Construire la paix depuis le xviie siècle, juin 2025 (dissertation, sujet 2)

Énoncé

Construire la paix depuis le xviie siècle.

Corrigé

Introduction
[Accroche] L'embrasement aussi bien en Ukraine qu'à Gaza de deux conflits de basse intensité depuis les années 1990 en des affrontements de haute intensité en 2022 pour l'un et 2023 pour l'autre rappelle que construire la paix durable reste une entreprise rare et fragile.
[Présentation du sujet et définition des termes] En effet, la paix ne signifie pas simplement arrêter les combats et signer des traités de paix. Pour instaurer une paix durable, il faut parvenir à une situation où les différents acteurs auparavant en conflit vivent en respectant l'existence et le droit des autres. Johan Galtung, dans ses recherches sur la paix, montre ainsi qu'il existe différentes formes de paix. La paix négative d'une part est la situation où il n'y a plus de conflit armé mais où les tensions persistent car les motifs du conflit n'ont pas été résolus. La paix positive d'autre part est celle qui instaure les conditions d'une paix durable et stable, c'est-à-dire où les acteurs reconnaissent mutuellement les besoins de l'autre et où tous ont la possibilité d'une vie décente. Construire une paix durable nécessite donc d'organiser les relations internationales pour tenter d'y parvenir. Depuis le xviie siècle, différents systèmes de relations internationales ont été établis afin d'encadrer et de réduire les conflits armés.
[Problématique] Par quelles voies construit-on la paix depuis le xviie siècle ?
[Annonce du plan] D'abord au xviie siècle, un premier système est mis en place pour réguler les guerres européennes : le système d'équilibre des puissances. Au xxe siècle, les guerres mondiales poussent les États à construire un nouveau système, celui de la sécurité collective. Fortement entamé par la guerre froide, ce système tente de trouver un nouveau souffle au xxie siècle.
I. Une paix fragile fondée sur la diplomatie
De la guerre de Trente Ans à la Première Guerre mondiale, les puissances européennes tentent d'instaurer un équilibre des puissances pour limiter les conflits armés.
1. Un nouveau système : les traités de Westphalie
Après la guerre de Trente Ans, les puissances européennes établissent un nouveau système international, le système westphalien, afin d'encadrer la guerre et d'en limiter la fréquence et l'intensité. Ainsi, les traités de Westphalie en 1648 mettent fin à une guerre meurtrière qui a mis l'Europe à feu et à sang. La guerre de Trente Ans (1618-1648) a impliqué la plupart des pays d'Europe occidentale et centrale et a conduit à la mort de 20 % de la population du Saint-Empire romain germanique. La résolution du conflit repose sur deux bases essentielles pour les relations internationales. D'abord, c'est l'une des premières fois dans l'histoire européenne que la paix s'instaure dans un congrès international où un grand nombre de participants sont présents pour prendre part aux négociations. Construire la paix se fait donc de façon multilatérale, les États coopèrent pour instaurer une paix dans un cadre commun. Ensuite, les traités de Westphalie encadrent les relations internationales par trois principes de droit. La souveraineté externe pose le principe que tout État reconnaît les autres égaux avec lui en droit. Ce principe n'est pas encore formalisé en 1648 mais en constitue un fondement implicite. La souveraineté interne instaure le fait que chaque État a autorité exclusive sur ses territoires et ses populations et qu'aucun autre acteur ne peut intervenir dans ses affaires intérieures. L'équilibre des puissances établit le fait qu'aucun État ne doit dominer d'autres. Chaque État s'engage à intervenir par voie diplomatique ou militaire si un État devient hégémonique. Ainsi, ce système a pour but de limiter la puissance de chaque État et donc les motifs de conflit.
2. Une paix malmenée
Ce système perdure en Europe jusqu'au début du xxe siècle. S'il permet une certaine régulation et l'ancrage d'habitudes diplomatiques, il ne permet pas de construire une paix durable. En effet, le système westphalien justifie la guerre comme moyen politique. Quand des puissances renversent l'équilibre des puissances, la force armée est mobilisée. Il permet toutefois jusqu'à la fin du xviiie siècle de limiter l'ampleur des conflits armés. En effet, au xviie siècle, la France de Louis XIV est rapidement contrée dans ses ambitions. De même, au xviiie siècle, lors de la guerre de Sept Ans, l'intervention de l'Angleterre neutralise les ambitions de la Prusse et de l'Autriche et diminue la puissance maritime de la France. Toutefois, ce système est malmené avec les guerres révolutionnaires et napoléoniennes qui sont des guerres d'un nouveau type. La France ne voit plus les autres États comme des égaux mais des monarchies absolues qui ne sont plus légitimes dans leur pouvoir. Toutefois, il y a dans tous les cas la volonté de marquer une frontière nette entre guerre et paix : les diplomates maintiennent l'usage des conférences internationales pour négocier la paix et signer des traités. On pense notamment au traité de Nimègue au xviie siècle ou au Congrès de Vienne qui met fin à l'expansion napoléonienne et rééquilibre la carte de l'Europe.
La guerre de Trente Ans, par son horreur, a incité les diplomates et les hommes politiques de l'époque moderne à penser la manière de faire la paix. Le système mis en place, s'il ne garantit pas une paix durable, limite les ambitions de chacun et donc les motifs de conflit. C'est un autre conflit très meurtrier, la Première Guerre mondiale, qui ranime l'envie au sein de la classe dirigeante d'établir une paix durable.
II. Le xxe siècle : un tournant pour les relations internationales ?
Au xxe siècle, la paix se fait non plus dans le cadre de l'équilibre des puissances, mais dans celui de la sécurité collective.
1. L'échec de la Société des Nations (SDN)
Après la Première Guerre mondiale, l'instauration d'une première organisation internationale, la Société des Nations (SDN), constitue une première tentative de paix positive. En effet, après la Première Guerre mondiale et sous l'impulsion du président américain Wilson, la SDN est créée pour faciliter la coopération entre États. Son conseil se réunit trois fois par an pour sanctionner les États ne respectant pas la souveraineté des autres. Toutes les sanctions sont d'ordre économique ou diplomatique : blâme, embargo, refus de crédit. Il existe aussi une assemblée annuelle pour débattre des questions relatives à la paix dans le monde et une cour internationale de justice. Bref, différents outils sont mis en œuvre afin de ne pas avoir recours à la guerre pour sanctionner un État qui ne respecte pas le droit international. Ainsi, la SDN a le mérite d'instaurer une culture du multilatéralisme et de l'arbitrage. Elle permet de résoudre plusieurs crises. Par exemple, en Autriche et en Hongrie, elle stabilise l'économie par la mise en place de réformes et d'une aide internationale. Toutefois, la SDN ne parvient pas à apaiser les tensions des années 1930 pour plusieurs raisons : certaines puissances majeures n'y participent pas durablement, comme les États-Unis qui refusent de ratifier le traité, ou s'en retirent, comme l'Allemagne, l'Italie et le Japon dans les années 1930. D'autre part, face aux poussées militaristes des forces de l'Axe, la SDN a du mal à se coordonner et à s'opposer aux expansions territoriales du Japon ou de l'Allemagne.
2. La création de l'Organisation des Nations Unies (ONU)
Face au nouveau seuil de violence franchi avec la Seconde Guerre mondiale, la nécessité de construire une paix durable s'impose à nouveau. Le 26 juin 1945, est signée la Charte de San Francisco qui donne naissance à l'Organisation des Nations Unies. L'article 1 en formule les buts : garantir la paix dans le monde, assurer les droits humains fondamentaux et le développement de toutes les populations. Comme pour la SDN, le principe est la sécurité collective, c'est-à-dire que la sécurité d'un État est l'affaire de tous. Les États doivent coopérer pour maintenir la paix et agir ensemble en prévention des conflits. Contrairement à la SDN, l'ONU accueille les vainqueurs et les vaincus et progressivement tous les pays issus de la décolonisation. Outre l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité, l'ONU dispose de nombreuses organisations spécialisées dans le développement. Le but n'est donc plus d'agir seulement quand il y a des tensions, mais en permanence pour garantir les droits de tous. Ainsi, l'ONU agit à trois moments différents : en prévention des conflits, par la diplomatie et l'éducation pour limiter les inégalités et les contentieux ; lors d'un conflit armé, elle peut intervenir par la pression diplomatique, en envoyant sa force de médiation, les casques bleus, ou une armée formée par une coalition d'États membres ; enfin, à l'arrêt des combats, les casques bleus sont envoyés pour éviter le retour des combats, désarmer, déminer, protéger les populations, et un soutien humain et financier peut aussi être apporté pour la reconstruction des territoires touchés. Bref, l'objectif est d'établir une paix durable à l'échelle mondiale. Toutefois, dès les années 1950, la guerre froide paralyse le fonctionnement de l'ONU. Les États-Unis et l'URSS, membres permanents au Conseil de Sécurité, bloquent toute décision d'ampleur – les résolutions – en utilisant de façon illimitée leur droit de veto. Par exemple, les États-Unis bloquent régulièrement les résolutions critiquant la politique d'Israël qui s'étend au-delà du plan de partage de la Palestine proposé par l'ONU en 1947. L'activité de maintien de la paix est réduite, bien que quelques missions aient lieu, comme en Corée ou au Congo.
Au xxe siècle, le système des relations internationales change : il ne s'agit plus seulement de limiter la puissance d'un État et donc de construire des paix ponctuelles, mais de tenter d'assurer une paix durable en favorisant la coopération entre États et le comblement des inégalités. Toutefois, les discours ont du mal à se matérialiser en acte en raison de la bipolarisation du monde entre bloc occidental et bloc soviétique. À partir des années 1990, l'espoir d'une paix durable connaît un nouveau souffle, très vite entamé par l'hybridation des conflits armés et le manque de respect du droit international par les grandes puissances.
III. Les défis du xxie siècle pour une paix durable
Depuis 1991, le système de sécurité collective assuré par l'ONU cherche un nouveau souffle pour construire une paix durable à l'échelle mondiale.
1. Un certain espoir après la guerre froide…
Les années 1990 marquent l'espoir de l'établissement d'une paix durable. En effet, avec l'implosion de l'URSS et la fin des tensions entre URSS et États-Unis, l'espoir naît au sein des observateurs politiques et de la communauté internationale d'un monde en paix. Les États-Unis, seule hyperpuissance, se posent comme les « gendarmes du monde » et se veulent les défenseurs de la paix tout en respectant le principe du multilatéralisme. Dès lors, l'ONU semble avoir les éléments pour être plus active : respect du droit international affiché par les États-Unis, moindre utilisation du droit de veto. Ainsi, lors de l'agression du Koweït par l'Irak en 1990, l'ONU vote une résolution et, les sanctions économiques n'ayant pas d'effet, envoie une coalition menée par les États-Unis. Ainsi, la principale puissance agit non seule, mais collectivement avec l'accord de l'Organisation des Nations Unies. Toutefois, l'ONU reste impuissante face à plusieurs crises majeures : le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, les violences perpétrées lors de la guerre en Bosnie-Herzégovine. Globalement, l'arrivée de Kofi Annan au poste de secrétaire général de l'ONU participe à l'espoir d'une construction de la paix dans la durée. L'ONU diversifie ses actions, en appuyant notamment les ONG sur le terrain dans leurs missions humanitaires, et parvient à monter plusieurs opérations de paix. Ainsi, la mission MINUSIL en Sierra Leone de 1999 à 2005 est saluée pour les réussites auxquelles elle est parvenue. Elle se fait dans le cadre d'une guerre civile qui ravage le pays de 1991 à 2002. Malgré de nombreuses difficultés, les casques bleus parviennent à démobiliser et aident à la réintégration dans la société de près de 75 000 combattants. Ils appuient une juridiction transitionnelle, la Commission Vérité et Réconciliation qui enquête sur les causes et les auteurs de violation des droits humains. Enfin, les casques bleus aident à réhabiliter l'État sierra-léonais dans ses fonctions en formant militaires et policiers, en réhabilitant écoles, hôpitaux, infrastructures de transport, tribunaux, en aidant l'État à reprendre le contrôle de l'exploitation des mines de diamants. En bref, les années 1990 et 2000 marquent un espoir de paix.
2. … qui est mis à mal par un ordre mondial instable et complexe.
Cependant, l'autorité de l'ONU est rapidement remise en cause, alors que le monde est de plus en plus instable et complexe. Dès 2003, les États-Unis foulent aux pieds les principes de sécurité collective et de multilatéralisme en entrant en guerre contre l'Irak sans accord de l'ONU. Le Conseil de Sécurité mène pourtant toute une action diplomatique auprès du dirigeant irakien de l'époque, Saddam Hussein, que les États-Unis accusent, dans leur lutte contre « l'axe du mal », de financer le terrorisme et de détenir des armes de destruction massive. Des inspecteurs sont envoyés par l'ONU et reçus par Saddam Hussein, ce qui atteste d'un début de coopération. La France notamment appuie cette démarche et ne souhaite pas, au nom de la sécurité collective, l'intervention d'une coalition. Par crainte de veto à leur résolution d'entrée en guerre, les États-Unis décident d'agir de façon unilatérale en se passant de la communauté internationale. Leur intervention, bien loin d'apaiser la région, est le terreau d'une déstabilisation majeure de la zone moyen-orientale. En Irak, ils attisent la guerre civile, qui permet à plusieurs organisations terroristes de prospérer. L'ONU est à nouveau paralysée. Elle devient impuissante à la fois face à des grandes puissances que l'on ne peut pas condamner en raison de leur pouvoir de veto, mais aussi face à des acteurs de guerre qui ne sont plus des États. En effet, les organisations terroristes deviennent des acteurs essentiels, tout comme d'autres acteurs non conventionnels (civils qui prennent les armes, pirates). Seule une réforme de fond de l'ONU, avec suppression des membres permanents, outils de décision plus adaptés au monde actuel, permettrait de poursuivre ce vœu de paix durable, aujourd'hui bien embourbé dans des conflits où les puissants restent impunis.
Conclusion
En conclusion, plusieurs voies ont été tentées pour construire la paix depuis le xviie siècle. À chaque fois, cette volonté est née en réaction à des guerres traumatisantes par leur violence et leur bilan humain. Ainsi, au xviie siècle, après la guerre de Trente Ans, une première organisation des relations internationales est mise en place. Le système westphalien pose des grands principes du droit international, celui d'équilibre de puissance et de souveraineté (pour ce dernier, encore en vigueur aujourd'hui). On accepte les conflits armés, mais ceux-ci doivent être au service d'un équilibre géopolitique. L'époque moderne est aussi importante dans la manière de construire la paix sur la courte durée. En effet, c'est à cette époque que s'instaure l'usage des congrès internationaux où tous les belligérants négocient afin d'aboutir à des accords de paix. Toutefois, l'idée d'ancrer la paix dans la durée naît surtout au xxe siècle face à l'horreur des guerres mondiales. Le principe de sécurité collective rend l'ensemble des États du monde responsables de la sécurité. Il s'agit d'agir de façon multilatérale, c'est-à-dire en coopération et en concertation. De plus, avec la naissance de l'ONU, l'idée est d'agir non seulement à la fin d'un conflit mais aussi en prévention, en faisant respecter les droits humains fondamentaux et en luttant contre les inégalités socio-économiques. Si la mission de l'ONU est nécessaire pour construire une paix positive, celle-ci peine à se mettre en place, en raison du blocage des grandes puissances durant la guerre froide et du non-respect du droit international par ces mêmes puissances dans le monde instable actuel.