonstration peut se figurer sa vérité.
2. La vérité est une conviction de la conscience
La vérité n'est donc pas un discours ou une idée parmi toutes les autres : elle a une caractéristique supplémentaire ou particulière pour notre conscience. Nous ne sommes pas comme devant un « magasin de discours » dans lequel nous choisirions notre vérité parmi un ensemble proposé. La vérité produit une contrainte sur l'esprit. Nous n'y adhérons pas seulement par choix ou par préférence, mais bien par nécessité. Nous pourrions donner là toute l'ampleur du mot « convaincre » : notre conscience est vaincue par la vérité qui prévaut, sans contradiction possible. Cette perspective est défendue par Husserl, dans Recherches sur l'origine de la géométrie. Il explique que la vérité s'impose à la conscience quand elle se manifeste à elle. La conscience vit la vérité comme une évidence, elle est contrainte par celle-ci de reconnaître sa véridicité. Cette contrainte provient de la structure de notre conscience et de la façon dont elle se réfère à l'essence des choses auxquelles elle se rapporte. Ainsi, la vérité ne s'abat pas sur nous ; nous devons la penser, la concevoir, la construire. Nous ne sommes pas vaincu, mais « convaincu », comme dans une forme d'échange ou de partenariat. Ainsi en mathématiques, la conscience ne choisit pas sa vérité. Prenons l'exemple du carré : la structure même de la forme du carré s'impose à l'esprit qui adhère à un ensemble d'idées liées au carré qui possède quatre angles droits. Il reconnaît les caractéristiques du carré, qu'il ne peut réfuter du fait des propriétés mathématiques qui en font une vérité. Toute personne, bien que de bonne foi, qui défendrait qu'un carré n'a pas quatre angles droits et quatre côtés de même longueur serait en contradiction interne avec sa conscience. Ainsi, la vérité n'est pas un discours anodin ou un choix laissé à la conscience. Il est question de ce que la conscience perçoit structurellement de manière claire, qui s'impose à elle comme une vérité. La vérité a donc comme structure de s'imposer à la conscience, fondamentalement convaincante. Si nous reprenons l'exemple de la controverse astronomique : chacun peut se figurer que le modèle héliocentrique décrit le réel avec plus de pertinence que le modèle géocentrique. Nous pourrions objecter que Galilée a été mis en procès et a été sommé de retirer l'hypothèse héliocentrique, insinuant ainsi que les accusateurs de Galilée n'ont pas été convaincus de la théorie ; toutefois, malgré ce procès, le modèle héliocentrique a renversé le précèdent, car sa structure était intrinsèquement plus convaincante. Ainsi, la vérité convainc toujours. Elle triomphe, car elle est une structure particulière de la conscience. Néanmoins, bien que la vérité triomphe le plus souvent, nous constatons qu'elle peut être parfois rejetée.
Finir un paragraphe par un problème permet de donner une continuité de réponse entre les arguments.
3. La puissance de conviction de la vérité
Cela met en exergue la puissance de conviction de la vérité. Elle n'est pas un discours parmi les autres ; elle possède une puissance supplémentaire qu'est le pouvoir d'entraîner la conviction. Parmi les autres discours, elle dispose intrinsèquement de cette caractéristique, car elle peut être établie de manière rationnelle, logique et mathématique, par la conceptualisation de l'esprit. Ainsi, l'esprit est en capacité de suivre le raisonnement de la vérité énoncée qui triomphe de toute autre idée comme une évidence. Cela expliquerait que la vérité finit par être admise et acceptée. De cette façon, durant le procès de Galilée, lorsque l'astronome a été interrogé, il a dû accepter de retirer sa théorie, bien que celle-ci eût été l'hypothèse finalement admise grâce à sa vérité démontrée. Néanmoins, le cas du procès permet de faire la distinction entre cette puissance et son actualisation. La vérité a toujours la puissance de convaincre, mais cette puissance ne s'actualise pas toujours. Elle est parfois non convaincante, non pas qu'elle soit essentiellement sans capacité à convaincre, mais pour des raisons accidentelles. Cela même qui est en puissance, sous forme de potentialité, s'oppose avec l'acte qui est la manifestation de cette puissance. Or, la vérité a une puissance qu'il faut faire advenir et non pas attendre. Les conditions doivent être réunies pour faire apparaître sa puissance de conviction devant les autres. Il y a donc des caractéristiques extérieures à la vérité, qui actualisent, ou non, sa puissance de conviction. Par exemple, une personne qui aurait défendu la thèse de l'héliocentrisme durant l'Antiquité aurait eu factuellement raison, mais aucune démonstration n'aurait donné l'intuition de la vérité de son idée. Elle n'aurait pas pu être plus convaincante que les autres idées en l'absence d'un ensemble de données permettant à son pouvoir de conviction de se réaliser.
Nous pouvons défendre des hypothèses sans passer par la référence à des auteurs, comme faire appel aux repères conceptuels pour aider à préciser son argumentation. Ici, c'est la distinction entre en puissance et en acte qui forme le fondement de l'argument.
Dans un premier temps, nous avons montré que la caractéristique particulière de la vérité est sa capacité à entraîner la conviction, car elle repose sur une structure rationnelle. Si nous suivons cette structure rationnelle, nous sommes dans un état de conviction. Toutefois, si cette capacité est toujours présente, elle l'est en puissance, mais pas nécessairement en acte. Désormais, il nous faut analyser les limites d'actualisation de cette puissance. Aussi, remarquons que les thèses d'une vérité convaincante reposent sur l'idée de vérité mathématique. Ne faudrait-il pas envisager la question hors du cas mathématique ? Toutes les vérités sont-elles toujours convaincantes ?
Pour établir une transition, il faut montrer que la première partie de la réflexion, bien que juste, manque à la compréhension de l'ensemble de la question. Ici, nous avons signalé deux limites : l'actualisation de la conviction et le type de vérité.
II. La vérité se confond avec d'autres discours : la conviction est rendue impossible
1. La concurrence sophistique
Bien que la vérité ait une puissance particulière, capable de nous faire sentir sa différence avec les autres discours, nous pouvons constater que nous n'admettons pas tous les mêmes discours et les mêmes idées. Alors, pourquoi est-ce si difficile de faire valoir la vérité auprès d'autrui ? Pourquoi y a-t-il autant de résistance à la vérité ? C'est l'idée que soulève Platon dans ses différents dialogues, avec, notamment, l'un des enjeux de l'allégorie de la Caverne, extrait du livre X de La République. En effet, selon lui, la condition humaine est comme enfermée dans une caverne, capable de ne regarder que les ombres des passants qui se reflètent sur un mur. Si un philosophe survient, il pourra proposer à un individu de se libérer et d'essayer de sortir de la caverne. Ce prisonnier verra alors que les ombres sont créées par des marionnettistes promenant leurs figurines devant un feu. Ce prisonnier devra redoubler d'efforts avant d'atteindre l'extérieur et s'habituer à la lumière du soleil. Cette allégorie doit être interprétée pour en révéler le sens. Le philosophe met ici en exergue que la vérité n'est pas un donné immédiat des sens ou des opinions. A contrario, la majorité de nos idées sont impensées, transmises par-delà la société, prises pour vraies sans justification. La vérité est en compétition avec d'autres discours : ceux des marionnettistes, qui ne sont autre que des sophistes utilisant le langage pour manipuler les idées. Or, Platon constate que nous adhérons plus facilement à un beau discours plutôt qu'à un discours « vrai ». En somme, la vérité peut être rejetée. Le prisonnier peut refuser de sortir, changer d'opinion ; il ne s'oblige pas à fournir d'efforts et reste ainsi dans un état de rupture avec le reste des croyances de la société et nos propres opinions. La vérité est revendiquée par un ensemble de discours et d'expériences contradictoires. Toutefois, si plusieurs personnes pensent dire la vérité, qui croire ? Peut-on encore être convaincu ? La force de conviction est diluée par la concurrence des discours vrais. Ainsi, dans le Gorgias, Platon prend l'exemple d'un sophiste, capable de convaincre plus facilement qu'un médecin peut se soigner. Dans ce cas, l'un connaît la vérité, il ne convainc pas ; l'autre ne la connaissant pas, il convainc. Platon met ici en exergue une nouvelle hypothèse : le discours produit une disjonction entre vérité et conviction, empêchant la vérité de convaincre. Néanmoins, le philosophe croit au pouvoir de conviction de la vérité, car, dans son allégorie, il précise que celui qui est sorti de la caverne ne peut plus revenir en arrière ; sa structure intellectuelle est modifiée et adhère désormais aux discours vrais plus qu'aux opinions. Ainsi, Platon soutient une puissance de la vérité, tout en mettant en avant que l'existence des sens et des discours sophistiques produit une disjonction entre vérité et conviction. La vérité ne convainc pas toujours. Il lui faut des conditions préparatoires et philosophiques pour pouvoir être convaincante.
Lorsque les mythes ou les allégories des philosophes sont cités (notamment Platon), leur interprétation détaillée est primordiale pour rendre compte de ce que le récit a de pertinent, pour le faire passer d'un simple récit à un argument philosophique
2. Le cas de la médecine
La vérité non convaincante n'est pas le fruit d'un manque d'intelligence ; elle repose sur des causes sociales. Prenons le cas du médecin proposé par Platon, dans L'an V de la Révolution algérienne. Nous y découvrons la figure tragique du médecin, présenté par Faron, médecin psychiatre, dans le rôle du narrateur. Ce dernier étudie les raisons pour lesquelles les Algériens refusaient de prendre les traitements médicaux qui leur étaient proposés. Il énonce l'idée selon laquelle les Algériens n'auraient pas été suffisamment instruits pour comprendre le rôle du médecin. Le discours médical semble leur renvoyer un discours de domination coloniale : le médecin est forcément contre eux. Ainsi, même si le praticien disait la vérité et voulait leur bien, cette vérité était inaudible dans les conditions politiques de l'époque. Cette analyse soulève l'idée qu'une vérité peut convaincre, seulement si elle est encadrée par une structure d'adhésion au discours. Ainsi, la vérité peut être convaincante seulement au regard de la crédibilité accordée socialement, laissant place à un cadre de confiance envers les décisionnaires, les diplômes, le pouvoir politique, etc. ; alors, un discours rationnel peut nous atteindre. A contrario, nous sommes la proie de nos ressentiments et de tout discours persuasif, d'opinions justes ou faussées. En ce sens, un enfant est convaincu par son enseignant si celui-ci lui a donné des gages de confiance ; un scientifique est entendu s'il est encadré par un système de confiance. Également, plus un corps social est discrédité, plus les individus sont méprisés, et plus la frontière entre le vrai et le faux s'amenuise. Ainsi, plus la vérité est en concurrence, moins elle peut être convaincante. Notons qu'il y a aussi une forme de concurrence entre deux vérités : l'une est que le médecin soigne, l'autre que le colon domine. Voici deux vérités plausibles, bien qu'il s'agisse de deux objets de conviction opposés. Aussi, il nous faut rendre compte de la façon dont ce double investissement de la vérité peut modifier les valeurs d'une personne.
Un exemple qui est repris et complété est d'autant plus efficace. Ici, nous avons repris le cas du médecin énoncé par Platon alors que, dans la partie précédente, nous avions le cas de l'héliocentrisme.
3. La rhétorique comme adjuvant de la vérité convaincante
C'est face à ce problème de vérité mise en péril par les concurrences et l'incapacité à se défendre d'elle-même qu'Aristote a déployé des règles de Rhétorique. En effet, le philosophe y reprend le problème posé par Platon, cette fois sans prendre le parti de rejeter la rhétorique, en y ajoutant une part de logique. La logique, d'une part, permet de vérifier la validité d'un raisonnement, notamment avec la forme du syllogisme sur laquelle nous reviendrons. La rhétorique, d'autre part, vise à défendre la vérité et à la déployer face à d'autres discours. En d'autres termes, la vérité doit être appuyée et illustrée pour être convaincante. Prenons, le calcul 2 + 2 = 4 : il nous convainc de sa véracité grâce au raisonnement mathématique qui l'accompagne et qui nous permet de le comprendre. En somme, l'évidence suppose une préparation. Ainsi, Aristote élabore différents éléments d'efficacité rhétorique, dont le « triangle rhétorique ». Nous sommes convaincu si le discours fait appel au logos, c'est-à-dire au discours rationnel, fondé sur la connaissance. Toutefois, ce discours rationnel doit être accompagné d'un ethos, d'un comportement ou d'une réputation, pour être viable. Ainsi, un enseignant peut être écouté grâce à sa reconnaissance sociale que lui confère son diplôme et sa réputation de ne pas mentir. Enfin, il peut aussi s'appuyer sur le pathos, qui est la capacité d'un discours à toucher les émotions de son auditoire en utilisant des procédés rhétoriques appropriés, tels que l'enthousiasme ou une forme de gravité, afin de produire un sentiment de confiance. De cette manière, Aristote démontre qu'une vérité nous semble convaincante seulement si elle est accompagnée de ce qui lui donne sa valeur de conviction. Un discours vrai en soi peut devenir inaudible et donc non convaincant s'il n'est pas placé dans la bonne situation.
Un plan est d'autant plus cohérent que l'on peut reprendre les concepts pour les préciser. Ici, nous reprenons la distinction puissance et acte de la première partie pour ajouter des éléments qui viennent préciser notre idée. Mais nous avons aussi laissé apparaître qu'une idée posée dans ce paragraphe, le syllogisme, serait discutée plus tard.
Cette deuxième analyse a permis de montrer que, même si la vérité est toujours convaincante en puissance, elle ne l'est pas toujours en acte. En se retrouvant mise en concurrence avec d'autres enjeux, elle peut perdre de son pouvoir de conviction face à l'appel des émotions, aux opinions, aux ressentis, etc. Cependant, ce n'est pas la vérité elle-même qui a perdu de sa capacité à convaincre, mais bien la capacité à convaincre qui est ébranlée par ces situations. Une question reste en suspens : comment pouvons-nous être investi d'une vérité ? Reprenons le cas médical. Deux aspects peuvent être vrais ; pourtant, à la fin, nous ne sommes convaincu que d'une seule idée. En outre, certains types de vérité sont-ils dotés du pouvoir de conviction alors que d'autres vérités seraient uniquement convaincantes ?
III. Deux types de vérité pour deux types de conviction
1. Deux rapports à la vérité
Notre constat selon lequel la vérité serait toujours, en puissance, convaincante soulève une nouvelle interrogation. Nous pouvons entendre et concevoir la raison comme un fait, un discours, un raisonnement qui s'établit ainsi comme la vérité, sans pour autant l'admettre ou l'accepter, au sens existentiel et non pas intellectuel du terme. Ainsi, la vérité peut nous avoir convaincu sans que nous en soyons convaincu. C'est là la théorie qu'avance Jankélévitch. Il présente une vérité philosophique aux dépens d'une vérité logique, où se trouve le mystère de la métaphysique face au discours logique. Dans La mort, il reprend le syllogisme d'Aristote, qui doit servir de règle pour convaincre logiquement une vérité d'une proposition. Le syllogisme s'énonce : « Tout homme est mortel, Socrate est un homme, donc Socrate est mortel. » Sur le plan logique, nous admettons l'idée d'une condition humaine qui est affligée par sa mortalité. Le problème que soulève Jankélévitch est le suivant : si nous admettons la vérité de la mortalité, nous ne l'admettons jamais vraiment pour nous-même. Nous éprouvons toujours la mort d'autrui, jamais la nôtre. Ainsi, ma conscience n'est jamais vraiment convaincue de ma mortalité. Elle est toujours ailleurs, distante. Il est possible de négocier ou d'espérer. Nous mourrons, mais nous ne pouvons le croire réellement. Pour Jankélévitch, ce qui est admis sur le plan de la conviction – comme vrai – peut néanmoins subir une sorte de refus existentiel, jusqu'à ce que le sujet en fasse lui-même l'expérience. La conscience peut alors entreprendre une sorte de division : la vérité qui est là, convaincante, comme celle que tout être humain va mourir, peut ne pas être vécue comme quelque chose dont nous sommes convaincus. La vérité peut être toujours convaincante, car nous menons, par la raison, le raisonnement qu'elle démontre. Toutefois, notre conscience peut, par mauvaise foi, déni, espérance ou par manque d'expérience, ne pas en être convaincue. En outre, la vérité est à lire sous deux prismes : il y a celle qui convainc toujours et celle dont nous sommes toujours convaincus.
2. Les vérités de cœur et de raison
Pour poursuivre cette nouvelle distinction dans la conviction, comme ce que nous prenons existentiellement ou, a contrario, intellectuellement pour vrai, nous pouvons nous appuyer sur le raisonnement que produit Pascal dans Les Pensées. Dans une phrase célèbre, mais trompeuse, il déclare : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. » Par cela, il n'évoque pas de bons sentiments tels que l'amour, mais il opère une distinction entre les vérités du cœur et celles de la raison. Les vérités de la raison sont celles qui ont fait l'objet de démonstrations. Nous sommes capables de les suivre et de les construire ; nous sommes en capacité d'admettre à notre tour. Ainsi, les mathématiques, les lois physiques et les règles logiques sont des vérités de raison. Nous les admettons comme objets théoriques. Cependant, Pascal pense qu'il y a aussi les vérités de cœur. Il s'agit de vérités données, qui sont admises comme « vraies » sans être démontrées ni même démontrables. C'est pourquoi Pascal construit ce constat paradoxal : il y a des vérités de cœur qui sont raisonnables et admises, que notre pensée et notre faculté de raisonnement ne sauraient justifier ou comprendre. Pascal parle de données axiomatiques, telles deux droites parallèles qui ne peuvent jamais se couper. Le philosophe va plus loin dans l'analyse de l'aspect existentiel et interroge la foi religieuse. Il sait que la foi – croire en l'existence de Dieu – est une vérité de cœur. Elle ne saurait être démontrée de manière convaincante. En outre, il s'agit d'une vérité dont le croyant est convaincu sans pour autant qu'elle puisse convaincre. De la même manière, si le croyant est convaincu, il ne peut changer sa foi sous la pression d'un argument athée. C'est une vérité de cœur : les démonstrations de la raison ne peuvent l'affecter. En dernière instance, Pascal vise aussi une autre catégorie de personnes que les croyants ou les athées : les personnes qui ont une connaissance de l'existence de Dieu, mais qui ne vivent pas en accord avec cette vérité – il les appelle les libertins. Les libertins montrent l'écart entre les deux types de conviction : par l'effet de la démonstration, courante à cette époque, ils admettent l'existence de Dieu sur le plan de la raison. Il s'agit d'une vérité de raison qui influence leur comportement, leur existence et leur éthique. Leur vie ne s'est pas modifiée sous l'effet de cette connaissance, elle n'est pas vérité de cœur. Ainsi, nous retrouvons l'écart remarqué précédemment avec des vérités qui semblaient convaincantes et qui, pourtant, n'ont pas eu le pouvoir de conviction escompté d'une part, et des vérités admises sans être intégrées d'autre part.
Conseil : les citations de philosophes, notamment quand les phrases sont si célèbres qu'elles dépassent le cadre de la philosophie, ne valent pas comme des arguments à part entière. Elles doivent être accompagnées d'explications, de définitions et d'articulations au sujet traité.
3. Connaissance et vérité
Afin de synthétiser ce que nous avons pu jusqu'alors distinguer, penchons-nous sur les travaux de Simone Weil. Dans L'Enracinement, la philosophe nous offre une piste pour établir ce travail de synthèse. Elle élabore une distinction entre vérité et connaissance. Elle montre qu'une connaissance peut être vraie par son aspect factuel, tel que connaître la capitale d'un pays. Ce type de connaissance ne modifie en rien l'existence de la personne qui la connaît, et la personne verra son discours admis comme convaincant. Ainsi, le professeur de géographie enseigne des connaissances, ses élèves les admettent comme vraies. La vérité est ici convaincante sous forme de connaissance, grâce à sa cohérence. Néanmoins, pour s'adresser à une personne, il faut encadrer son discours de sentiments avec de la bienveillance et de l'amitié, permettant ainsi à notre interlocuteur d'entendre la vérité et d'en être convaincu. Alors la vérité convainc, car elle produit un changement dans notre vie semblable à une redéfinition de notre existence. De fait, elle n'est pas saisie sur le plan intellectuel, ce qui lui vaudrait d'être oubliée aussi vite qu'elle a été partagée. Ainsi, la vérité se rapporte à ce que nous aimons, à la réalité que nous aimons. Si une réalité qui nous touche nous est évoquée, avec bienveillance et compassion, nous pouvons être convaincu par la vérité de ce discours et l'admettre en nous-même. Cela nous amène à établir la distinction suivante : la vérité existentielle ne convainc pas toujours. Il faut, pour cela, qu'elle soit encadrée de conditions de persuasion, c'est-à-dire des sentiments propices à influer sur notre relation au réel. Mais des vérités de connaissance convainquent toujours, car elles s'appuient sur des raisonnements qui concernent uniquement une capacité à mémoriser ou à suivre une logique. Cette distinction permettrait d'expliquer le cas de la fake news. Aussi, la théorie de la Terre plate est vue comme aberrante et est admise intellectuellement par la plupart des individus. L'enfant à qui son professeur expose que la Terre est ronde l'admet, il suit la logique de l'exposé. Mais dans le cas des platistes, observons l'investissement de leurs relations aux autres, leur rapport au monde, leur sentiment et leur honneur. En ce sens, ils ne peuvent plus admettre la vérité de la Terre ronde. Ils peuvent l'entendre comme une connaissance, mais ne peuvent plus intégrer existentiellement cette vérité, car trop d'éléments de leur existence se trouveraient modifiés. Ils sont obligés d'accepter que la Terre ronde, car c'est l'objet de leur combat, ils sont convaincus intellectuellement, sans pour autant être convaincus existentiellement. En définitive, pour convaincre, paradoxalement, il faut persuader, c'est-à-dire faire usage des sentiments et non pas uniquement de la raison.
Conclusion
Afin de vérifier si la vérité était toujours convaincante, nous avons d'abord dû admettre que la vérité possède une particularité qu'est la capacité à faire sens sur le monde. Il s'agit de la capacité à se démontrer et donc à convaincre. Mais face aux contre-discours, aux opinions et aux erreurs, nous nous sommes interrogé : cette capacité à convaincre convient-elle toujours ? Ainsi, nous avons montré que si elle était en puissance toujours convaincante, elle peut également être empêchée de s'actualiser. Puis nous avons approfondi la notion de conviction pour distinguer le fait d'être intellectuellement convaincu et de l'être existentiellement. En définitive, une vérité intellectuelle est toujours convaincante ; néanmoins, la vérité existentielle divise quant à elle les consciences en l'absence de preuves expérientielles. Il faut, dans ce cas, se persuader de la vérité.