Mers et océans : entre appropriation, protection et liberté de circulation


Fiche

Concentrant des ressources très diversifiées et des flux essentiels au développement économique, les mers et les océans représentent des enjeux politiques et stratégiques. Les États sont en compétition pour l'usage et le contrôle des espaces maritimes, mais d'autres acteurs entrent en jeu, dont la multiplicité illustre la complexité de la mondialisation. Ils assurent la circulation des biens, l'exploitation des ressources, l'application de la souveraineté des États mais aussi l'usage récréatif de ces espaces. Ils peuvent donc entrer dans des conflits de souveraineté ou d'usage. En quoi l'espace maritime mondial est-il au centre de l'attention d'acteurs qui le considèrent comme un enjeu stratégique à plusieurs échelles ?
I. Un droit international maritime
En 1918, le président Wilson intégrait déjà la libre circulation maritime dans sa réflexion sur la mise en place d'un monde nouveau après la Grande Guerre. Presque soixante-dix ans plus tard, les Nations unies commencent à définir un droit maritime international toujours en construction. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay en Jamaïque, en 1982, est progressivement adoptée par 168 pays. Les États-Unis, poids lourd maritime, refusent néanmoins de parapher le texte. Il s'agit de délimiter les accès aux ressources tant halieutiques et énergétiques que minérales, mais aussi d'établir un droit de circulation essentiel à la mondialisation.
La Convention prévoit la libre circulation dans les détroits mais surtout la mise en place de zones économiques exclusives (ZEE), d'une largeur de 200 milles nautiques (370 km) depuis le rivage. Celles-ci réservent au pays concerné l'exploitation des ressources de la colonne d'eau et du sous-sol. La France dispose par exemple de la deuxième ZEE en termes de surface au monde. Cette définition théorique simple se heurte néanmoins aux réalités géographiques, notamment lorsque la proximité des pays empêche une distance réciproque de 200 milles. Au sein de l'Union européenne, la Croatie et la Slovénie se disputent par exemple le contrôle du golfe de Piran. Ce dernier constitue la seule ouverture sur la mer de la Slovénie mais l'accès aux eaux internationales se fait par un corridor revendiqué par la Croatie. Les polices des deux pays verbalisent régulièrement leur voisin pour pêche illégale.
Les tensions de ce type risquent de se renforcer en raison du changement climatique en cours. En effet, la fonte de la banquise ouvre de nouvelles perspectives pour l'Arctique. Des passages, autrefois bloqués par la glace, sont désormais libres une grande partie de l'année, les pays environnants souhaitant les contrôler. Ainsi, le Canada considère le « passage du Nord-Ouest » comme un passage dans ses eaux intérieures, tandis que les États-Unis le considèrent comme un détroit international. Les zones de pêche font également l'objet de vives concurrences : en 2005, une « crise de l'anchois » divise la France et l'Espagne au sujet de la période autorisée pour la pêche de ce poisson dont les stocks diminuent fortement.
Enfin, certaines îles font l'objet de disputes territoriales, puisqu'elles servent ensuite à établir la ZEE. La Chine s'est ainsi emparée des Paracels et des Spratleys dans la mer de Chine méridionale, revendiquées aussi par le Vietnam. Elle y établit actuellement un ensemble d'installation civilo-militaires lui assurant une continuité dans la surveillance des flux maritimes en provenance du Moyen-Orient.
Le droit international n'est pas exempt de ce qui peut apparaître comme des contradictions internes. Ainsi, si les ZEE répondent à la logique d'appropriation, la conférence de Montego Bay assure dans le même temps la logique de libre circulation. De plus, cette appropriation des espaces se fait le plus souvent dans un but économique d'exploitation des ressources tandis que la protection de l'environnement est affirmée dans les discours publics comme une priorité du xxie siècle. L'un des symboles de la vulnérabilité des écosystèmes face aux bouleversements mondiaux est la disparition des récifs coralliens sous l'action conjuguée de la surpêche, de l'acidification des océans et de l'exploitation à outrance des sables.
Exercice n°1Exercice n°2Exercice n°3Exercice n°8
Les zones du droit maritime
Les zones du droit maritime
II. Les acteurs de la mer
L'accent est mis depuis le début du xxie siècle sur la mise en place d'une gouvernance, c'est-à-dire d'une gestion construite autour de plusieurs acteurs pour limiter les conflits et permettre un développement raisonné de l'espace. L'Union européenne semble à la pointe de ce processus avec une politique de planification de l'espace maritime. Les différents usagers de la mer sont encouragés à discuter de leurs approches respectives pour tenter de trouver un terrain d'entente. En effet, l'exploitation des ressources d'un même territoire peut parfois engendrer des tensions : ainsi, la mise en place d'éoliennes off shore rencontre souvent l'opposition des pêcheurs qui voient interdire leur pratique économique dans certains de leurs espaces, mais aussi des résistances de la part d'une industrie du tourisme qui redoute une dévalorisation des paysages par l'ajout de ces grandes constructions à l'horizon. Ce fut le cas récemment en France dans la baie de Saint-Brieuc.
À ces dissensions à l'échelle locale s'ajoutent des conflits à l'échelle globale dans le cadre de la gouvernance mondiale. Par exemple, la multiplication des grandes marées noires dues à des navires en piètre état naviguant sous « pavillon de complaisance » a mis en lumière cette particularité du commerce international. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette expression désigne l'usage, par les grandes compagnies d'armateurs, de pavillons (enregistrements maritimes) accordés par des pays peu regardant sur les normes environnementales ou de sécurité. Le Panamá enregistre ainsi plus de 8 000 navires de commerce ou de pêche dans des conditions fiscales très avantageuses. Environ 42 % du commerce est ainsi assuré par des navires battant le pavillon du Panamá, du Liberia ou des îles Marshall. Au sein même des pays, des astuces légales permettent de diminuer la fiscalité : en France, un « pavillon bis » existe, qui permet aux armateurs d'engager un équipage étranger. Prolétariat du commerce mondial, le marin philippin ou indien est un des visages méconnus de la mondialisation.
Exercice n°5Exercice n°6Exercice n°7
Zoom sur…
Les îles, enjeux maritimes
La définition des zones économiques exclusives (ZEE) à partir de l'espace terrestre rend la maîtrise d'îles, même minuscules, essentielle pour agrandir les possessions nationales. De très nombreux conflits dans l'espace maritime sont liés à ces espaces insulaires. En 1982, l'Argentine envahit les îles Falkland, qu'elle revendique sous le nom de Malvinas. La Grande-Bretagne réagit en envoyant un corps expéditionnaire, récupérant son territoire après une guerre faisant plus de 900 morts, dont 255 Britanniques. Outre la défense d'une île qui compte aujourd'hui 3 200 habitants citoyens britanniques, il s'agit aussi de posséder un espace qui contrôle la sortie du passage du cap Horn au sud de l'Amérique et de potentielles ressources off shore encore inexploitées.
De nouvelles îles apparaissent, en particulier de nature volcanique. C'est ainsi le cas au Japon, pays qui a pu profiter récemment de la naissance de l'île volcanique Nishino-shima, en 2013, près d'Ogasawara. Parfois, elles sont artificielles et correspondent à la volonté d'un pays d'agrandir son contrôle de l'espace maritime. C'est le cas de l'île de Yongshu en mer de Chine qui est en réalité un récif corallien sur lequel des milliers de tonnes de terre et de béton ont été déversées par la Chine pour établir un aéroport militaire entre le Vietnam et l'Indonésie. Ce processus, répété en de multiples espaces, est vivement critiqué par ses voisins qui y voient une menace pour leur indépendance stratégique et craignent des revendications territoriales qui ne cessent de croître de la part de la première puissance économique mondiale.
Un espace maritime à protéger
Les océans sont centraux dans le système climatique planétaire, en constituant notamment des absorbeurs de CO2. Le changement climatique a plusieurs conséquences : acidification et montée des eaux, modification des courants marins majeurs, etc. La biodiversité est mise à mal par la surpêche, mais aussi dans certains territoires par une aquaculture déversant de nombreux produits pharmaceutiques dans les élevages, contaminant ainsi les espaces naturels proches, notamment en Amérique du Sud. L'un des symboles médiatiques de la dégradation de notre environnement est le « septième continent », un amas de matières, en particulier plastiques, au sein de l'océan Pacifique sur plus de 1,6 million de km2. Regroupant des déchets issus des pêches, mais aussi portés par les courants depuis les littoraux, ce dépotoir marin ne cesse de grandir.
Face à ce défi, les législations semblent se durcir en réaction à des catastrophes touchant directement les populations, notamment celles qui concernent la lutte contre les dégazages en mer après les marées noires sur les côtes atlantiques européennes entre 1990 et 2010. La mise en place de sanctuaires marins à divers degrés est l'une des solutions envisagées. La France a ainsi créé les parcs naturels marins d'Iroise et de Martinique. La législation diffère selon les pays mais des régulations internationales sont décidées. Le moratoire international sur la pêche commerciale à la baleine depuis 1987 en est un exemple, sans qu'il empêche pour autant les entorses régulières de la Norvège, par exemple, sur certaines espèces.
Exercice n°4

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