Pour trouver le bonheur, faut-il le rechercher ? (juin 2017)

Énoncé

Pour trouver le bonheur, faut-il le rechercher ?
Comprendre le sujet
La question porte sur les voies qui permettent d'accéder au bonheur et sur les moyens à mettre en œuvre pour l'atteindre. Il s'agit donc ici de savoir si le bonheur dépend des circonstances ou si nous sommes en mesure d'agir sur notre existence pour devenir les artisans de notre bonheur. Devons-nous attendre le bonheur et profiter des moments heureux qui se présentent ou devons-nous nous efforcer de trouver le bonheur, même lorsque les circonstances ne semblent pas être les plus favorables pour parvenir à être heureux ? Il s'agit donc de savoir si le bonheur est l'objet d'une jouissance passive ou s'il est le fruit d'une démarche plus active. On pourra dans le cours du développement distinguer le bonheur de la joie, le bonheur désignant un état, tandis que joie renvoie plutôt à une satisfaction résultant d'une activité et du sentiment qu'elle procure.
Mobiliser ses connaissances
Notions et distinctions utiles
Le bonheur et la liberté.
Repères du programme
Abstrait/ concret ; cause/ fin ; objectif/ subjectif ; en théorie/ en pratique.
Œuvres pouvant servir de référence
– Épicure, Lettre à Ménécée.
– Épictète, Manuel.
– Aristote, Éthique à Nicomaque.
– Pascal, Pensées.
– Descartes, Discours de la méthode.
– Spinoza, Traité de la réforme de l'entendement, Éthique.
– Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs.
– Alain, Propos sur le bonheur.
– Alain, Propos sur le bonheur.
Procéder par étapes
Problématiser
Si l'on se réfère à l'étymologie du terme de « bonheur », ce mot désigne un état de bien-être auquel une conscience peut arriver par hasard. Ainsi, un homme pourra être considéré comme heureux lorsque tout lui sourit, lorsque tout se déroule selon ses désirs. En revanche, lorsque les choses ne se présentent pas comme nous le souhaitons, nous nous sentons malheureux. Néanmoins, nous pouvons remarquer que parfois ceux qui ont tout pour être heureux ne le sont pas nécessairement, tandis que d'autres qui doivent affronter l'adversité n'en manifestent pas moins un réel goût de vivre qui les dispose plus que d'autres au bonheur. Cela ne signifie-t-il pas que le bonheur n'est pas seulement affaire de circonstances, mais qu'il résulte également d'une certaine capacité à le rechercher, d'une démarche active de celui qui désire vraiment être heureux ?
Élaborer un plan détaillé
La première partie doit consister en une analyse des termes du sujet et principalement de la notion de bonheur, afin de préciser en quoi le bonheur ne désigne pas initialement ce qui résulte d'une recherche, mais avant tout ce que nous offre la fortune. La seconde partie s'interrogera sur la possibilité pour un sujet d'être l'artisan de son bonheur et de faire de la recherche du bonheur une dynamique active permettant de l'atteindre. Il faudra nécessairement aborder la question du malheur dans la troisième partie et montrer que, malgré tous nos efforts, il est des situations dans lesquelles le bonheur est impossible : lorsque la maladie, la mort de ceux que l'on aime, une déception amoureuse ou la misère viennent s'opposer à notre désir d'être heureux. Néanmoins, tout n'est peut-être pas perdu, car si le bonheur apparaît comme un état fragile, il nous reste la joie que nous pouvons rechercher et atteindre en toutes circonstances.

Corrigé

Introduction
Comme l'écrit Pascal dans ses Pensées : « Tous les hommes recherchent d'être heureux, jusqu'à ceux qui vont se pendre ». Le bonheur semble donc être l'objet d'une quête dont Aristote avait déjà souligné le caractère universel dans Éthique à Nicomaque lorsqu'il écrivait que « le bonheur est quelque chose de parfait qui se suffit à soi-même ; et il est la fin de nos actions ». Il est donc considéré comme acquis que le bonheur est l'objectif de toute existence humaine. Mais si nous espérons tous le bonheur, est-il pour autant nécessaire de le rechercher pour le trouver ? Peut-être le bonheur peut-il venir de lui-même sans que nous ayons fait quoi que ce soit pour l'obtenir ? C'est d'ailleurs, nous le verrons, ce que laisse entendre l'origine de ce mot.
Est-il bien nécessaire de rechercher le bonheur si ce dernier ne dépend pas de nous ? Ne risque-t-on pas de passer à côté de lui sans le voir ? à force de trop rechercher le bonheur, ne risque-t-on pas de le rater ? Mais si le bonheur n'est qu'une affaire de bonne ou de mauvaise fortune, cela signifie-t-il que nous ne faisons qu'en jouir passivement, au même titre d'ailleurs que nous ne ferions que subir passivement le malheur ? Une telle manière d'appréhender le bonheur comme dépendant uniquement des circonstances ne risque-t-elle pas de gâcher les rares moments heureux que nous pourrions vivre, en mettant en évidence leur fragilité et leur caractère éphémère ? N'y a-t-il pas malgré tout une part d'activité dans notre tension vers le bonheur ? Le bonheur n'est-il pas aussi une affaire de disposition ?
I. La recherche du bonheur et les aléas de la fortune
1. Le bonheur comme produit de la chance
Le terme de « bonheur », si l'on se réfère à l'étymologie, désigne ce qui peut arriver de positif dans l'existence sans que l'on y soit nécessairement pour quelque chose. Le bonheur advient lorsque la fortune nous est favorable. Le mot « bonheur » désigne une heureuse rencontre entre soi et les circonstances. « Heur » vient du latin « augurium », qui désigne initialement le présage, puis la chance. Par conséquent, le bonheur ne vient pas nécessairement lorsqu'on va le chercher. C'est plutôt lui qui, parfois, nous trouve dans une existence au cours de laquelle nous sommes le plus souvent confrontés à l'adversité, c'est-à-dire à une inadéquation entre la réalité et nos désirs. Désirs dont nous ne connaissons d'ailleurs pas toujours la véritable signification ni le véritable objet, car comme le fait remarquer Spinoza dans les premières pages du Traité de la réforme de l'entendement, nous avons trop souvent tendance à considérer comme véritables des biens qui sont en réalité illusoires – richesse, honneur, plaisir des sens – et à ne pas voir ce qui pourrait réellement nous rendre heureux :
« Les occurrences les plus fréquentes dans la vie, celles que les hommes, ainsi qu'il ressort de toutes leurs œuvres, prisent comme étant le souverain bien, se ramènent en effet à trois objets : richesse, honneur, plaisir des sens. Or chacun d'eux distrait l'esprit de toute pensée relative à un autre bien : dans le plaisir l'âme est suspendue comme si elle eût trouvé un bien où se reposer ; elle est donc au plus haut point empêchée de penser à un autre bien ; après la jouissance d'autre part vient une extrême tristesse qui, si elle ne suspend pas la pensée, la trouble et l'émousse. La poursuite de l'honneur et de la richesse n'absorbe pas moins l'esprit ; celle de la richesse, surtout quand on la recherche pour elle-même, parce qu'alors on lui donne rang de souverain bien ; quant à l'honneur, il absorbe l'esprit d'une façon bien plus exclusive encore, parce qu'on ne manque jamais de le considérer comme une chose bonne par elle-même, et comme une fin dernière à laquelle se rapportent toutes les actions. »

Il est, en effet, extrêmement difficile de définir ce qu'est le bonheur, dans la mesure où, comme l'écrit Kant, il ne fait pas à proprement parler l'objet d'un concept, mais d'un « idéal de l'imagination » :
« Le concept de bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu'a tout homme d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c'est-à-dire qu'ils doivent être empruntés à l'expérience, et que cependant pour l'idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. Or il est impossible qu'un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu'on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu'il veut ici véritablement. »

Néanmoins, si le bonheur dépend de circonstances que nous ne maîtrisons pas et s'il nous est souvent difficile d'en préciser le contenu, il n'empêche que nous sommes peut-être en mesure de favoriser sa venue et de nous mettre dans des dispositions favorables pour l'accueillir. Aussi faut-il probablement faire preuve d'une certaine sagesse pour parvenir à jouir pleinement de l'existence.
2. Le bonheur comme fruit de la sagesse
Si le bonheur est tributaire de facteurs qui ne dépendent pas de nous, force est de constater que pour bon nombre de nos semblables l'intervention de ces facteurs ne suffit pas toujours à les rendre heureux. Comme l'exprime assez pertinemment l'opinion commune, il y a parmi nous des personnes qui, bien qu'ayant tout pour être heureux, ne parviennent jamais à se satisfaire de leur existence et d'autres qui, malgré tous les déboires qu'ils peuvent rencontrer, manifestent toujours un authentique goût de vivre. Cette évidence nous invite à réfléchir sur notre rapport au bonheur et sur le fait qu'il ne relève pas simplement de ce qui est de l'ordre de l'avoir, mais de l'être, puisque l'on peut posséder tout ce qui peut rendre heureux sans l'être, et que l'on peut également s'efforcer de l'être alors que les conditions requises ne sont pas toujours présentes. Prendre la vie comme elle est, ne pas toujours vouloir plus que ce que l'on a, voire apprendre à se passer de ce qui n'est pas nécessaire, peut-être est-ce en empruntant cette voie que l'on peut rechercher le bonheur et l'atteindre ? Cette voie est celle que préconise la philosophie d'Épicure qui nous conseille de ne rechercher en priorité que les plaisirs nécessaires et naturels. Cette voie, contrairement à ce que l'on croit couramment, n'invite pas aux excès en tout genre, mais trouve le bonheur en apaisant la faim et la soif d'un peu de pain, de fromage et d'eau. Cette sagesse est aussi celle de Diogène le cynique qui, considérant que le bonheur doit résulter d'une vie en accord avec la nature, choisit de se passer de tout ce qui n'est pas indispensable pour ne pas en être dépendant. Ainsi, la légende veut qu'en voyant un enfant boire dans ses mains, Diogène décide de casser le récipient qui lui servait ordinairement pour s'abreuver et se nourrir. On raconte également, qu'alors qu'Alexandre le Grand lui rendait visite, dans l'amphore dans laquelle il s'abritait, Diogène, pour signifier ce qu'il y avait de vain et de dérisoire dans le goût de cet empereur pour le pouvoir et les conquêtes, ne lui adressa que cette phrase :
« Ôte-toi de mon soleil. »

3. La recherche du bonheur face à l'adversité
Ce bonheur-là n'est pas celui de qui aspire à faire fortune, il est plutôt celui de qui accepte le monde tel qu'il est et se réjouit de le voir ainsi ; c'est le bonheur de l'épicurien qui cueille le jour (carpe diem), comme nous invite à le faire le poète Horace, ou du stoïcien qui inspire Descartes lorsqu'il déclare dans la morale provisoire, dont il énonce les règles dans le Discours de la méthode, qu'il est préférable de « changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde » :
« Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde, et généralement de m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible. »

Mais pourtant, nous rétorquera-t-on, il y a le malheur, la souffrance, la mort. Peut-on accepter le monde tel qu'il est lorsque l'on constate les injustices dont les hommes sont victimes, soit du fait de leurs congénères, soit en raison des caprices de la nature et de la fortune ? Peut-on dire à celui qui subit la guerre, qui est victime d'une grave maladie, qui vient de voir le peu de biens qu'il possède détruit par une catastrophe naturelle ou qui vient de perdre un ou plusieurs êtres chers, qu'il faut malgré tout être heureux et que cela ne dépend que de lui ? N'y aurait-il pas une forme d'indécence à traiter ainsi le malheur humain ?
En conséquence, notre question initiale reste posée : avons-nous prise sur notre bonheur ou ce dernier n'est-il que le résultat des hasards de la fortune, de ce qui ne dépend pas de nous ?
II. Recherche du bonheur et réalité du malheur
1. Le malheur comme menace permanente
Ainsi, l'on aura beau faire tout ce que l'on voudra pour rechercher le bonheur, il y a une réalité à laquelle on ne peut échapper, celle du malheur. Suffit-il, en effet, de rechercher le bonheur pour échapper à la mauvaise fortune, à la misère, à la guerre, à la maladie, à la souffrance, à tous ces maux qui font trop souvent notre quotidien ?
Le malheur désigne précisément l'événement qui ne s'accorde pas avec ce que nous sommes, il est la négation même de nos désirs et de nos aspirations, il est ce qui vient s'opposer à l'épanouissement plein et entier de la vie humaine. Le malheur, en effet, semble souvent venir de l'extérieur, il nous apparaît toujours comme le fruit d'une cause étrangère s'imposant à nous pour détruire ou empêcher cette harmonie intérieure en laquelle consiste le bonheur. Le malheur, c'est en quelque sorte le monde extérieur qui s'impose à nous, qui s'introduit en nous et contre nous. C'est, pour reprendre les termes d'Épictète dans son Manuel, « ce qui ne dépend pas de nous » qui s'impose à nous. Alors que le bonheur est synonyme d'harmonie et d'unité, le malheur renvoie à la rupture, au déchirement, à une douloureuse inadéquation entre soi et le monde.
2. Suffit-il de rechercher le bonheur pour l'atteindre ?
En conséquence, si le bonheur se résume à la bonne fortune, et si le malheur n'est que la conséquence d'événements extérieurs s'opposant à nos désirs, nous sommes tentés de conclure que nous ne pouvons être les artisans de notre bonheur et que nous sommes impuissants face au malheur. On pourra nous dire, à l'instar du stoïcien Épictète, que dans la mesure où nos jugements ne dépendent que de nous, il suffit de les modifier pour apprécier plus positivement la vie. En effet, selon ce philosophe, ce n'est pas parce que la mort est terrible que nous la craignons, mais c'est parce que nous la jugeons telle. Il suffirait donc de modifier notre jugement sur la mort pour ne plus la craindre et vivre heureux malgré la conscience que nous avons d'être mortels. Néanmoins, s'il peut paraître relativement aisé d'accepter la mort pour soi-même, cela reste difficile lorsqu'elle concerne les autres hommes, et plus particulièrement ceux que l'on aime. Il y a aussi la souffrance, les tourments qu'elle nous inflige ne sont-ils que la conséquence du jugement que nous portons sur elle. Les stoïciens prétendent, certes, que le sage peut être heureux, même dans le taureau de Phalaris, ce taureau d'airain dans lequel le tyran d'Agrigente faisait rôtir ses victimes et se délectait de leurs cris qu'un système de flûtes, disposées dans les naseaux de la sculpture de l'animal, transformait en chant harmonieux. Une telle sagesse qui consiste à rechercher le bonheur, même dans les pires souffrances, vaut peut-être pour des dieux, mais reste inaccessible aux hommes. S'il faut rechercher le bonheur pour l'atteindre, il n'est pas toujours au rendez-vous et trop souvent notre recherche est vaine face à la cruauté de l'existence.
Mais peut-on se satisfaire d'une telle conclusion ? Sommes-nous passifs au point de subir à ce point notre existence ? Une appréhension plus active de l'existence n'est-elle pas envisageable ?
3. Sommes-nous impuissants face au malheur ?
Si la philosophie stoïcienne présente certaines limites, elle offre néanmoins cet avantage, non de nous immuniser contre le malheur, mais de nous permettre de l'affronter sans ajouter de la souffrance à la souffrance. En effet, pour le stoïcien Épictète, il nous faut distinguer les choses qui dépendent de nous et celles qui n'en dépendent pas. Comme il l'écrit dans son Manuel :
« De toutes les choses du monde, les unes dépendent de nous, les autres n'en dépendent pas. Celles qui en dépendent sont nos opinions, nos mouvements, nos désirs, nos inclinations, nos aversions, en un mot toutes nos actions.
Celles qui ne dépendent point de nous sont le corps, les biens, la réputation, les dignités, en un mot toutes les choses qui ne sont pas du nombre de nos actions. »

S'il est vrai que mon jugement ne peut faire en sorte que je ne souffre pas lorsque la douleur m'envahit, c'est néanmoins en essayant de comprendre ce qu'est réellement cette douleur, d'en identifier les causes, que je pourrai porter sur elle un regard sans préjugé et ainsi éviter d'augmenter ma douleur. Certes, je ne serai pas heureux dans la souffrance, mais je parviendrai au moins à rendre mon malheur plus supportable. Ainsi, s'il n'est pas certain que le bonheur se trouve toujours quand nous le recherchons, il reste possible de faire ce qui est en notre pouvoir pour éviter le malheur ou en réduire les effets en nous efforçant d'appréhender l'existence de manière active. Si cela n'apporte pas nécessairement le bonheur, cela peut-être néanmoins une source de joie.
III. La joie comme promesse de bonheur
1. Comprendre le monde pour mieux l'accepter
C'est donc par la compréhension des choses du monde, des phénomènes extérieurs à notre volonté que nous pouvons accéder à une attitude plus active face à la vie, à une approche plus positive de l'existence. Certes, ce n'est pas encore le bonheur sous sa forme la plus accomplie, ce n'est pas cet état de pure harmonie qu'évoque l'étymologie de ce mot, mais c'est une ouverture vers une existence dans laquelle le sujet est en mesure de s'affirmer plus activement. Il est clair que celui qui tombe malade ne s'en réjouira pas et vivra l'annonce de sa maladie comme un malheur s'abattant sur lui, mais entre celui qui acceptera la maladie tout en s'efforçant de la vaincre avec l'aide de la médecine et celui qui se résignera et se laissera écraser par le désespoir, il est également clair que le premier vivra le moins péniblement qu'il est possible, ce que le second subira comme une souffrance allant sans cesse en s'accroissant.
2. Vivre activement pour tendre vers le bonheur
Il importe, en effet, ici, d'opérer une distinction claire entre la résignation et l'acceptation. Tandis que la première consiste à subir passivement ce que l'on ne comprend pas, la seconde consiste à admettre activement un fait dont on a compris les causes. Tout en sachant qu'admettre la nécessité causale qui a produit un fait n'empêche pas ensuite de rechercher les moyens d'agir sur lui pour le modifier. C'est par la compréhension des causes de la maladie que la médecine parvient à trouver les remèdes nécessaires pour nous soigner. Rechercher le bonheur passe donc par une certaine forme d'acceptation du réel, qui ne signifie pas pour autant une soumission à celui-ci, puisque cette recherche de compréhension du réel a aussi pour objectif de le transformer, autant qu'il est possible, dans une direction qui nous convienne.
Cette compréhension des choses, qui peut s'inscrire dans une certaine recherche du bonheur, si elle ne nous rend pas nécessairement heureux, présente au moins l'avantage de nous rendre plus actif face à ce que nous pourrions subir de manière totalement passive. La satisfaction que procure cette progression de notre activité n'est autre que ce que Spinoza nomme la joie.
3. Ne pas seulement rechercher le bonheur, mais aussi la joie
Ainsi, en recherchant le bonheur par la compréhension du réel dans lequel nous sommes plongés, nous ne trouverons pas nécessairement le bonheur, mais nous parviendrons certainement à trouver la joie. Cette joie que Spinoza, dans son Éthique définit ainsi :
« La joie est le passage de l'homme d'une moindre à une plus grande perfection. »

Par « perfection », il faut entendre ici notre puissance d'être et d'agir. C'est pourquoi l'acceptation est préférable à la résignation ou à la soumission, car la première repose sur une progression dans notre puissance de compréhension des choses et donc peut nous procurer de la joie. D'autant que cette compréhension peut augmenter également notre puissance d'agir sur le monde pour l'orienter dans un sens qui nous est plus favorable, par la technique, par exemple. En revanche, celui qui se résigne ou se soumet à une réalité qu'il ne comprend pas ne fait que manifester son impuissance et s'enferme donc dans la tristesse dont Spinoza dit qu'elle est l'inverse de la joie :
« La tristesse est le passage de l'homme d'une plus grande à une moindre perfection. »

Certes, la joie n'est pas le bonheur qui est un état qui tolère plus difficilement des degrés. La joie est passage, transition d'un état vers un autre. En conséquence, s'il m'est difficile de me sentir heureux dans la maladie ou la misère, il ne m'est pas impossible, même si cela est extrêmement difficile, d'adopter une attitude plus active face à ce qui m'arrive et de sentir s'accroître ma puissance d'être et donc de ressentir de la joie. Ainsi, la recherche du bonheur, si elle ne tient pas toujours ses promesses, est au moins en mesure, par l'effort que nous déployons, de nous rendre joyeux, ce qui est déjà une belle promesse de bonheur.
Conclusion
En conséquence, même si le bonheur n'est pas toujours au rendez-vous, il faut le rechercher pour le trouver, c'est-à-dire se mettre dans des dispositions positives pour l'accueillir. C'est en se mettant en capacité de recevoir le bonheur que l'on fait de celui-ci la toile de fond de notre existence, l'horizon qui lui donne sens, même si nous ne savons pas toujours précisément en quoi il consiste. Ainsi disposés, même si nous ne trouvons pas un bonheur durable, nous pouvons atteindre la joie, cet affect qui exprime une augmentation de notre perfection, de notre puissance d'être et d'agir, cette joie qui n'est rien d'autre que la promesse du bonheur.
La joie n'est pas le bonheur, mais elle est tension vers le bonheur, elle est le signe que nous ne sommes pas totalement soumis aux événements et qu'il est toujours possible, en essayant de comprendre les causes de ce qui nous arrive, de parvenir à s'opposer dans la mesure du possible au malheur qui pourrait nous accabler. Notre manière d'appréhender l'existence peut donc influer sur nos dispositions internes, nous aider à vivre plus activement tous les événements, même ceux qui seraient susceptibles de nous rendre malheureux. Ainsi, même si nous ne pouvons atteindre cet état idéal qu'est le bonheur, nous pouvons progresser vers lui en nourrissant, par la réflexion et la compréhension de ce qui nous arrive, ce sentiment qu'est la joie.