Vivre à Alger au début du xxe siècle

La conquête française de l'Algérie débute en 1830 par la prise d'Alger. La France doit faire face à une forte résistance armée menée par l'émir Abd-el-Kader jusqu'en 1847. En 1848, le territoire algérien est subdivisé en trois départements, et Alger devient la préfecture du département du même nom.
Comment la présence française à Alger transforme-t-elle la ville en faisant émerger une société coloniale au début du xxe siècle ?
Alger, une ville française ?
• Lorsque la conquête s'achève, Alger est maintenue comme capitale de la nouvelle colonie française d'Algérie et devient le siège du gouverneur général.
• La ville obtient également le statut de préfecture du département d'Alger dès 1848. Cette concentration des fonctions politiques et administratives permet un développement rapide. En effet, l'Algérie est une colonie de peuplement, c'est-à-dire qu'un grand nombre d'habitants venus de métropole sont encouragés à s'y installer. Ainsi, dans la deuxième moitié du xixe siècle, de nombreux Européens débarquent à Alger. Ils proviennent majoritairement de France et des pourtours de la Méditerranée (Italiens, Espagnols).
• De grands travaux d'urbanisme sont entrepris, notamment en bordure de mer le long du port. De nouveaux bâtiments publics sont installés : l'hôtel de ville, la préfecture, l'hôtel des postes, le lycée Bugeaud. Avec les travaux haussmanniens des années 1870, les quartiers de la ville basse d'Alger ressemblent beaucoup à des quartiers parisiens, avec leurs grandes avenues, leurs jardins et leurs écoles.
• Au début du xxe siècle, la toponymie établit Alger comme une ville française hors de France : sur la place du Gouvernement se dresse la statue équestre du duc d'Orléans, un des acteurs de la conquête française. Le boulevard de la République longe le port et se trouve non loin de la rue de la Liberté, de la rue Jules-Ferry et du boulevard Gambetta. Cela dit, l'architecture de style néo-mauresque utilisée pour certains bâtiments (préfecture, hôtel des postes) rappelle le caractère hybride de la ville et célèbre la culture locale avec un certain exotisme.
Alger, une capitale coloniale
• En effet, cette nouvelle ville européenne est greffée sur une ville musulmane préexistante. Dans la partie haute, la casbah (la ville arabe) est peu modifiée : de petites ruelles tortueuses mènent à de petites maisons serrées les unes contre les autres. Les deux parties de la ville offrent des paysages très différents ; elles se juxtaposent mais restent très différenciées. C'est ce qu'on appelle la ségrégation : les Européens et les « indigènes » (terme utilisé pour désigner les populations locales avant la colonisation) sont séparés dans l'espace urbain.
• Alger, en tant que capitale coloniale, constitue la tête de pont de la colonisation française de l'Afrique du Nord. C'est pourquoi des transports modernes y sont rapidement installés. Le chemin de fer fait son apparition dès 1892 : une ligne de chemin de fer traverse la ville le long du port, et permet l'acheminement de marchandises et de matières premières. Le port d'Alger est lui-même étendu et modernisé. Il occupe le 2e rang des ports français après Marseille pour le tonnage et multiplie les échanges avec la métropole.
• Alger apparaît donc comme une ville active et dynamique au début du xxe siècle, qui cumule les fonctions politiques, économiques et culturelles. Mais la domination coloniale produit également un espace hiérarchisé et différencié, où les « indigènes » sont discriminés.
Alger, une ville inégalitaire traversée par des tensions
• D'abord, dès la conquête de l'Algérie, les populations locales sont progressivement dépossédées de leurs terres, dans le cadre d'une vaste politique d'expropriation en faveur des Européens.
• Les indigènes et les étrangers sont des sujets français, c'est-à-dire qu'ils sont sous la souveraineté de la France. Cependant, ils ne possèdent pas la nationalité française. Si ces populations peuvent demander la naturalisation à partir de 1865, elles ne sont pas traitées sur un pied d'égalité. En effet, dès 1870, le décret Crémieux accorde la nationalité française à tous les Juifs d'Algérie. En 1889, c'est au tour des étrangers de bénéficier de mesures favorisant leur accès à la nationalité française. Les indigènes musulmans sont donc particulièrement discriminés : en effet, pour obtenir la naturalisation, ils doivent suivre une procédure longue et difficile et abandonner leur statut personnel, qui leur permet de suivre leurs coutumes. C'est pourquoi ils sont peu nombreux à demander la nationalité française et sont largement privés de leurs droits politiques.
• À partir de 1881, tous les indigènes qui sont sujets français doivent se plier au Code de l'indigénat. Cette série de réglementations instaure un régime pénal d'exception qui restreint fortement leur liberté. Par exemple, les indigènes peuvent être condamnés à de la prison, de lourdes amendes ou aux travaux forcés en cas d'actes irrespectueux ou de propos tenus contre la France et le gouvernement.
• La présence française à Alger débouche donc sur la mise en place d'une société coloniale, où les inégalités sont importantes et où les populations cohabitent sans se mélanger. C'est la raison pour laquelle les revendications des indigènes grandissent de plus en plus, jusqu'au déclenchement de la guerre d'indépendance (1954-1962).