Les États-Unis et la question environnementale : tensions et contrastes

Les États-Unis possèdent un territoire très étendu (17 fois la France), allant de l'Atlantique au Pacifique et couvrant une grande variété de climats et de paysages. Il s'agit d'un pays neuf : les États-Unis, ancienne colonie britannique, ont obtenu leur indépendance le 4 juillet 1776. La conquête d'un si vaste espace par le nouvel État à partir de la côte atlantique a occupé une bonne partie du xixe siècle. Elle s'est faite au détriment des populations natives amérindiennes, victimes de massacres et de déportations. Mais cette histoire relativement récente explique aussi l'importance de la question environnementale dans les politiques d'administration du territoire étatsunien, qui se distingue par une politique de préservation de l'environnement très précoce, et par le rôle central joué encore au xxie siècle par les acteurs nationaux et locaux de la préservation de l'environnement. Nous allons montrer que la préservation d'une nature sauvage aux États-Unis a une histoire et s'inscrit dans une politique écologique plus globale.
I. La conquête et la mise en valeur de l'environnement étatsunien
Au cours du xixe siècle, les États-Uniens s'approprient leur territoire à partir de l'Est dans un mouvement qu'on appelle la conquête de l'Ouest, qui implique la prise de possession du territoire, sa mise en valeur économique et l'expropriation des Amérindiens. En même temps, une préoccupation environnementale apparaît sous la plume de certains auteurs, comme Henry David Thoreau, dans La Marche, en 1862 : « De nos jours, presque tous les prétendus progrès de l'homme, tels que la construction de maisons, l'abattage des forêts et des grands arbres, déforment tout simplement le paysage et le rendent de plus en plus insipide et domestiqué. » L'idée de préserver la nature trouve une traduction politique en 1872, avec la création du premier parc naturel du monde à Yellowstone et la création du Forest Bureau, qui dépend du ministère de l'Agriculture, en 1887. L'idée qui sous-tend ces initiatives est que le patrimoine naturel étatsunien est la propriété de chaque citoyen et doit être en conséquence protégé. Pour certains des premiers défenseurs de l'environnement comme John Muir (1838-1914), la nature est même un lieu de communion spirituelle. En 1892, John Muir fonde le Sierra Club, l'une des plus anciennes associations écologistes au monde, dont le but est la protection de la Sierra Nevada.
La protection de l'environnement est ainsi conçue aux États-Unis comme un effort pour préserver des espaces naturels vierges de l'impact humain. Au xxe siècle, une fois achevée la conquête de l'Ouest, une politique environnementale fédérale se met en place dans cette optique. Theodore Roosevelt autorise ainsi la création du Service des forêts des États-Unis en 1905, qui, dès 1909, protège 170 000 km2 de forêts et permet la création de 53 réserves naturelles et 18 zones d'intérêts particuliers, comme le Grand Canyon du Colorado. Cette politique de préservation est poursuivie par Franklin Delano Roosevelt qui inscrit largement dans les mesures du New Deal les programmes de mise en valeur et de protection de l'environnement.
Parc naturel national de Yellowstone, États-Unis.
Parc naturel national de Yellowstone, États-Unis.
© Manel Vinuesa/iStock
Ces programmes, et notamment le classement des parcs nationaux, sont bénéfiques au tourisme. L'environnement naturel étatsunien contribue à faire des États-Unis la troisième destination touristique mondiale : la diversité des paysages, l'étendue des espaces naturels et le caractère spectaculaire de certains d'entre eux attirent des touristes du monde entier. Les immenses chutes du Niagara sont ainsi le site naturel le plus visité du continent nord-américain. Néanmoins, la fréquentation intensive de sites tels que le Grand Canyon ou Monument Valley engendre des dégradations qui menacent leur pérennité.
Grand Canyon, États-Unis.
Grand Canyon, États-Unis.
© IlexImage/iStock
II. Acteurs et politiques de l'environnement aux xxe et xxie siècles
Les États-Unis sont un État fédéral, ce qui implique une multiplicité d'acteurs à différentes échelles, parfois en opposition : l'État fédéral, l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis (EPA), mais aussi les municipalités, les associations, ONG et fondations privées, comme la Rainforest Alliance fondée à New York en 1987. Les enjeux économiques pèsent lourd sur les politiques environnementales au niveau fédéral. En 1997, le président Clinton ne ratifie pas le protocole de Kyoto, et l'une des premières décisions prises par le 45e président des États-Unis, Donald Trump, fut de sortir de l'accord de Paris sur le climat, signé à l'issue de la COP21 en 2015. Ces décisions fédérales n'ont pas empêché de nombreux maires ou gouverneurs étatsuniens de déclarer qu'ils adhéraient à ces traités, ce qui illustre la relative autonomie dont disposent les échelons décisionnaires locaux, États ou villes, aux États-Unis.
Les populations amérindiennes, qui se sont vu reconnaître peu à peu des droits sur certains territoires, sont également des acteurs importants de la préservation de l'environnement. En 1924, l'Indian Act Citizenship leur accorde une citoyenneté équivalente en reconnaissance de leur participation à l'effort de guerre en 1914-1918, mais le rapport Meriam fait état, en 1928, d'une situation dramatique pour les Amérindiens (misère, alcoolisme, criminalité, etc.). C'est, là encore, F. D. Roosevelt qui accorde aux populations et réserves indiennes une plus large autonomie politique et une plus grande aide économique. Face aux menaces qui pèsent sur leurs territoires, des Amérindiens se mobilisent, comme les Sioux de Standing Rock qui s'opposent en 2017 à la construction d'un oléoduc dans leur réserve. Si les Amérindiens ne sont pas nécessairement écologistes, les luttes qu'ils mènent pour le respect des traités et de leurs territoires rejoignent largement le combat pour la préservation de l'environnement, et ils tissent souvent des alliances avec les associations écologistes.
Les années 1970 sont marquées par une conscientisation accrue de la population et des pouvoirs politiques nationaux ou locaux face aux dangers que font peser l'industrialisation et l'exploitation des ressources. Le développement en particulier de l'exploitation du gaz de schiste dans les années 1990 a provoqué la réaction de l'opinion et des pouvoirs publics. En 2011, l'Arkansas Oil and Gas Commission fait passer un moratoire pour interdire l'exploitation de ce type de ressources dans cet État. Le gouverneur de l'État de New York décide de l'interdire le 17 décembre 2014 et l'administration Obama annonce en mars 2015 la mise en place d'une réglementation pour mieux encadrer cette industrie. Néanmoins, dès 2016, l'administration Trump fait machine arrière et décide de lever toutes les restrictions environnementales qui pèsent sur le développement de l'industrie énergétique aux États-Unis, dont celles sur l'exploitation du gaz de schiste. Cette décision est source de conflit entre acteurs fédéraux, étatiques et société civile.
Zoom sur…
Les parcs nationaux des États-Unis
En 1870, les dix-neuf scientifiques participant à l'expédition Washburn au Wyoming découvrent un environnement exceptionnel, et notamment d'impressionnants geysers et sources chaudes. Ils s'inquiètent de la destruction possible de ces sites naturels, et obtiennent par leur action la création du parc national de Yellowstone en 1872. Celui-ci est considéré comme le premier parc national du monde. Le modèle américain de conservation d'un environnement vierge par la création de parcs a essaimé, d'abord au Mexique et au Canada, puis en Europe et ailleurs dans le monde, à tel point que, pour le romancier Wallace Stegner, les parcs nationaux sont « la meilleure idée qu'eût jamais l'Amérique ». On compte aujourd'hui 61 parcs nationaux aux États-Unis et des milliers partout dans le monde. La création des parcs nationaux atteste une pensée conservationniste, qui valorise le maintien d'une nature vierge et intacte dans des limites bien définies, et relève également d'intérêts économiques. Source de tourisme, elle est largement soutenue par les compagnies de chemin de fer et correspond à une marchandisation de la nature. Pourtant, d'après Samuel Depraz et Stéphane Héritier, « le moteur économique et touristique de la protection de la nature, très utilitariste à la fin du xixe siècle, a tout de même permis l'expression progressive d'une conscience collective de la wilderness », favorisant l'intérêt et la connaissance des milieux naturels et le développement d'un mouvement écologiste aux États-Unis.
Les Indiens Chippewa, le riz sauvage et l'extraction du cuivre
Marie-Claude Strigler a étudié les Indiens Chippewa qui vivent dans le Minnesota, au nord des États-Unis. Elle montre que leur engagement pour la préservation du territoire n'a pas pour fondement une vision écologiste au sens d'une conception abstraite des rapports entre les humains et leur environnement. Bien qu'alliés de circonstance avec les associations écologistes, ils défendent leur territoire comme espace utilisé, support de leur culture et de leur vie économique, dont ils n'ont pas la propriété, mais sur lequel ils ont un droit d'usage : ils en sont en quelque sorte les gardiens. C'est cette vision qui s'exprime dans le combat mené par les Chippewa pour défendre Nett Lake, un lac où pousse du riz sauvage que les Indiens récoltent pour leur consommation et pour la vente. Or le lac contient du cuivre, et l'entreprise d'extraction Polymet défend auprès de l'Agence de contrôle de la pollution un relèvement du taux autorisé de sulfate dans l'eau, à des fins d'exploitation minière, mais qui empêcherait le riz sauvage de se reproduire. Les Chippewa se sont alliés à des associations écologistes depuis 2005 pour lutter contre un changement de la norme de pollution des eaux et préserver leur activité de récolte du riz sauvage. Marie-Claude Strigler souligne également les divisions et les désaccords qui existent parmi les Indiens. Elle invite donc à ne pas reconduire une vision idéaliste des Indiens comme défenseurs par nature de l'environnement, mais à considérer leurs engagements comme des choix politiques appuyés sur une conception particulière de leur environnement.
Exercice n°1
Quand émerge une conscience environnementale aux États-Unis ?
Cochez la bonne réponse.
A. Dans les années 1970
B. À l'époque du New Deal
C. Au xixe siècle
La conscience environnementale émerge très tôt, au xixe siècle, aux États-Unis. Elle est à l'origine de la création des premiers parcs nationaux au monde : Yellowstone et Yosemite.
Exercice n°2
Quelle superficie administre le Service des forêts des États-Unis dès 1909 ?
Cochez la bonne réponse.
A. 170 000 km2
B. 17 millions de km2
C. 550 000 km2
Créé en 1905, le Service des forêts protège 170 000 km2 dès 1909.
Exercice n°3
Combien de visiteurs accueillaient les États-Unis en 2016 ?
Cochez la bonne réponse.
A. Près de 90 millions
B. Plus de 75 millions
C. 50 millions
En 2016, les États-Unis accueillaient 75,6 millions de visiteurs, au coude-à-coude avec l'Espagne (75,6 millions également) et derrière la France (82,4 millions).
Exercice n°4
Parmi ces quatre institutions, laquelle ne dépend pas du pouvoir fédéral ?
Cochez la bonne réponse.
A. L'Agence de protection de l'environnement des États-Unis (EPA)
B. Le National Park Service
C. Le Service des forêts
L'EPA est une agence indépendante à l'échelle gouvernementale, mais elle est indépendante de l'administration fédérale.
Exercice n°5
Qu'appelle-t-on le réveil amérindien ?
Cochez la bonne réponse.
A. Un mouvement armé se réclamant des droits des natifs dans les années 1970
B. Un sursaut démographique et une meilleure intégration des Amérindiens dans la société américaine à partir des années 1960
C. La reconnaissance du préjudice territorial et son indemnisation par l'administration Obama
Le réveil amérindien désigne la vitalité démographique et la réussite économique de la communauté amérindienne à partir des années 1960. Cette communauté porte aussi des revendications qui sont graduellement reconnues par l'administration fédérale et mène à des compensations, comme celle de 2,61 milliards, versée entre le premier et le deuxième mandat de Barack Obama.