Jules Verne, Voyage au centre de la Terre : science et fiction

Jules Verne est né à Nantes en 1828 et est mort à Amiens en 1905. Dès son plus jeune âge, il est attiré par les voyages sur la mer. Il commence ses études à Nantes pour les terminer à Paris. Il délaissera ses études de droit pour se consacrer entièrement à la littérature et à l'écriture. Il commence par écrire des poèmes et des pièces de théâtre, puis de nombreux romans comme Voyage au centre de la Terre (1864), Vingt Mille Lieues sous les mers (1869), Le Tour du monde en quatre-vingts jours (1873), L'Île mystérieuse (1874), Michel Strogoff (1876)… Parallèlement à ses nombreux travaux d'écriture, Jules Verne effectue plusieurs voyages (Royaume-Uni, Norvège, Scandinavie, États-Unis, Irlande, Écosse….) qui nourrissent directement ses œuvres de fiction. Au cours de sa carrière, l'auteur reçoit diverses consécrations : en 1863, il devient membre de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques ; en 1865, il devient membre de la Société de géographie. Cette dernière couronne le travail d'autodidacte de Jules Verne qui a passé plusieurs années à effectuer des recherches scientifiques réutilisées dans ses œuvres.
I. Voyage au centre de la terre et son inscription dans le xix e  siècle
• Cette œuvre de Jules Verne marque les esprits à plus d'un titre. Les œuvres de l'auteur sont déjà connues et cette dernière ne fait que rappeler les succès précédents. Les livres de Jules Verne s'adressent à un très large public et tout particulièrement, Voyage au centre de la Terre. En effet, les adolescents se laissent emporter par la magie du progrès scientifique et du voyage entrepris par le professeur Lidenbrock et Axel. Et les adultes, eux, sont vivement intéressés par les théories scientifiques émises par le professeur Lidenbrock et s'interrogent en sa compagnie. Pour petits et grands, Voyage au centre de la Terre est le support de rêves, de voyages quasi impossibles vers un monde perdu et mystérieux. En plus de plaire, le style de Jules Verne est également accessible à tous : simple, léger, rempli d'humour. Les lecteurs partagent la gaieté du ton et l'alternance du sérieux et du grotesque entre les attitudes de Lidenbrock et d'Axel. Comme ses contemporains Labiche, Meilhac, Halévy, Gondine, Jules Verne souhaite plaire au public, l'amuser par des paroles et gestuelles comiques, voire caricaturales, pour ce professeur, scientifique quelque peu fou.
Voyage au centre de la Terre s'inscrit également dans son époque. Les diverses références à la science révèlent un auteur soucieux de prendre en compte les innovations et progrès de son temps. La science est en pleine effervescence et les romans de Jules Verne reflètent bien cette dynamique. En plus du développement de la cinématographie, de la photographie, de la télégraphie, du téléphone, de la navigation sous-marine, de l'aviation, Jules Verne assiste à la naissance de la locomotive (1804), de la dynamite par Nobel (1864), de la lampe à incandescence par Edison (1878), à la découverte des ondes électromagnétiques par Hertz (1887), des électrons par Joseph John Thomson (1897), des rayons X par Röntgen (1895) et du radium par les époux Pierre et Marie Curie (1898). La science est donc en pleine effervescence et Jules Verne parvient à bien reproduire dans ses romans le dynamisme et l'optimisme de son temps.
II. Un roman d'aventures
• Le roman d'aventures met l'accent sur l'action, sur le suspense entretenu par une accumulation de péripéties (la descente dans le volcan, la recherche de l'eau, Axel qui se perd dans la grotte, l'orage sur le radeau…), de surprises, de retournements de situation sortant de l'ordinaire. Après avoir déchiffré le mystérieux parchemin du célèbre alchimiste islandais du xvi e  siècle, Arne Saknussemm, et après avoir résolu son énigme grâce à l'aide de son neveu Axel, le professeur Lidenbrock décide d'entreprendre ce voyage fou puisqu'il existe un moyen de descendre au centre de la Terre par l'intermédiaire d'un cratère. Les aventures, très souvent liées au hasard ou au destin, bouleversent l'existence du héros en le faisant le plus souvent s'élever, grandir, accroître ses qualités positives. Soutenu par Graüben qui pense qu'un homme doit se distinguer des autres par l'accomplissement de grands projets (chapitre VII), Axel reviendra plus fort de cette expédition.
• Le récit cherche souvent à procurer dépaysement –  ici géographique par ce voyage dans les profondeurs de la Terre et les différents lieux traversés (Danemark, Norvège, Islande…)   – au lecteur qui peut ainsi s'évader. Dès l'incipit du roman et dès sa première phrase, « Le 24 mai 1863, un dimanche, mon oncle, le professeur Lidenbrock, revint précipitamment vers sa petite maison située au numéro 19 de Königstrasse, l'une des plus anciennes rues du vieux quartier de Hambourg », le lecteur comprend que le récit est mené par un narrateur (on apprendra quelques lignes plus loin qu'il se prénomme Axel) qui raconte, en utilisant le première personne du singulier, toutes les aventures, qui révèle ses pensées, qui décrit les paysages (chapitre XII par exemple) et les objets de manière subjective, et qui est donc le médiateur de l'histoire par le biais de la focalisation interne. Cette première phrase renseigne également sur le lieu de l'action –  une maison en Allemagne  –, sur une époque en pleine effervescence – le xixe siècle  – et sur les deux personnages principaux, le professeur Lidenbrock et le narrateur. Enfin, le roman d'aventures invite à une réflexion morale et permet aux personnages cette ascension. Le dernier chapitre XLV souligne bien la reconnaissance du professeur Lidenbrock qui devient une référence auprès de la société universitaire à travers le monde et celle d'Axel qui épouse Graüben pour qui l'amour n'a cessé de croître malgré l'absence et la séparation géographique. Axel rédige un livre inspiré directement de ses dernières aventures, Voyage au centre de la Terre, œuvre qui rencontrera un très grand succès.
III. Un roman de science-fiction
• Richard Saint-Gelais définit ainsi la science-fiction : « Le terme de science-fiction (abrégé en SF) désigne des récits (romans ou nouvelles) où se combinent des extrapolations scientifiques ou techniques et une trame narrative axée sur une intrigue généralement située dans un ailleurs spatial ou temporel (généralement le futur). » (Richard Saint-Gelais, article « science-fiction » in Le Dictionnaire du littéraire, sous la direction de Paul Aron, Denis Saint-Jacques, Alain Vial, Paris, PUF, [2002], 2010).
• Si la science-fiction n'est pas apparue de manière soudaine, les voyages extraordinaires de Jules Verne ont contribué à la naissance de cette dernière. Des caractéristiques propres à ce genre se retrouvent dans les romans de Jules Verne. Tous les personnages importants dans Voyage au centre de la Terre sont liés à la science : Snorre Turleson, auteur et historien ; Otto Lidenbrock, géologue et minéralogiste ; Axel Lidenbrock, assistant de son oncle ; Graüben, minéralogiste ; Arne Saknussemm, alchimiste, professeur Thomson, directeur d'un musée ; professeur Fridricksson, spécialiste en sciences naturelles, Hans Bjelke, guide, chasseur et naturaliste. Les spécialités de ces personnages reflètent la palette des domaines de recherche scientifique présents au xixe siècle : la biologie, la chimie, l'astrologie, la météorologie, la physique et l'alchimie qui était considérée à cette époque comme une véritable science. À ce titre figurent des mentions à caractère scientifique dans le roman comme les indications du chronomètre, du baromètre, du thermomètre, de la direction (page 130), les échanges entre le professeur et son neveu pour évaluer la progression de leur marche et de leur découverte (page 134).
• À chaque étape du voyage, à chaque découverte, le lecteur assiste à des descriptions précises des lieux et éléments naturels. Jules Verne use d'une rigueur très réaliste – l'auteur s'inspire notamment des nombreux voyages qu'il a lui-même effectués – et toute scientifique pour renseigner le nom des pierres, des végétaux notamment « lycopodes », « sigillaires géantes », « lépidodendrons » (page 200). Dans Voyage au centre de la Terre, Jules Verne interroge et teste une théorie scientifique à savoir l'augmentation de la température dans les profondeurs de la terre. Axel soutient cette thèse (chapitre VI) pendant que le professeur déclare que « la science est éminemment perfectible, et que chaque théorie est incessamment détruite par une théorie nouvelle ». Les codes de la fiction romanesque et la dimension scientifique relative du roman ne permettent pas à Jules Verne d'avoir la prétention de résoudre le problème de cette théorie, mais d'être seulement en lien avec les recherches et interrogations de son temps. Une autre caractéristique s'ajoute à la veine « science-fiction » de ce roman, son côté utopiste. Jules Verne ne cesse d'apporter des aventures incroyables, imaginaires à ce voyage dans les profondeurs de la Terre comme la rencontre impossible avec certains lieux et animaux, par exemple lorsque Axel découvre la mer éclairée par une aurore boréale et la traversée d'une forêt de champignons géants ! (chapitre XXX)
IV. Un roman « populaire »
• Au cours de la IIIe  République, grâce aux lois de Jules Ferry en 1882 qui rend l'école gratuite et obligatoire, le peuple reçoit plus d'instruction et les connaissances de base pour lire et pour écrire. Cette évolution bouleverse les relations entre auteurs et lecteurs. Ces derniers peuvent lire par eux-mêmes ! La lecture n'est donc plus réservée à la grande bourgeoisie, mais elle est aussi accessible aux classes moyennes et au bas peuple. La littérature entre de plus en plus dans les foyers et, lors des veillées, celui qui sait lire dans une famille fait profiter oralement de sa lecture aux autres membres qui habitent la maison. L'adjectif « populaire » qualifie ce genre romanesque qui s'adresse à toute la population, aussi bien les riches que le bas peuple qui reste majoritaire. Malgré sa mauvaise réputation, qualifié de « roman industriel » ou de « roman de mauvais genre », le roman populaire se développe et apparaît sous forme de feuilletons dans les journaux permettant ainsi à tous de lire et d'attendre la suite du roman dans le prochain numéro du journal.
Voyage au centre de la Terre connaît d'ailleurs initialement, en 1864, cette publication en feuilletons dans le journal Le Musée des familles, sous-titré Lectures du soir. Le Musée des familles. Lectures du soir est parmi les premiers périodiques illustrés, à bas prix, en France, au xix e  siècle. Il est accessible aux familles modestes peu cultivées désireuses de s'instruire. Un nombre considérable d'auteurs y ont publié leurs œuvres : Balzac, Jules Verne, Eugène Sue, Théophile Gautier, Alexandre Dumas, Victor Hugo…Jules Verne écrit pour un large public, grands et petits, lettrés et moins cultivés. Il mêle fiction et science pour intéresser et pour nourrir intellectuellement tout le monde en répondant là à un engagement humaniste qu'il confère à la littérature notamment.
V. Parcours de lecture : science et fiction
• Le rapport entre science et fiction est étroit et complexe. Si ces deux domaines semblent s'opposer, des influences réciproques les unissent en réalité. Les écrivains s'inspirent en effet des découvertes scientifiques de leur temps pour expliquer le monde dans lequel ils vivent, mais aussi pour imaginer un temps futur. Dès le xvi e  siècle, les poètes s'intéressent aux découvertes scientifiques de leur temps, notamment à l'étude des astres, et cherchent à transmettre à leurs lecteurs leur fascination pour la beauté de l'univers tout en expliquant ses mécanismes : la poésie didactique, visant à transmettre des connaissances sur les phénomènes terrestres et la création du monde, prend son essor, avec une portée souvent religieuse.
• Au xvii e  siècle, puis au siècle des Lumières, le goût pour la science continue à s'exprimer en littérature. Fontenelle rédige ainsi l'apologue de « La dent d'or », qui raconte l'histoire d'un enfant à qui il pousse une dent en or après avoir perdu ses dents de lait. L'auteur, en montrant les remous provoqués par cette nouvelle fausse et sans fondement, veut souligner l'importance de la démarche scientifique : « Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens, qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait, mais enfin nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est point. » Montesquieu, Diderot, Voltaire insisteront également sur l'importance de la science.
Au xix e  siècle, de nombreux auteurs s'inspirent des nouvelles théories scientifiques, notamment en ce qui concerne l'évolution des espèces et l'hérédité, pour expliquer la société. Balzac, dans l'avant-propos de La Comédie humaine, explique qu'il s'inspire de la zoologie. Zola emprunte sa méthode d'écrivain à la médecine expérimentale et promeut une démarche scientifique fondée sur des observations concrètes.
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