Les sciences au service de la guerre (dissertation)

Énoncé

Dissertation : les sciences au service de la guerre

Corrigé

Introduction
[Analyse du sujet et problématisation] Les sciences apparaissent parfois comme des disciplines désintéressées, mues par la curiosité et le désir de comprendre le monde. L'étude historique de leur développement révèle pourtant le lien étroit qui les unit avec la guerre, tout particulièrement à partir de l'industrialisation au xviiie siècle.
[Annonce du plan] La géographie, la physique, la chimie et les mathématiques sont abondamment utilisées à des fins militaires, ce qui contribue à transformer et à orienter ces disciplines scientifiques, en même temps que la façon de faire la guerre se transforme sous l'influence des moyens scientifiques et techniques à disposition.
I. La géographie au service de la guerre
1. La cartographie au service de la maîtrise du territoire
Carl von Clausewitz souligne le lien étroit entre la connaissance du territoire et la guerre : « Le territoire avec son espace et sa population est non seulement la source de toute force militaire, mais il fait aussi partie intégrante des facteurs agissant sur la guerre, ne serait-ce que parce qu'il constitue le théâtre des opérations. » Connaître le territoire est ainsi un objectif majeur des militaires à partir de l'époque moderne. La géographie, comme l'écrit Yves Lacoste, sert donc « d'abord à faire la guerre ».
En guerre, la connaissance du terrain est un avantage inestimable, ce qui justifie les travaux cartographiques entrepris par les militaires. Daniel Foliard soutient que les États modernes, à partir du xvie siècle, entreprennent un effort cartographique majeur qui vise à la fois à triompher des ennemis extérieurs et à contrôler et construire le territoire national. Cet effort implique la création d'institutions dévolues à la cartographie et très liées au domaine militaire. Ainsi, en 1688, sous Louis XIV, est créé le Dépôt de la guerre qui a pour but de rassembler les informations cartographiques dans un but militaire. Un siècle plus tard, en 1791, l'Ordnance Survey, département de cartographie britannique, est créé après la rébellion jacobite et la bataille de Culloden en Écosse. La production de cartes militaires contribue à militariser la vision de l'espace. Ainsi, les cartes indiquent les actions militaires passées et servent à préparer les actions futures. Elles remplissent un rôle similaire à celui des fortifications édifiées par Vauban autour du royaume de France : elles permettent l'appropriation du territoire. La connaissance du territoire permet le renforcement de la mainmise des États sur le territoire national.
2. Les évolutions de la cartographie et les mutations de la guerre
Les mutations de la cartographie accompagnent celles de la guerre. Daniel Foliard souligne ainsi que l'apparition vers 1890 du tir d'artillerie indirect sur une cible invisible implique des cartes adaptées, qui permettent de déterminer précisément une position en trois dimensions. Plus récemment, le système de Global Positioning System (GPS) est développé à partir de 1973 par l'armée américaine pour permettre un guidage précis des missiles, avant d'être ouvert aux usages civils. L'enjeu de la connaissance précise du territoire, désormais d'envergure mondiale, est si important que la Russie, la Chine et l'Union européenne entreprennent chacune de construire leur propre système de localisation par satellite. La connaissance géographique n'est donc pas un outil anodin, et peut être utilisée comme une arme ou un outil de contrôle par les États.
II. La science des armes
1. Les techniques militaires avant le xxe siècle
Léonard de Vinci se plaisait à imaginer des machines de guerre sophistiquées : ailes volantes, scaphandres ou chars d'assaut. Il s'agissait plutôt d'expérimentations, mais nombreuses sont les machines militaires qui découlent directement de progrès techniques : les catapultes grecques et romaines et l'artillerie à la fin du Moyen Âge par exemple. Cependant, jusqu'à l'époque contemporaine, la victoire au combat dépend plutôt de l'organisation des armées, du nombre des combattants et du moral des troupes que de l'usage d'armes sophistiquées. L'artillerie, au xve siècle, a ainsi un but psychologique important, mais ne permet que rarement d'emporter la victoire, et c'est surtout l'usage des archers qui donne un avantage déterminant aux armées anglaises pendant la guerre de Cent Ans.
Le parachute de Léonard de Vinci.
Le parachute de Léonard de Vinci.
2. La Première Guerre mondiale et l'apparition de la guerre industrielle
C'est principalement à partir de l'industrialisation, au xviiie siècle, que les sciences sont massivement utilisées dans des buts militaires. La Première Guerre mondiale est ainsi l'occasion pour les chimistes et les physiciens de mettre leur savoir au service de la guerre. Paul Langevin imagine un système de détection des sous-marins, tandis que Fritz Haber invente des gaz de combat à base de chlore, ce qui favorise l'essor de la guerre chimique. Du fait de l'effet terrifiant des gaz de combat, la Première Guerre mondiale apparaît comme une véritable guerre chimique. À partir de 1916, l'aviation est largement utilisée, pour des bombardements, des combats aériens ou des missions d'observation. La Première Guerre mondiale n'est pourtant pas gagnée par l'usage d'armes sophistiquées, mais grâce à l'endurance des armées, dont l'infanterie est l'emblème.
3. Le rôle déterminant de la science pendant la Seconde Guerre mondiale
Les choses changent lors de la Seconde Guerre mondiale, qui voit l'invention et l'usage d'armes déterminantes. C'est durant ce conflit que se formalise l'usage militaire de la science : en France, le CNRS est créé pour mobiliser les savants. Aux États-Unis, le projet Manhattan est secrètement mis en place pour développer la bombe nucléaire, qui est finalement utilisée en août 1945 au Japon (bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki). Il rassemble de nombreux scientifiques travaillant sous les ordres de militaires. L'aviation, très utilisée à partir de 1916, devient une arme centrale pendant la Seconde Guerre mondiale, comme le montrent les bombardements de Londres ou de Dresde et la bataille aérienne au-dessus de Dunkerque. Enfin, ce conflit marque l'essor du cryptage, avec la machine Enigma utilisée par l'Allemagne et dont le chiffre fut résolu par les Britanniques, notamment grâce aux travaux du mathématicien Alan Turing. Les sciences physiques, et notamment la physique nucléaire, la chimie et les mathématiques sont ainsi utilisées massivement au cours des conflits du xxe siècle. La guerre, devenue industrielle, dépend désormais largement des moyens scientifiques et techniques mis en œuvre.
Conclusion
Les sciences sont mises au service de la guerre, mais la guerre influence aussi le développement des sciences, et chaque guerre est l'occasion d'innovations scientifiques qui sont ensuite réemployées dans le domaine civil. Les normes de la guerre, comme le secret, imprègnent également le domaine scientifique. Les sciences et la guerre entretiennent donc une relation particulièrement étroite.
Zoom sur…
Enigma
Enigma est une machine de chiffrement inventée en Allemagne en 1919. Elle est petite, facile à transporter et à utiliser. De plus, elle est réputée indéchiffrable. Pour ces raisons, elle est utilisée par l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale : 200 000 machines Enigma sont déployées par l'armée allemande. La Pologne est envahie dès le début de la guerre, mais les cryptologues polonais, et notamment Marian Rejewski, continuent à travailler en France, et clandestinement pendant l'Occupation. Leurs travaux sont repris par les services de renseignement britanniques, et le mathématicien Alan Turing construit une machine qui permet de casser le chiffre d'Enigma. Les informations obtenues par le déchiffrement massif des messages transmis par l'armée allemande donnent aux Alliés un avantage militaire décisif. L'histoire d'Enigma illustre plusieurs aspects des relations entre la connaissance et la guerre. Le renseignement apparaît comme un aspect capital du conflit, ce qui explique la mobilisation de nombreux cryptologues mathématiciens comme Marian Rejewski et Alan Turing par les services de renseignement des belligérants. Le partage des connaissances entre la Pologne, la France et le Royaume-Uni a rendu possible le déchiffrement des messages transmis par Enigma. Enfin, Turing poursuit ses recherches après la guerre, et les premiers ordinateurs trouvent leur origine dans ses travaux militaires : si la guerre se nourrit de la science, l'inverse est vrai également.
Les gaz de combat
Ils constituent un ensemble d'armes chimiques conçues et utilisées massivement pendant la Première Guerre mondiale. Issus de recherches en chimie, ils sont utilisés par toutes les puissances en guerre, qui s'engagent dans une course pour inventer de nouveaux gaz et de nouvelles protections. Dès août 1914, l'armée française utilise des gaz lacrymogènes. Le 22 avril 1915, l'armée allemande lance la première attaque massive au chlore à Ypres, en Belgique. En 1917, l'Allemagne utilise le gaz moutarde, dont les effets sur la santé et la psychologie des soldats sont terribles. Finalement, malgré les protections mises en place (masques à gaz notamment), environ 1 % des morts de la guerre sont dus aux attaques de gaz, et de nombreux blessés continuent à souffrir de séquelles graves après l'armistice. Les gaz de combat sont par la suite utilisés par la France, l'Allemagne et l'Italie dans les colonies (Maroc, Irak, Libye, etc.). Leur usage est proscrit par la Convention de Genève en 1925, et ils furent peu utilisés pendant la Seconde Guerre mondiale. La fabrication des gaz de combat a mobilisé de nombreux chimistes de premier plan, qui passèrent de la chimie civile à la recherche militaire. En France, Gabriel Bertrand et Maurice Javillier participent à la confection de vaccins, mais aussi de gaz lacrymogènes et de grenades chimiques à l'acétone. En Allemagne, Fritz Haber, qui travaillait pour l'industrie agricole, fabrique des gaz mortels à base de chlore, dont le gaz moutarde.