L'Allemagne : une puissance européenne aux territoires inégalement intégrés dans la mondialisation

Avec plus de 3 600 milliards de dollars de PIB, l'Allemagne est la quatrième puissance économique mondiale et la première en Europe. Elle est souvent identifiée comme la gardienne de la rigueur budgétaire et de la stabilité économique dans une Union qui a traversé des crises économiques au xxie siècle. Pourtant, un regard plus attentif doit être porté sur ses territoires, qui ne sont pas tous égaux face à la mondialisation. À la réussite du territoire munichois peuvent en effet être opposées les nombreuses friches industrielles étudiées par N. Offenstadt, vestiges de l'industrie lourde de Magdebourg. Dans quelle mesure l'Allemagne connaît-elle divers gradients d'intégration à la mondialisation ?
I. Un cœur industriel de la mondialisation
L'axe du Rhin structure le cœur actif de l'Europe, du Benelux à la Suisse en passant par la partie allemande très industrialisée. La géographie identifie traditionnellement une mégalopole européenne, parfois désignée sous le vocable de « banane bleue », dont le cœur se situe dans cette Europe rhénane. La densité de population y est importante, dépassant les 600 habitants/km2 dans le triangle Duisbourg-Dortmund-Cologne.
Les complexes industriels offrent une balance commerciale excédentaire, faisant du pays le troisième exportateur mondial en valeur, avec une production de haute qualité qu'illustre en particulier l'industrie automobile (Audi, Mercedes). Les productions trouvent un débouché au sein du marché commun européen, faisant de celui-ci l'une des zones majeures d'échanges à l'échelle internationale, mais s'exportent aussi par voie maritime. La présence de la Northern Range, façade maritime extrêmement active en mer du Nord, explique l'activité débordante des ports bataves mais aussi allemands comme celui d'Hambourg. Certains Länder sont au cœur de la mondialisation, comme le Bade-Wurtemberg autour de Stuttgart ou la Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
Tour Audi à Berlin
Tour Audi à Berlin
© ANGHI/iStock
II. Un réseau de métropoles
L'importance des Länder dans l'organisation du territoire allemand permet à leurs capitales de conserver un poids politique mais aussi économique relativement important. L'armature urbaine allemande diffère de l'hypercentralisation française, faisant apparaître un réseau de métropoles, en particulier dans l'ouest du pays. Si Francfort se détache de cet ensemble métropolitain, c'est grâce à l'importance financière mondiale de sa Bourse, mais aussi grâce à la présence des institutions de la Banque centrale européenne.
L'intégration à la mondialisation se fait également grâce à la formation de la main-d'œuvre allemande, dans des universités de haut niveau largement réparties sur le territoire, de Munich à Tübingen en passant par Heidelberg.
Les métropoles sont desservies par un réseau autoroutier, certes vieillissant, mais actuellement en rénovation. Il s'inscrit dans un ensemble de corridors européens, dont l'Allemagne représente le centre de gravité. Ainsi, les métropoles scandinaves (Copenhague, Oslo) sont accessibles au nord, tout comme Vienne au sud, et les ensembles urbains bataves à l'ouest. Depuis les années 2010, une forte politique d'intégration des pays de l'est de l'Union européenne se construit à partir de l'Allemagne, comme en témoignent les investissements visant à développer le réseau autoroutier polonais.
III. Un bilan de la réunification
Événement majeur de l'histoire contemporaine allemande, la réunification du pays après la guerre froide n'a pas résolu toutes les disparités du territoire allemand. L'entrée dans le monde capitaliste du territoire de l'ex-RDA se traduit, à partir du 3 octobre 1990, par une désindustrialisation massive. Une politique de péréquation entre les différents Länder permet un financement des infrastructures du pays, pour les mettre au niveau du territoire de la RFA avec plus de 1 300 milliards d'euros transférés.
Malgré les investissements massifs, les inégalités restent perceptibles à de nombreuses échelles. Le taux de chômage demeure supérieur dans l'Est et les inégalités y sont plus fortes que dans l'Ouest. Les industries n'ont pu se reconvertir dans le cadre du marché capitaliste, ce qui a conduit à une crise sociale et économique mais aussi culturelle, avec la disparition de structures de la vie sociale auparavant intégrées aux réseaux du bloc de l'Est. Ceux-ci comprenaient des échanges économiques et humains, étudiants par exemple.
La capitale politique a été transférée à Berlin en 1991 depuis Bonn. La Globalisierung participe de la hiérarchisation des territoires allemands. Si Berlin est une capitale politique, elle n'accueille aucun siège social des trente premières entreprises allemandes. La ville est encore marquée par la division passée, mais fortement intégrée culturellement. Elle apparaît en effet comme un point d'ancrage majeur de la culture alternative mondiale, élément de développement économique d'une « métropole de création » culturelle (B. Grésillon).
IV. Des espaces en reconversion
À l'ouest comme à l'est, des espaces industriels vieillissants sont contraints de se moderniser pour rester concurrentiels dans le cadre de la mondialisation. Les anciennes régions minières autour de Cologne doivent ainsi penser une reconversion du territoire de la Ruhr. Si, contrairement à celle de France, la production houillère continue dans le bassin de la Sarre, elle s'est toutefois réduite dans de grandes proportions. La dépollution des espaces devenus non rentables est longue et coûteuse, mais nécessaire avant toute nouvelle exploitation.
La patrimonialisation est l'une des reconversions possibles : le complexe industriel de la mine de charbon de Zollverein a ainsi été inscrit au Patrimoine mondial de l'UNESCO dès 2001. Ailleurs, des carreaux de mine sont reconvertis pour accueillir des « incubateurs » d'entreprises, des lieux culturels ou des espaces verts. La patrimonialisation participe aussi d'une action sociale et de la conservation d'une identité forte construite autour de cet outil industriel du passé. Certains territoires changent d'inscription dans la mondialisation, jouant la carte du tourisme pour ne pas être relégués à l'arrière-plan de façon trop brutale.
Dans le Länd de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, cœur industriel traditionnel, la transition a été amorcée dès les années 1980 en misant sur la technologie de pointe et la tertiarisation de l'économie. Ainsi, les entreprises de sidérurgie Mannesmann ont été reprises par Vodafone, ce qui a transformé le territoire en un poids lourd du monde des télécommunications.
Zoom sur…
Les shrinking cities
Les bouleversements liés à la réunification ont eu des conséquences sur le développement urbain. Pour les décrire, les géographes font parfois appel au concept de shrinking cities ou « villes en décroissance ». Cela met l'accent sur des contrastes importants entre les villes intégrées à la mondialisation, celles qui « gagnent », et celles qui « perdent ».
La spécialisation de certaines villes de RDA dans une industrie désormais disparue a parfois entraîné une diminution draconienne de la population. Halle-Neustadt perd ainsi 70 % de ses habitants après 1989, et 20 % des habitations y sont aujourd'hui vides. Ce phénomène est pris en compte par les autorités qui ont mis en place un vaste programme de rénovation urbaine à l'est, le Stadtumbau Ost.
Ce phénomène de dépopulation s'accompagne d'une paupérisation des habitants de ces villes en retrait (désindustrialisation, crises des finances locales, etc.). La réunification a fait perdre des emplois dans le secteur de l'industrie, mais aussi dans celui des services (refonte de l'administration, place de l'armée, débouchés de l'agriculture, etc.).
L'espace urbain vide devient un nouveau lieu d'expression, avec des activités novatrices participant à des dynamiques internationales alternatives, comme le développement du street art sur les façades des quartiers marginalisés. À rebours des théories dominantes, certains voient dans ces villes en déclin de formidables laboratoires pour repenser la ville de demain, dans le cadre du développement durable.
Un territoire de la mondialisation en acte
Dans le couloir rhénan, le triangle formé par les villes de Mulhouse (France), Bâle (Basel, Suisse) et Fribourg (Freiburg im Breisgau, Allemagne) constitue un exemple particulièrement poussé d'intégration de territoires transfrontaliers à la mondialisation. Le Länd du Bade-Wurtemberg, où se trouve Fribourg, est l'un des piliers de l'économie et des exportations allemandes, intégrant l'étranger proche dans ses perspectives de développement futures. L'un des défis majeurs est le manque de main-d'œuvre qualifiée dans la population active allemande.
La coopération internationale permet de multiplier les échanges universitaires à l'échelle transfrontalière pour former la population. Mais c'est aussi une réflexion sur les transports qui est menée, avec plus de 100 trains par jour entre Fribourg et Bâle. L'implantation d'un aéroport à vocation internationale sur le territoire français, l'EuroAirport, a ainsi lieu dans un cadre trinational. La réflexion porte aussi sur le développement de filières anticipant les changements socioéconomiques, notamment avec le réseau franco-germano-suisse Trion des acteurs de l'énergie et du climat pour l'établissement de bonnes pratiques et d'une coopération des entreprises par-delà les frontières. L'Union européenne et l'espace Schengen sont enfin des éléments essentiels de l'intégration à la mondialisation des territoires transfrontaliers allemands.