L'argumentation, troisième partie du discours, contient l'analyse du sujet, du problème, et donc du propos central qui justifie l'existence même du discours. Après avoir présenté les faits, l'orateur s'en sert, les explique, et les met au service de la défense d'une thèse, ou d'une théorie. Dans un discours politique ou militant, ce moment de l'argumentation prend une coloration polémique. Une conférence scientifique relève davantage du registre didactique, où l'orateur déploie son raisonnement en suivant des arguments factuels et logiques. Dans l'exposé de votre grand oral, qui dure dix minutes, vous devez rester proche de votre colonne vertébrale : la question principale.
L'argumentation dans le discours de Václav Havel du 1er janvier 1990
L'argumentation - illustration 1
Par Jirí Jiroutek, CC BY 3.0
Après plusieurs décennies de domination communiste, le tout nouveau président de la république de Tchécoslovaquie, Václav Havel, prononce une allocution télévisée. Après avoir énuméré dans sa narration plusieurs faits ou aspects qui engagent la responsabilité de tout le peuple, il en vient à son argumentation.
« Je parle de nous. Nous qui nous sommes tous habitués au système totalitaire, nous qui l'avons accepté comme un fait immuable, donc entretenu par nos soins. Autrement dit : nous tous – bien qu'à des degrés différents – nous sommes responsables de la dérive de la machine totalitaire. Nous ne sommes pas seulement ses victimes, mais nous sommes tous en même temps ses cocréateurs. Pourquoi parler ainsi ? Parce qu'il ne serait pas raisonnable de considérer le triste héritage des dernières quarante années comme quelque chose d'étranger, légué par un parent lointain. Nous devons au contraire accepter cet héritage comme quelque chose que nous avons nous-mêmes commis contre nous. Si nous le prenons ainsi, nous comprendrons qu'il dépend de nous tous d'en faire quelque chose. Nous ne pouvons pas faire porter la responsabilité de tout cela sur les gouvernants précédents, non seulement parce que cela ne répondrait pas à la vérité, mais encore parce que cela affaiblirait le devoir qui se pose aujourd'hui à chacun de nous, le devoir d'agir indépendamment, librement, raisonnablement et vite. Détrompons-nous, le meilleur gouvernement, le meilleur Parlement et le meilleur président ne peuvent pas à eux seuls faire grand-chose. Et ce serait très injuste d'attendre la solution d'eux seulement. La liberté et la démocratie, cela signifie la participation et la responsabilité de tous. »
Analyse de l'argumentation
→ Václav Havel introduit le passage à son argumentation par une première phrase simple, courte et percutante : « Je parle de nous ». Il met immédiatement en valeur le cœur de sa thèse : la responsabilité de tout le peuple, y compris lui-même, lors des quarante années passées sous le joug soviétique. L'abondance ensuite des pronoms de première personne du pluriel contribue à la confirmer à chaque instant. Sa colonne vertébrale est rigoureuse et solide.
→ Les connecteurs logiques (« autrement dit », « parce que », « au contraire »), les structures de corrélation (« si », « non seulement »/ « mais encore ») témoignent du souci de structuration de son argumentation.
→ Son propos ne s'aventure plus dans les anecdotes ou détails : il synthétise les principes qu'il défend, dans une dynamique tournée vers l'avenir. Havel souhaite convaincre son auditoire qu'il faut que chacun défende personnellement la liberté et la démocratie, ne se contentant pas d'en attribuer la mission au seul pouvoir en place. Le peuple doit proscrire une telle passivité et agir.
Et pour l'épreuve ?
L'argumentation doit être la partie la plus claire et rigoureuse de votre discours. Il s'agit de défendre une position, ou de suivre le fil d'un raisonnement clair, accessible à quiconque, et de garder une grande cohérence. Pas le temps donc de vous perdre dans des digressions ou anecdotes.
Or, Václav Havel mobilise une idée phare dès le début de son argumentation (« nous »), et oriente celle-ci progressivement vers les notions de démocratie et de liberté. Ces deux dernières étaient évidemment sous-entendues tout au long de son raisonnement, puisqu'elles sont le contraire d'un régime totalitaire.
Vous pouvez vous inspirer de cette façon de procéder en évoquant dès le début de votre argumentation un concept clé de votre thèse, et tirer des conclusions en suggérant puis nommant votre deuxième concept clé.
Par exemple, imaginons que vous analysez le rôle des pesticides dans le développement de certains cancers. Après une narration où vous avez bien présenté les enjeux du problème, évoqué plusieurs exemples précis, vous pouvez commencer votre argumentation en mentionnant l'interdiction nécessaire de certains pesticides, ce qui est votre première idée clé. Vous suivez alors un raisonnement jusqu'à suggérer la généralisation de l'agriculture biologique, ce qui est votre deuxième idée clé.
Enfin, l'utilisation de connecteurs logiques est la bienvenue, surtout ceux qui matérialisent un lien de cause à effet.
Dans d'autres contextes
Tout discours gagne à développer un raisonnement limpide. Il suffit souvent de prendre quelques notes qui instaurent des liens logiques entre les étapes de notre raisonnement pour pouvoir les exprimer lors d'une réunion, d'une conférence ou d'un entretien.
Bâtir une argumentation solide aide à clarifier ses idées, sans avoir à retenir tous les termes précis qui font la substance du discours. Autant la narration doit être riche en détails, autant l'argumentation repose sur les articulations. Et sans ces articulations, un discours ou une prise de parole plus simple ne peuvent pas atteindre leur objectif.
Les types d'arguments
Selon le sujet choisi, le grand oral vous conduira à mobiliser plusieurs types d'arguments :
L'argument factuel : un fait, un événement, une donnée…
L'argument logique : un lien de cause à effet, une déduction, une interprétation…
L'argument d'autorité : référence à une personnalité savante ou digne de respect.
L'argument par analogie : comparaison entre le cas que vous étudiez et un autre cas avéré.
L'argument de valeur : correspond à une valeur morale, un principe éthique.
Un exemple d'argumentation pour l'épreuve
Question
La lutte contre le braconnage des rhinocéros par la conception de fausses cornes 3D laisse-t-elle augurer un avenir heureux pour les espèces en danger ? (SVT, SI et SES)
Exemple d'exposition
Imprimer des cornes en kératine à l'aide d'imprimantes 3D est une idée alléchante, mais peut-être contre-productive. Aucun risque de les distinguer des vraies, d'après la start-up américaine Pembient à l'origine de cette initiative, puisqu'elles auraient exactement la même forme et le même ADN. Si elles ressemblent à s'y méprendre à des cornes de rhinocéros, comment ne pas imaginer un bouleversement du marché de celles-ci ? En effet, une offre dépassant la demande signifierait une baisse de son prix. Les braconniers auraient alors moins intérêt à s'attaquer aux animaux.
Peut-on toutefois tabler sur une telle confusion entre vraies et fausses cornes ? Tout comme le marché de certaines pierres précieuses, il est à prévoir que des techniques plus ou moins sophistiquées d'identification des cornes voient le jour. Les connaisseurs ne tomberaient pas dans le piège de l'imprimante 3D, si ressemblantes les cornes soient-elles.
Certains, comme le défenseur des animaux sud-africain Bas Huijbregts, mettent en garde contre la création d'un deuxième marché : celui des fausses cornes. Un phénomène semblable s'est produit pour les diamants produits en laboratoire, dont la valeur a même fini par dépasser celle des diamants authentiques… Selon Huijbregts, il serait dangereux de tabler sur une corrélation entre saturation de l'offre du marché et baisse du braconnage.
En revanche, ce qui peut nous rendre assurément optimistes, c'est la créativité développée par certains, qu'ils soient des chercheurs spécialistes ou non. Plusieurs acteurs, forts de leurs valeurs, luttent à leur échelle pour que le monde soit moins cruel.
L'argumentation - illustration 2
Analyse
Cette argumentation ne revient pas sur le détail de la fabrication des cornes 3D, que l'on imagine déjà bien exposée dans la narration. La thèse nuancée apparaît bien dans les premières lignes : une bonne idée, mais potentiellement fallacieuse. Le raisonnement approfondit ensuite plusieurs idées, en faisant montre d'un scepticisme nuancé, tout en saluant une telle initiative. Ne reste plus qu'une belle péroraison, et l'exposé sera réussi.
Deux arguments sont énoncés en faveur de ce projet, puis deux autres viennent en relativiser la portée. Le premier argument, sur l'ADN des cornes est un argument factuel. Le deuxième, sur le marché des cornes, est un argument par analogie avec d'autres marchés. Quant à l'argument sur la création d'un deuxième marché, il est à la fois un argument par analogie et un argument d'autorité, puisqu'il se réfère à un spécialiste. Enfin, l'argument logique sur la corrélation douteuse entre deux phénomènes vient clore le raisonnement.
Vous avez ainsi tout intérêt à nuancer votre propos lors de votre argumentation. N'hésitez pas à explorer différentes facettes, même opposées, du moment que vous en tirez une conclusion forte.
À éviter coûte que coûte :
\bullet Ne pas défendre d'idée, de point de vue, ou de thèse.
\bullet Oublier ce qui a été dit dans la narration.
\bullet Répéter les éléments de la narration.
\bullet Se contredire en essayant simplement de nuancer.
\bullet Survoler les enjeux sans mobiliser d'arguments.
\bullet Confondre narration et argumentation : l'argumentation vient donc approfondir logiquement les faits exposés dans la narration. Vous devez faire la distinction entre les deux, dès l'annonce de votre plan, et éviter de développer des arguments trop tôt.