Lettre d'Étienne Tanty, poilu de la Grande Guerre

« Jeudi 28 janvier 1915, J'erre, toujours aussi incapable d'écrire. J'ai eu hier matin votre lettre du 23 et j'ai mis une enveloppe hier soir. Il gèle épouvantablement ce matin, sans que j'arrive à me réchauffer les doigts. S'il n'y avait encore que les doigts de gelés ; mais le bonhomme ne vaut guère mieux, et le cafard est pire que la gelée. Car n'est-ce pas, j'ai le cafard, vous vous en doutez, et je désespère de le chasser. Il y a de quoi, et ce n'est pas aujourd'hui qu'il passera ; la perspective de retourner ce soir dans le vieux secteur du bois carré, et de reprendre la vie souterraine, nocturne et marécageuse n'étant pas pour le dissiper. Voilà six mois bientôt que ça dure, six mois, une demi année qu'on traîne entre vie et mort, jour et nuit, cette misérable existence qui n'a plus rien d'humain ; six mois, et il n'y a encore rien de fait, aucun espoir ; six mois qu'on a quitté le fort, et l'on est un peu moins avancé qu'au lendemain du Châtelet. [...] Hier, ou avant-hier, au rapport, on a lu des lettres de prisonniers boches. Pourquoi ? Je n'en sais rien, car elles sont les mêmes que les nôtres. La misère, le désespoir de la paix, la monstrueuse stupidité de toutes ces choses, ces malheureux sont comme nous, les Boches ! Ils sont comme nous et le malheur est pareil pour tous. »
Lettre d'Étienne Tanty, 1915

En janvier 1915, le front est stabilisé : commence alors la guerre de position ou « guerre d'usure ». Les soldats sont confrontés à leur premier hiver et à la dure réalité quotidienne des tranchées. Étienne Tanty est l'un d'entre eux : jeune Versaillais de 24 ans, il était étudiant en philosophie avant d'être mobilisé. Blessé en 1915, prisonnier en 1918 puis finalement démobilisé en 1919, Étienne sort vivant du conflit. Il devient professeur de lettres et de latin.