Le golfe Arabo-Persique : un espace au cœur des enjeux contemporains

La toponymie de cette région du monde donne dès le premier abord une idée de la complexité des enjeux qui pèsent sur celle-ci. Le « golfe », ce bras de l'océan Indien avancé dans les terres, est désigné comme « Arabique » chez les populations arabes de la région et comme « Persique » par la tradition depuis l'Antiquité, ainsi que par l'Organisation des Nations unies. La toponymie renvoie à des volontés d'appropriation d'un espace profondément stratégique. Avec une longueur de 1 300 km, ce golfe est en effet un espace marin dont les littoraux sont partagés par huit États : l'Arabie Saoudite, le Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït, Oman, l'Irak, l'Iran et le Qatar. Les puissances internationales s'y intéressent de près pour des raisons énergétiques et sécuritaires. Dans quelle mesure le golfe Arabo-Persique est-il à la fois un espace maritime moteur de la mondialisation et un point de tension des relations internationales ?
I. Un espace maritime moteur de la mondialisation
Le golfe Persique est riche de sa tectonique. En effet, la plaque arabique s'enfonce dans une zone de subduction sous la plaque iranienne. Dans cette fosse s'amoncellent les déchets biologiques charriés par le Tigre et l'Euphrate, formant les sédiments propices au développement des hydrocarbures. Ainsi, la région concentre 40 % des réserves connues de gaz et 60 % de celles de pétrole, géologiquement assez simple d'accès.
Le golfe Persique commence à exploiter cette ressource on shore (sur terre) puis off shore (en mer) au début du xxe siècle. À partir des années 1980, le Qatar assure son développement par une forte exploitation de son gaz naturel, notamment grâce à la technologie de liquéfaction, qui permet le transport. Ainsi, Qatargas est la première compagnie productrice de gaz naturel liquéfié (GNL) à l'échelle mondiale. Le port de Ras Laffan est présenté comme « la capitale mondiale du gaz » ; il emploie 30 000 personnes, qui veillent au refroidissement du gaz à −162 °C et à son chargement dans d'immenses méthaniers. Entre 1997 et 2015, cette exploitation a permis de faire passer le PIB du pays de 11 milliards à 165 milliards de dollars.
Les autres pays de la région sont aussi des producteurs, mais les soubresauts politiques ont parfois perturbé l'exploitation des ressources. L'embargo des États-Unis qui a frappé l'Iran depuis 1995 jusqu'à un accord en 2015, remis ensuite en cause par D. Trump, a empêché ce dernier d'accéder aux marchés mondiaux pour exporter sa production. En Irak, l'invasion américaine de 2003 a également mis à mal les infrastructures d'exportation. Celles-ci bénéficient désormais d'investissements de la part de puissances comme la Chine qui souhaitent assurer l'approvisionnement dans le Kurdistan irakien autonome, région relativement stable.
À moyen terme, les États de la région cherchent à couper le nœud gordien qui lie pétrole et développement car la rente pétrolière ne saurait être infinie. Dubaï, dont le port de Djebel Ali redistribue les marchandises vers l'ensemble du Moyen-Orient, apparaît comme un modèle original. Véritable hub aérien, la cité tente de se placer au premier plan de l'économie tertiaire supérieur. Au sein de la Fédération des Émirats arabes unis, cet État de trois millions d'habitants s'affirme comme un modèle de développement à l'échelle régionale. La stabilité politique, sous la férule de la famille régnante, assure à la cité-État un attrait pour les investisseurs. La ville s'affirme enfin comme un espace nouveau du tourisme d'affaires, avec un total de 16 millions de touristes en 2017. Néanmoins, l'économie illégale et de nombreux trafics depuis l'Iran voisin soumis aux sanctions internationales confèrent également un autre visage à ce carrefour du golfe Arabo-Persique.
Navire pétrolier quittant la marina de Dubaï
Navire pétrolier quittant la marina de Dubaï
© Konstantin_Novakovic/iStock
Ville de Dubaï
Ville de Dubaï
© miroslav_1/iStock
II. Un espace sous tensions
Si l'on excepte l'Irak, dont la situation est liée à une succession de conflits internes et externes depuis 2003, tous les pays du pourtour du Golfe sont dépendants des importations alimentaires. Le manque de terres arables dans la région du Golfe est en effet criant, et fait peser une menace sur la sécurité alimentaire régionale. Les fluctuations des prix des matières premières ont un fort impact sur la vie économique. En 2019, en Iran, de graves émeutes ont eu lieu après une augmentation des prix de l'essence à la pompe, que le pays ne peut exporter du fait du renforcement de l'embargo.
L'Iran, régionalement isolé, à majorité chiite, comme l'Irak, connaît de fortes tensions avec ses voisins à majorité sunnite, d'autant que les minorités religieuses sont nombreuses de part et d'autre. L'Arabie Saoudite, dirigée d'une main de fer par un régime sunnite, redoute les soulèvements populaires, notamment dans la région du Hasa, fief de la minorité chiite et où se situe le gisement de Ghawar (plus grand gisement on shore de pétrole au monde). La menace iranienne, qu'elle soit fantasmée ou réelle, plane sur les relations diplomatiques dans la région.
Enfin, les conflits interétatiques laissent souvent place à des conflits asymétriques, pour lesquels les acteurs locaux cherchent des supports à toutes les échelles. Ainsi, la guerre civile au Yémen, qui dure depuis 2014, s'est transformée en un conflit impliquant tous les acteurs de la région.
III. L'intervention de puissances extérieures
Les Occidentaux entretiennent dans la région des éléments militaires d'importance : la Ve flotte américaine est à Manama au Bahreïn, tandis que dans l'océan Indien, sur l'île de Diego Garcia, sont stationnés des bombardiers à long rayon d'action, intervenus en Afghanistan en 2001. La France a installé une base à Abou Dhabi face aux missiles antinavires iraniens, dont la menace pourrait en quelques heures couper la circulation.
Les puissances occidentales tentent également de contrôler la diffusion des technologies nucléaires dans la région, dans le cadre du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (1968) et de crainte de voir des matériels sensibles tomber aux mains de groupes terroristes. La découverte en 2002 du projet d'une usine d'enrichissement d'uranium déclenche des négociations avec les puissances européennes mais, devant le maintien du programme, le Conseil de Sécurité de l'ONU engage des sanctions économiques. En 2015, un accord est trouvé pour permettre à l'Iran de retrouver l'accès aux marchés internationaux. Il est dénoncé de façon unilatérale par D. Trump.
Zoom sur…
L'Arabie Saoudite, un poids lourd aux pieds d'argile ?
L'Arabie saoudite s'est construite au xxe siècle autour de l'« or noir ». Le pacte du Quincy, conclu lors d'une rencontre en 1945 entre le président Roosevelt et le roi Ibn Saoud, apparaît traditionnellement comme le point de départ des liens entre pétrole saoudien, alliance américaine et modernisation du pays. Il n'est pourtant qu'une étape d'une longue relation, entamée dès les années 1930 avec des compagnies pétrolières américaines comme la Texas Oil Company. Cette alliance approvisionne parfois le marché américain mais permet surtout de contrôler les prix dont la volatilité pourrait nuire à l'économie américaine. La monarchie saoudienne, dont la promesse de développement économique repose sur l'exportation de pétrole, joue un rôle majeur dans le cadre du golfe Arabo-Persique. Sa rivalité avec l'Iran, puissance chiite honnie, n'est plus à démontrer. Cependant, elle se double aussi d'interventions dans les émirats du littoral sud lors des événements liés aux « printemps arabes ». Le printemps de la Perle, au Bahreïn a ainsi été rapidement éteint par l'intervention militaire saoudienne en soutien à la monarchie sunnite. En construisant l'image d'une protestation uniquement chiite pro-iranienne, les monarchies saoudienne et bahreïnie ont pu cacher les volontés démocratiques du mouvement populaire initial.