Les genres du roman et de la nouvelle

Comme le conte, le roman et la nouvelle sont des genres narratifs : tous deux ont en effet pour but de raconter une histoire. Qu'est-ce qui fait cependant l'unicité de chaque genre ? La brièveté de la nouvelle suffit-elle à la distinguer du roman ?
1. Quelles sont les grandes étapes de l'histoire du roman ?
À l'origine, le terme roman est employé pour désigner les récits racontés en langue romane, c'est-à-dire en français, à l'usage des femmes, des gens de cour et des bourgeois ne parlant pas le latin. Le genre, qui apparaît, en France, au xiie siècle sous une forme versifiée, est le continuateur du roman grec et latin (Daphnis et Chloé de Longus, iie siècle, le Satyricon de Pétrone, ive siècle).
Le roman connaît deux périodes dominantes. D'abord, aux xiiie et xive siècles, on assiste à l'extraordinaire épanouissement du roman courtois qui narre les aventures des chevaliers du roi Arthur partant à la conquête du Graal ou de leur dame (Lancelot et la reine Guenièvre, Tristan et Iseut), cependant que Le Roman de Renart évoque cet accomplissement sur un mode burlesque. Ensuite, c'est au xviiie siècle qu'a lieu la lente gestation du roman réaliste en Angleterre, puis en France dans la première moitié du xixe siècle, où le roman s'impose peu à peu comme le genre littéraire majeur.
À partir des années 1950, en France, le Nouveau Roman jette le « soupçon » sur tout ce qui fonde le genre romanesque :
  • la projection de l'histoire selon une perspective temporelle unifiée ;
  • la consistance de personnages définis par un projet ;
  • la cohérence d'un monde qui s'ordonne, comme un décor, autour de l'histoire que l'on raconte.
Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Nathalie Sarraute, Michel Butor, Robert Pinget ou encore Marguerite Duras s'ingénient alors à brouiller ce code narratif, en inventant des histoires où le passé et le présent se mélangent, où le réel et l'imaginaire s'interpolent, où les objets recouvrent le texte de leur opacité.
Exercice n°1
2. En quoi le roman est-il un genre « libre » ?
La particularité du roman, par rapport aux autres genres narratifs, est de ne pas être marqué par son contenu (contrairement au conte, toujours associé au merveilleux), ni par sa forme (contrairement à la nouvelle, nécessairement dense et axée sur son dénouement). La conséquence est qu'une fois débarrassé de ses vêtements d'emprunts (roman « courtois », roman « pastoral », roman « réaliste », etc.), le roman se découvre comme un genre totalement vacant, et donc totalement libre. C'est une forme souple et ouverte sur le monde, d'abord en aval, parce que le roman est une marchandise qui se vend et qui doit toucher le grand public, ensuite en amont, parce que le monde réel s'avère être le plus grand réservoir possible d'histoires et une immense source d'inspiration.
La liberté propre au genre romanesque, ainsi que l'essor de la diffusion du livre et de la presse au xixe siècle, expliquent l'extraordinaire explosion du genre dans des directions multiples (romans d'aventure, romans gothiques, romans policiers, romans noirs, romans de science-fiction, etc.). Le genre culmine, au début du xxe siècle, dans ces deux sommes romanesques que sont l'Ulysse de James Joyce et la Recherche du temps perdu de Marcel Proust.
3. Quelle est l'origine de la nouvelle ?
Dix personnes (sept femmes et trois jeunes hommes) fuient l'épidémie de peste qui dévaste la ville de Florence, en 1348, et se trouvent réunies à la campagne. Pendant dix jours, chacune d'elles va raconter des histoires, des nouvelles. Ces récits sont une invention de Boccace, écrivain italien. L'ensemble est publié vers 1350 dans Le Décaméron. Les nouvelles ne sont pas isolées : elles sont groupées, chaque jour, autour d'un thème différent et encadrées par les commentaires de l'auteur.
Don Quichotte, de Cervantes, ou Gil Blas de Santillane, de Lesage, sont constitués d'épisodes successifs, autant d'histoires que l'on peut isoler, mais qui mettent en scène le même héros. La nouvelle est alors comme une branche dans un arbre : elle sert encore à construire un roman.
La nouvelle prend sa forme définitive au xixe siècle, notamment avec les short stories américaines d'Edgar Poe et de Conan Doyle.
Exercice n°2
4. En quoi la densité d'écriture de la nouvelle la distingue-t-elle du roman ?
Si la nouvelle se distingue du conte par son contenu (le conte construit un univers de fantaisie, alors que la nouvelle, même fantastique, est marquée par le désir de restituer un fragment de réalité), elle semble se distinguer du roman par sa brièveté. Une nouvelle excède rarement une centaine de pages. Pourtant, il existe également des romans très courts.
Plus essentiellement, ce qui distingue la nouvelle du roman est sa particulière densité d'écriture : l'auteur d'une nouvelle supprime les mots en trop, les épisodes inessentiels ; tous les éléments sont orientés en fonction de la fin de l'histoire. Cette concentration de la narration, qui s'oppose à la liberté du roman, fait que la nouvelle est particulièrement apte à créer des effets de « suspense ».
C'est d'ailleurs l'utilisation qu'en fait Edgar Poe dans ses Nouvelles extraordinaires, et avec lui tous les écrivains de nouvelles policières ou fantastiques. À l'autre extrême, on peut citer les nouvelles de l'écrivain italien Cesare Pavese (Le Bel Été) qui rend, en un « flash » d'une soixantaine de pages, le moment fort d'une existence.
Exercice n°3
5. La frontière entre roman et nouvelle peut-elle être floue ?
Carmen, La Vénus d'Ille, Mateo Falcone sont des nouvelles de Mérimée ; mais Colomba, du fait peut-être de sa longueur, est présentée par son auteur comme « mon roman ou ma nouvelle » : cette hésitation montre que les frontières entre la nouvelle et le roman sont assez floues. De même, les Trois Contes de Flaubert proposent trois histoires dont la première a le caractère réaliste d'une nouvelle. Les Contes de Maupassant posent le même problème : le titre met l'accent sur la dimension orale et quasi folklorique ou populaire de ces histoires, inscrites, pour la plupart, dans le terroir normand.
La citation
Roman : « œuvre d'imagination en prose, assez longue, qui présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels, fait connaître leur psychologie, leur destin, leurs aventures. » (Le Petit Robert)
Exercice n°1
Parmi les romans cités ci-dessous, lesquels appartiennent au mouvement réaliste qui prend son essor au xixe siècle en France ?
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
L'Astrée (Honoré d'Urfé)
Germinal (Émile Zola)
La Princesse de Clèves (Madame de Lafayette)
Le Père Goriot (Honoré de Balzac)
L'Éducation sentimentale (Gustave Flaubert)
Le Roman comique (Scarron)
Les Lettres persanes (Montesquieu)
Le Rouge et le Noir (Stendhal)
• Le roman réaliste se donne pour but de représenter fidèlement la société de son temps, même dans ses détails les plus sordides. Les grands noms de ce mouvement sont Balzac, Zola (figure de proue du naturalisme, qui est une prolongation du réalisme), Flaubert, Stendhal. On peut citer également les frères Goncourt ou Maupassant.
L'Astrée d'Honoré d'Urfé appartient au genre du roman pastoral qui fleurit au xviie siècle et se consacre au récit des amours de bergers raffinés.
Le Roman comique de Scarron (1651-1657) prend le contre-pied des romans précieux en les parodiant.
La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette est publié en 1678 : il s'agit du tout premier roman psychologique (introspection, analyse des sentiments des personnages).
Roman épistolaire du xviiie siècle, Les Lettres persanes de Montesquieu portent un regard critique sur les mœurs et les institutions françaises, fidèles en cela à l'esprit des Lumières.
Exercice n°2
Parmi les nouvelles citées ci-dessous, lesquelles peuvent être qualifiées de fantastiques ?
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
Le Chat noir (Edgar Allan Poe)
Le Horla (Maupassant)
Pierre et Jean (Maupassant)
Les Diaboliques (Barbey d'Aurévilly)
Matéo Falcone (Mérimée)
La Vénus d'Ille (Mérimée)
Le K (Buzzati)
Sylvie (Nerval)
On distingue la nouvelle réaliste, dont le but est de saisir sur le vif une « tranche » de réalité brute, de la nouvelle fantastique qui fait la part belle au surnaturel, à l'étrange. Dans Le Horla de Maupassant, par exemple, le narrateur est convaincu qu'une créature invisible et malfaisante a pris possession de lui. Comme souvent dans les nouvelles fantastiques, le lecteur doit déterminer lui-même si cet événement a une explication rationnelle (le narrateur est fou et a des hallucinations) ou une explication surnaturelle (la créature existe bel et bien). Les Diaboliques est une œuvre qui raconte des histoires extraordinaires, pleines de mystère, à la limite du fantastique, et mettant en scène des personnages féminins diaboliques.
Exercice n°3
Sur quelle technique littéraire repose le passage suivant ?
Du côté de chez Swann
« Si ma santé s'affermissait et que mes parents me permissent […] de prendre une fois […] ce train d'une heure vingt-deux dans lequel j'étais tant de fois monté en imagination, j'aurais voulu m'arrêter de préférence dans les villes les plus belles ; mais j'avais beau les comparer, comment choisir plus qu'entre des êtres individuels, qui ne sont pas interchangeables, entre Bayeux si haute dans sa noble dentelle rougeâtre et dont le faîte était illuminé par le vieil or de sa dernière syllabe ; Vitré dont l'accent aigu losangeait de bois noir le vitrage ancien ; le doux Lamballe qui, dans son blanc, va du jaune coquille d'œuf au gris perle ; Coutances, cathédrale normande, que sa diphtongue finale, grasse et jaunissante, couronne par une tour de beurre ; Lannion avec le bruit, dans son silence villageois, du coche suivi de la mouche ; Questambert, Pontorson, risibles et naïfs, plumes blanches et becs jaunes éparpillés sur la route de ces lieux fluviatiles et poétiques ; Bénodet, nom à peine amarré que semble vouloir entraîner la rivière au milieu de ses algues ; Pont-Aven, envolée blanche et rose de l'aile d'une coiffe légère qui se reflète en tremblant dans une eau verdie de canal ; Quimperlé, lui, mieux attaché et depuis le Moyen Âge, entre les ruisseaux dont il gazouille et s'emperle en une grisaille pareille à celle que dessinent, à travers les toiles d'araignées d'une verrière, les rayons de soleil changés en pointes émoussées d'argent bruni ? »
Marcel Proust, 1913

Cochez la bonne réponse.
la connotation
la dénotation
la polysémie
Le plus souvent, un mot comporte plusieurs sens : ses différents sens historiques, son sens propre, son sens figuré. On parle alors de polysémie.
Chacun des sens d'un mot donné par le dictionnaire est sa dénotation, c'est-à-dire son sens objectif, indépendant du locuteur, et qui peut comporter des nuances valorisantes ou dévalorisantes.
En rapport avec un contexte précis, une ou plusieurs connotations (ou suppléments de sens) peuvent s'ajouter à la dénotation d'un mot. Les connotations apparaissent dans les textes littéraires pour produire des effets de sens qui dépendent de l'univers personnel de l'écrivain. Dans ce texte, les connotations sont appelées par les noms réels et l'histoire de villes normandes et bretonnes ; il s'agit de connotations phonétiques (Quimperlé et le mot perle), linguistiques (Questambert, syllabes frustes et paysannes), graphiques (accent aigu de Vitré), ou historico-culturelles (Bayeux et sa célèbre tapisserie).