« Notre avenir dépend-il de la technique ? », sujet de métropole, juin 2025
Énoncé
Notre avenir dépend-il de la technique ?
Annexes
Corrigé
Introduction
L'un des enjeux du xxie siècle est la manière dont nous envisageons l'avenir : dans les discours, celui-ci semble menacé en raison de la surexploitation des ressources, des répercussions environnementales et des conséquences de notre développement technique. La crise climatique s'accompagne d'une prise de conscience : on ne peut plus se passer de nos outils, de nos machines, de nos produits. Or, si l'avenir se dessine sous le signe de la technologie – avec toutes ses promesses de progrès, comme la conquête de l'espace –, il s'accompagne aussi de vives inquiétudes, notamment l'éco-anxiété. La technologie incarne alors ces avenirs ambivalents, entre promesse de progrès et cauchemar apocalyptique. Notre avenir dépend-il, dès lors, de la technique ?
Les sujets de philosophie s'articulent autour d'interrogations concrètes : contextualiser les enjeux de la question permet de montrer que l'on a compris le rôle d'une analyse philosophique et son importance. C'est une bonne façon de commencer une copie !
Imbriquer avenir et technique paraît être une évidence : nous avons construit notre société, nos moyens de production, nos relations sociales et politiques sur des rapports techniques. Mais qu'entend-on par technique ? La technique désigne tout autant la maîtrise d'un savoir-faire que le développement d'objets artificiels issus de ce savoir-faire, que l'on désigne plus communément sous le nom d'outils (eux-mêmes en constante évolution, se complexifiant sous la forme d'instruments mais aussi de machines). Ainsi, notre vie est truffée de ces instruments, et notre avenir semble éminemment lié à ceux-ci : pourrait-on imaginer un avenir sans pétrole, voitures, avions, téléphones, internet, qui sont autant d'objets techniques ? C'est peut-être là que se pose le problème : tous ces objets fabriqués semblent être liés intrinsèquement à l'avenir, ils n'en sont pas seulement un aspect secondaire, mais bien un élément essentiel. Ainsi, l'idée de dépendance entre technique et avenir engage un questionnement sur le caractère essentiel ou accidentel de la technique dans la vie humaine, car l'avenir interrogé par ce sujet est celui de l'humanité. Or, si ces instruments sont essentiels, ils sont aussi la cause d'une perte de maîtrise d'autres enjeux : des enjeux politiques – de distances sociales – comme écologiques – notamment la crise climatique. Dans quelle mesure maîtrisons-nous réellement nos outils ? Possédons-nous encore le savoir-faire nécessaire pour ne pas perdre le contrôle de notre avenir ? La question ne porte donc pas seulement sur le lien essentiel ou accidentel entre avenir et technique, mais aussi sur la nature de cet avenir, sur sa qualité et sur les formes possibles qu'il pourrait prendre.
Pour faire apparaître les enjeux d'un sujet, les repères conceptuels du programme peuvent être une ressource féconde : ici, l'emploi de la distinction entre l'essentiel – ce qui est intrinsèquement lié – et l'accidentel – une caractéristique qui peut changer sans modifier la nature de la chose à laquelle elle est liée – permet d'interpréter le sens du mot « dépend ».
Le problème se déploie ainsi sur plusieurs axes : d'abord une interrogation du lien entre avenir et technique, pour savoir si cette articulation est fondée ; ensuite, si c'est le cas, il faudrait interroger comment la technique modifie l'avenir, et donc quelle qualité d'avenir est engagée. L'avenir est-il pleinement déterminé par la technologie ? La réflexion doit également prendre en considération la question de la maîtrise technique, qui permettrait alors une maîtrise de l'avenir – à distinguer d'une technologie étrangère à toute maîtrise, où l'avenir nous échapperait.
Le travail de définition et de distinction des notions doit permettre de faire apparaître la multiplicité des angles d'interrogation du sujet : ce sont ces angles qui constitueront la problématique, c'est-à-dire la synthèse des interrogations que porte la question de la dissertation.
Ainsi, l'avenir dépendrait de la technique. Selon ce postulat, nous en venons à questionner l'avenir de l'humanité : la technique est-elle essentielle pour la survie de l'humanité ? Nous permet-elle de maîtriser l'avenir ou bien, a contrario, est-elle une source destructrice ?
Nous aborderons donc ce problème en analysant d'abord les liens qu'entretiennent les êtres humains et la technologie, afin de déterminer comment celle-ci permet de penser la notion d'avenir. Nous montrerons alors qu'il y a une rupture historique entre technologie maîtrisée et technologie non maîtrisée, en analysant que cette dernière introduit une perte de maîtrise de l'avenir et une série de problèmes dans notre rapport à la nature et à la politique. Enfin, nous montrerons que la technique n'est pas le seul déterminant de l'avenir, et nous verrons comment l'humanité peut reprendre le contrôle de celle-ci, et donc aussi de son avenir.
Nous aborderons donc ce problème en analysant d'abord les liens qu'entretiennent les êtres humains et la technologie, afin de déterminer comment celle-ci permet de penser la notion d'avenir. Nous montrerons alors qu'il y a une rupture historique entre technologie maîtrisée et technologie non maîtrisée, en analysant que cette dernière introduit une perte de maîtrise de l'avenir et une série de problèmes dans notre rapport à la nature et à la politique. Enfin, nous montrerons que la technique n'est pas le seul déterminant de l'avenir, et nous verrons comment l'humanité peut reprendre le contrôle de celle-ci, et donc aussi de son avenir.
Le plan doit former une construction logique et cohérente : il faut que chaque argument qui le compose soit cohérent, défendable, et forme peu à peu un approfondissement de l'analyse. Pour ce sujet spécifiquement, une deuxième partie qui rejetterait absolument le lien entre avenir et technique serait indéfendable, il faut donc préférer penser ce que ça change dans le rapport à l'avenir. Enfin, une troisième partie est souvent une partie qui introduit un troisième terme dans le sujet pour nuancer et résoudre les tensions posées : ici, l'idée sera d'introduire une dimension politique, morale et éducative, qui redonne le contrôle de la technique et donc de l'avenir, afin de montrer que l'avenir dépend donc de la technique, mais aussi d'éléments humains, moraux et politiques.
I. L'humanité a un avenir grâce à son rapport technique au monde et à la nature
1. La condition prométhéenne de notre survie
Si nous sommes amenés à devoir réfléchir aux liens entre avenir et technique, c'est parce que la technique joue un rôle central dans le rapport de l'être humain au monde et à son futur, mais plus encore à sa survie. Car pourrait-on se passer de technique ? Est-ce que la technique ne serait qu'un accident ? Pourrait-on la retirer à l'humanité, sans que cela ait de conséquences désastreuses pour cette dernière ? Car alors, si l'humanité doit être technique, celle-ci ouvre tous les enjeux de la construction de sa vie future. S'il n'y a pas d'humanité sans technique, alors il n'y a pas d'avenir non plus. C'est pourquoi il faut commencer par établir ce constat : la condition même de la survie de l'humanité, et donc de notre avenir, tient à la technique. C'est en tout cas l'affirmation centrale du mythe de Prométhée que Platon élabore dans son texte Protagoras. Dans ce mythe, Platon cherche à expliquer l'origine de l'humanité, de la société et de ses rapports au monde naturel. Il montre que lors de la création des animaux par les dieux, l'humanité a été oubliée et s'est retrouvée la seule à ne pas avoir de capacités naturelles pour survivre : pas de griffes, pas de crocs, pas d'ailes, pas d'outils naturels. Alors que l'humanité, dans sa nudité, était en péril, Prométhée vola le feu aux dieux pour le lui donner : ainsi, l'humanité élabora les premières techniques, les premiers outils et établit peu à peu son emprise sur la nature. Ce que montre ce mythe, c'est donc que l'humanité ne peut survivre sans technique : son avenir est conditionné par l'apprentissage d'un savoir et le développement d'outils qui, en retour, lui permettent de dominer le reste de la nature, car elle peut s'adapter à son environnement et n'est pas limitée par un donné, mais peut élaborer des objets construits. C'est ainsi que la technique apparaît comme une condition indispensable de notre rapport au monde et à l'avenir : nous ouvrons un avenir de survie possible, mais aussi un contrôle grâce à cette dernière.
Il est souvent fécond pour une réflexion d'envisager l'inverse de ce qu'elle cherche à défendre pour montrer l'articulation entre deux notions : si la technique venait à disparaître, y aurait-il des modifications dans l'avenir possible ? Si oui, lesquelles ?
2. La technique permet le passage d'un temps cyclique à un temps humain et linéaire
Dans la continuité de cette analyse de Platon, Hannah Arendt, philosophe du xxe siècle, montre que la technique permet à l'humanité de rompre avec la nature, ce qui lui donne un nouveau rapport au temps : à la fois au passé qui peut être transmis, mais aussi à l'avenir. La technique permet donc de fonder un rapport historique au monde. Dans cette perspective, la technique n'est pas seulement la condition de la survie mais aussi la condition qui permet de penser l'existence même de l'idée d'avenir : il n'y a d'« avenir » que parce que les objets techniques existent. Le rapport de dépendance est alors total, puisque la condition essentielle non pas seulement de la survie de l'humanité mais de son statut temporel et sa capacité à se transporter dans l'avenir est la technique. C'est en tout cas ce que montre Arendt dans Conditions de l'homme moderne, ouvrage dans lequel elle distingue deux rapports de l'être humain au travail : celui de l'animal laborans, et celui de l'homo faber. L'animal laborans, c'est l'humain enfermé dans le cycle du labeur : un travail répétitif et cyclique, car nous avons des besoins qui appellent à la production qui doit être consommée pour renouveler nos forces, jusqu'à avoir à nouveau des besoins. Chaque jour, nous recommençons le même cycle, ce qui nous renvoie à un rapport naturel, ou animal, au monde. Nous vivons alors dans un temps cyclique, un temps qui se répète, donc sans avenir. Le temps de la nature est celui de la répétition : une succession de saisons, une alternance de jours et de nuits, et la succession de la faim, des repas, et de la digestion. Mais l'être humain entretient un autre rapport au monde grâce à son travail : il ne consomme pas seulement le produit de son travail, il crée aussi des objets durables qui seront transmis, améliorés, et qui n'auront plus à être reconstruits – des objets techniques. Ainsi, grâce à la transmission, nous pouvons penser le progrès et rompre avec le cycle répétitif de la nature pour entrer dans un temps linéaire, chronologique et historique, un temps qui s'ouvre vers l'avenir. C'est donc parce qu'il existe une fabrication technique et une élaboration progressive d'un savoir-faire qu'un avenir devient possible. L'animal vit, lui, dans le temps cyclique, au cours duquel, puisque rien ne change, tout se répète ; l'être humain, qui se définit alors comme homo faber ou « homme fabricant », se distingue par la technique qui crée un nouveau rapport au temps. Celle-ci ouvre des perspectives d'avenir en offrant non seulement les moyens de notre survie, mais également les outils nécessaires pour imaginer et construire le futur.3. La technique ouvre l'avenir
À partir de cette notion d'homo faber, on peut donc élaborer celle d'avenir. C'est l'une des idées développées par Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe. Elle conçoit elle aussi l'être humain comme un homo faber, mais elle introduit une analyse qui ne se concentre pas sur la distinction d'un rapport au temps entre le monde naturel et le monde humain, mais plutôt sur une attitude de projet qu'entretient l'être humain avec la nature. Selon elle, « pour maintenir, il crée ; il déborde le présent, il ouvre l'avenir ». Ainsi, pour Beauvoir, la notion d'avenir s'ouvre par le rapport essentiellement technique que l'être humain entretient au monde. Comment l'explique-t-elle ? L'être humain n'est pas déterminé par des éléments déjà présents, une essence prédéterminée, mais est une existence, c'est-à-dire une conscience qui se projette dans le temps et interprète les éléments qui l'entourent en leur donnant du sens. Ainsi, à partir de ce fondement, elle montre que la technique permet une médiation, c'est-à-dire l'introduction d'un intermédiaire, d'un écart avec le présent de la nature, et caractérise ainsi une possibilité d'envisager l'avenir. La technique est un intermédiaire entre l'homme et la nature : il ne mange pas la poule directement, comme un renard, mais il la cuisine, la découpe, la cuit. Il interpose entre lui et la nature un monde de technique. Cette médiation crée une distance, et cette distance permet à l'être humain de ne pas simplement prendre l'existant comme il est, mais de le reconstruire selon ses propres buts, ses propres fins : autrement dit, il reconstruit la nature dans la perspective humaine ; l'être humain est avant tout un humanisateur du réel. Il voit tout selon sa perspective. Et cela permet d'ouvrir à l'avenir, puisque l'être humain ne se contente pas de recevoir un donné, mais le travaille et transforme selon la technique : il fait éclater les limites du naturel pour poser les bases de l'avenir en reconquérant la nature selon ses buts. Ainsi, les barrages deviennent une façon de ne pas se contenter du présent de la nature du fleuve mais plutôt d'anticiper et contrôler la crue et son cours ; la maison n'est pas seulement l'apparition d'un logement mais le début d'une ville et d'une vie en société. C'est pourquoi la fabrication technique, en devenant cette médiation avec la nature, permet de sortir de l'immédiateté du présent et du donné, et ainsi d'ouvrir et de conditionner l'avenir. La technique devient ainsi le vecteur qui permet l'émergence de l'avenir.
Certains concepts sont abordés de diverses manières par plusieurs philosophes, comme celui d'homo faber. Il est pertinent de tenir compte de ces différentes analyses afin d'en montrer à la fois la continuité et les distinctions.
Dans ce premier temps, nous avons donc cherché à faire apparaître le lien essentiel entre technique et avenir, en analysant les différents aspects de la technique : elle est condition de la survie, production d'objets durables qui ouvrent un temps historique, et médiation de la nature permettant de dépasser le présent pour s'ouvrir à l'avenir. L'avenir, en tant qu'idée, ouverture hors du présent et du donné, est donc bien dépendant de la technique. La technique fait apparaître la notion même d'avenir, parce que nous aurons survécu, parce que nous aurons quitté le temps cyclique, parce que nous anticipons au-delà du présent donné. Or, si la technique fait apparaître l'avenir, comment en modifie-t-elle le cours ?
La transition doit dresser un bilan des éléments centraux établis dans la partie qu'elle synthétise, sans pour autant les rejeter totalement. Elle doit montrer qu'à partir de ces éléments, une nouvelle question apparaît et appelle une réponse. Une deuxième partie complexifie le premier axe, en le nuançant plutôt qu'en le contredisant.
II. La technique conduit à la perte de l'avenir
1. Passer d'un avenir ouvert à un délai
Si la technique, comme on l'a dit, est nécessaire à l'être humain pour avoir, penser, construire un avenir, il y a une différence notable entre les objets techniques ou outils des époques précédentes et les nouveaux objets technologiques : machines, robots, informatique, etc. Si la hache, le marteau, la brique agrandissent notre prise et notre efficacité sur le monde, le développement technique nous conduit à une nouvelle situation : celle de l'avenir qui se bouche, de l'avenir qui nous est retiré, de l'avenir qui est en péril à cause de ces techniques. On peut penser à « l'horloge de l'Apocalypse », une manière de compter le temps qui nous séparait d'une potentielle fin du monde, désignée ainsi lors de l'apogée de la Guerre froide, en raison de l'armement atomique. C'est à partir de l'analyse de la bombe atomique que Gunther Anders construit l'analyse qu'il livre dans Le temps de la fin. Il y montre que cette arme entraîne un changement métaphysique, c'est-à-dire qu'elle modifie l'essence, la nature, la définition même de l'humanité. Nous passons d'une espèce durable, bien que composée d'individus mortels, à une espèce mortelle au sens qu'elle peut désormais disparaître entièrement. En effet, la bombe nucléaire provoque une destruction d'une telle ampleur que nous pouvons dès lors anéantir notre existence, mais aussi les conditions mêmes de notre vie. Si l'épée permet de tuer un homme, et la bombe traditionnelle, de détruire un bâtiment, l'arme nucléaire, elle, atteint un niveau tel qu'elle peut détruire notre humanité tout entière. C'est à partir de ce constat qu'Anders montre que nous ne vivons plus dans une époque avec un avenir, mais dans un intervalle entre le présent et la possible fin de l'espèce. Cette analyse peut être reprise et amplifiée hors de la question de la bombe atomique : le développement technique conduit à des états de pollution et de raréfaction des ressources qui incitent à mettre en doute la capacité de survie de l'humanité.
Basculer d'une analyse générale d'une notion à un cas précis (ici la technique atomique) permet de rendre concrètes les différentes approches philosophiques, et d'introduire de la nuance plutôt que de l'opposition, car ce qui est vrai du marteau n'est pas nécessairement valable pour l'analyse de la bombe.
2. La négation de l'avenir au niveau individuel
La technique a ainsi évolué vers une forme qui, avec la bombe atomique, limite l'ouverture à un avenir possible et pensable. Mais ce n'est pas la seule évolution technique à avoir modifié notre rapport à l'avenir. On peut en effet observer que l'évolution de l'outil technique – manipulé, requérant un apprentissage, un savoir-faire et un projet de la part de l'artisan – est à distinguer du rapport de l'ouvrier à la machine qu'il ne contrôle pas. Or, cette différence dans la manipulation va entraîner une différence dans le rapport au temps, tel que l'évoque Simone Weil dans La Condition ouvrière. En effet, Weil va chercher à analyser la façon dont l'ouvrier se rapporte à la machine et la façon dont celle-ci va modifier sa conscience. Dans le cas de l'artisan, l'outil ouvre un rapport de possibilités qui permet de réaliser de nouvelles créations. En revanche, la machine-outil de l'ouvrier réduit ses possibilités : elle est fixe, impose une posture et un emplacement, et dicte les gestes. Elle détermine aussi le rythme du travail. Weil fait la distinction entre rythme et cadence : tandis que le rythme permet une création collective du temps, la cadence est une contrainte qui pèse sur ce temps dont l'ouvrier se trouve alors dépossédé. En effet, il doit suivre la chaîne, la machine, et répondre à une exigence de production par un geste répétitif qui, pour être supporté, finit par altérer la conscience : il faut faire taire toute autre envie, toute pensée, toute forme de conscience pour supporter la cadence et la répétitivité du geste industriel. Elle décrit alors dans ses carnets de l'usine l'expérience au niveau de la conscience : l'ouvrier n'anticipe plus d'avenir possible, il est enfermé dans un présent qui semble indépassable, où seul le geste compte. D'une part parce qu'il n'y a pas de nouvelles productions ou créations requérant intelligence et réflexion, d'autre part, parce que l'ouvrier se trouve tellement nié qu'il s'épuise. Même la sortie de l'usine n'ouvre pas à une réflexion sur une modification des conditions de travail, sur un désir de s'évader : il n'y a plus que la cadence qui devient une obsession qui se fixe dans le présent. La machine ne crée pas une ouverture sur l'avenir mais une fermeture sur le présent.
Une bonne manière pour établir des distinctions consiste à se demander « qui » : qui voit son avenir affecté par la technique ? l'ensemble de la population ? un groupe en particulier ? Ici, le « qui » n'est plus « l'humanité » en général mais le travailleur ouvrier.
3. La technique comme la tentation de fixer le monde
La technique, qui apparaissait jusqu'alors comme une clef de notre survie, comme l'une des plus grandes marques de notre humanité, prend un aspect tragique : elle n'ouvre plus d'horizon, elle referme. Un temps porteuse d'espoir pour l'avenir, elle trahit désormais cet espoir et nous fixe dans un monde sans perspective. L'avenir semble s'assombrir à mesure que nous prenons conscience des effets de la technique sur nos conditions naturelles d'existence : elle devient un danger, mettant en péril l'avenir en compromettant notre survie. Ce danger de la technique, Zhuang Zi l'avait identifié dans son œuvre comme le signe d'une déviation introduite par l'intelligence humaine sur le cours de la nature et du monde. Il montre en effet que l'humain est l'être qui va rompre et refuser le cours naturel du temps et des choses : il va refuser ce qui est, pour essayer de le contrôler, le fixer selon son intérêt et ses buts mais sans comprendre le fonctionnement complexe de la nature. Il se ferme à d'autres points de vue, aux intérêts d'autres êtres vivants et tente de contrôler sa réalité. Ainsi, entre-t-il dans ce que Zhuang Zi appelle « l'agir ». L'agir désigne cette volonté de ne pas accepter le cours des choses, de les contrôler et de les contraindre. Elle peut prendre différentes formes, mais celle qui nous intéresse ici est l'analyse de la rupture éthique qu'introduit la technique : à travers elle, nous manifestons notre refus du cours naturel des choses et du monde. Nous introduisons une perturbation du monde : nous perturbons les animaux, les plantes, la terre mais aussi les saisons en essayant de les contrôler. On pourrait dire que nous refusons le caractère ouvert et incertain de l'avenir pour le plier à notre propre projet, à notre vision de l'avenir. Mais ce faisant – en ne considérant que notre intérêt immédiat –, nous produisons une perturbation qui ruine la nature autant que nos conditions d'existence : nous risquons non seulement le malheur mais la perte même de tout avenir. Car, si l'intérêt présent est de couper les arbres pour exploiter la ressource, on en oublie le futur et les interactions naturelles que cela engage : on pense à notre avenir économique tout en oubliant le futur à long terme pour le vivant. De la même manière, Zhuang Zi montre que l'intelligence humaine refuse la transformation naturelle des choses, comme la mortalité ; mais, en tentant de contrôler celle-ci, on se prive d'un futur (la mort) pour un présent perpétuel (de vie sans changements). Ainsi la pensée technique introduit une perspective centrée sur le présent, qui finit par étouffer l'acceptation des transformations nécessaires à l'émergence de l'avenir, tout en détruisant les conditions de vie indispensables à sa possibilité.
Pour construire une partie cohérente, on peut partir d'aspects plus limités (le cas de la bombe ou de l'ouvrier) pour arriver à une analyse plus synthétique (la modification plus générale du rapport au monde).
Cette deuxième analyse a donc permis de montrer les conséquences de la première et de les interroger : d'une technique initialement nécessaire et porteuse d'une amélioration de la vie tournée vers l'avenir, on voit apparaître une possible dégénérescence, conduisant à une perte de l'avenir. Cela ne tient-il pas au fait d'avoir laissé la technique se développer pour elle-même, sans chercher à en garder la maîtrise ? Ne pourrions-nous pas reprendre le contrôle de la technique pour reprendre le contrôle de l'avenir ? Dans ce cas, l'avenir ne dépendrait-il pas non seulement de la technique, mais aussi de notre capacité à la maîtriser ?
III. L'avenir dépend de la technique mais aussi de la morale et de la politique qui lui sont attachées
La troisième partie de la dissertation repose bien souvent sur l'introduction d'un troisième terme, en complément de ceux indiqués par le sujet. Ici, nous avions « avenir » et « technique » ; pour construire notre troisième partie, nous introduisons des termes qui les articulent : « politique et morale ». Ce sont donc ces termes qu'il convient d'ajouter pour proposer une réponse plus nuancée à la question initiale. Ils doivent apparaître comme une résolution cohérente des problèmes posés en deuxième partie de dissertation.
1. De l'agrandissement de la puissance du corps à l'agrandissement de la puissance morale
Comment donc éviter que la technique conduise à des problèmes sociaux, écologiques, économiques, qui amènent à perdre les conditions de possibilité de notre avenir ? C'est la question que se pose Bergson dans le dernier chapitre des Deux sources de la morale et de la religion. En effet, le philosophe remarque que les problèmes sociaux et politiques de son époque ont leur source dans une technique qui n'est plus contrôlée par l'être humain. Il introduit pour le montrer une première analogie : si la technique prolonge le corps, agrandit sa capacité en lui fournissant de quoi aller plus loin, plus vite, taper plus fort, elle reste contrôlable tant que les outils dépendent de la force physique. Mais l'utilisation du pétrole, du charbon et d'autres ressources a décuplé notre puissance technologique à un niveau que nul n'aurait pu anticiper. Or, cet accroissement s'est produit sans que notre intelligence et notre morale accompagnent cette montée en puissance de notre capacité d'agir. Notre intelligence est restreinte à un point de vue limité, personnel, égoïste. Or, cette limitation empêche de tourner les machines vers des buts nobles, altruistes et féconds pour l'humanité. Bergson cherche alors à éviter le rejet global de la technique : les nouvelles machines sont bel et bien une condition pour nourrir l'humanité. Mais sans contrôle par l'intelligence et la morale, elles servent des buts qui bien souvent entravent l'humanité et compromettent ses conditions de vie. Ce qu'introduit alors Bergson, c'est l'idée que la machine ne doit pas être livrée à elle-même ni dicter nos comportements, nos vies, ou nos politiques : nous devons en reprendre le contrôle pour pouvoir décider de l'avenir qu'elle contribuera à façonner. L'avenir est donc technique, mais c'est à nous de lui donner une direction.
2. L'avenir de l'humanité est un avenir qui réclame une nouvelle morale plus adaptée aux nouvelles situations techniques
La technique appelle donc une double analyse, fondée sur son développement historique : d'un côté la technique « primitive », incarnée par l'outil manié par le bras humain, limité par celui-ci, qui permet de développer un ensemble de premiers progrès nécessaires à notre survie et notre confort ; de l'autre, la technique moderne, développée sous la forme de machines, d'une humanité globale, qui est capable de rentrer en interaction et en destruction avec la nature elle-même. C'est pourquoi Hans Jonas, dans Le Principe Responsabilité, propose d'étendre notre pensée éthique. En effet, l'avenir de l'humanité est désormais lié à celui de la nature menacée par notre développement technique. Il montre que, dans un premier temps, l'humanité était menacée au sein d'une compétition égoïste entre espèces – puisque les animaux pouvaient aussi représenter un danger pour l'homme –, et que chaque installation humaine était l'objet d'une lutte au détriment d'autres êtres vivants. À cette époque, la préférence morale de l'être humain sur toute autre instance de la nature avait un sens. Cependant, avec le développement technologique, c'est désormais l'humanité elle-même qui constitue une menace pour l'ensemble du monde naturel : le danger pour l'avenir vient aujourd'hui de notre propre puissance technique. Ainsi, face à ce changement historique, Jonas propose de penser qu'il faut attribuer une dignité à la nature, c'est-à-dire la considérer dans sa finalité propre et non plus seulement selon le prisme de notre intérêt humain. Il ne faut pas seulement raisonner selon l'ordre des fins humaines mais lier la finalité de la nature à celle de l'homme : il ne s'agit pas de dire « si on veut que l'humanité survive, alors la nature doit survivre », mais plutôt que la nature doit être respectée comme une personne. Ce que montre Jonas, c'est donc que l'avenir de l'humanité n'est plus seulement lié à la technique mais aussi à la nature et à la morale. La technique appelle donc une double analyse, fondée sur son développement historique : d'un côté la technique « primitive », incarnée par l'outil manié par le bras humain, limité par celui-ci, qui permet de développer un ensemble de premiers progrès nécessaires à notre survie et notre confort ; de l'autre, la technique moderne, développée sous la forme de machines, d'une humanité globale, qui est capable de rentrer en interaction et en destruction avec la nature elle-même. C'est pourquoi Hans Jonas, dans Le Principe Responsabilité, propose d'étendre notre pensée éthique. En effet, l'avenir de l'humanité est désormais lié à celui de la nature menacée par notre développement technique. Il montre que, dans un premier temps, l'humanité était menacée au sein d'une compétition égoïste entre espèces – puisque les animaux pouvaient aussi représenter un danger pour l'homme –, et que chaque installation humaine était l'objet d'une lutte au détriment d'autres êtres vivants. À cette époque, la préférence morale de l'être humain sur toute autre instance de la nature avait un sens. Cependant, avec le développement technologique, c'est désormais l'humanité elle-même qui constitue une menace pour l'ensemble du monde naturel : le danger pour l'avenir vient aujourd'hui de notre propre puissance technique. Ainsi, face à ce changement historique, Jonas propose de penser qu'il faut attribuer une dignité à la nature, c'est-à-dire la considérer dans sa finalité propre et non plus seulement selon le prisme de notre intérêt humain. Il ne faut pas seulement raisonner selon l'ordre des fins humaines mais lier la finalité de la nature à celle de l'homme : il ne s'agit pas de dire « si on veut que l'humanité survive, alors la nature doit survivre », mais plutôt que la nature doit être respectée comme une personne. Ce que montre Jonas, c'est donc que l'avenir de l'humanité n'est plus seulement lié à la technique mais aussi à la nature et à la morale. Conseil : les citations de philosophes, notamment quand les phrases sont si célèbres qu'elles dépassent le cadre de la philosophie, ne valent pas comme des arguments à part entière. Elles doivent être accompagnées d'explications, de définitions et d'articulations au sujet traité.3. Penser la technologie
Face aux enjeux du lien entre technologie et avenir, pour éviter la technophobie – le rejet sans réflexion de la technique – ou son inverse, la technophilie – la croyance en une technique intrinsèquement positive et salvatrice –, on peut alors considérer qu'il y a un appel à penser la technologie au sens étymologique : un discours cohérent sur la technique. La technologie n'est pas l'outil développé et complexe, informatique, que l'on entend dans le sens courant, mais elle est une façon de se rapporter à la technique non pas de manière extérieure et opaque à celle-ci mais de manière contrôlée. C'est en tout cas ce que propose Simondon dans Le Mode d'existence des objets techniques. Simondon considère que la technologie n'est pas extérieure à l'homme, mais qu'elle le constitue en même temps qu'elle est constituée par lui. La technique n'est pas seulement un outil extérieur à nous, mais aussi une manière de maîtriser le monde et de nous y rapporter : le vélo, par exemple, est un outil qui peut faire tomber ; mais une fois la compétence de rouler acquise, on parvient à le maîtriser. La technique suppose donc un apprentissage, une compétence. La technologie implique qu'il faut transmettre cette compétence pour éviter que la technique reste extérieure à nous et incontrôlée. Simondon propose ainsi que la technique ne soit pas laissée à elle-même, car nous ne pouvons pas naturellement la maîtriser. Il faut au contraire apprendre à la contrôler et l'intégrer dans notre existence. Ainsi, si internet est un outil complexe, il possède ses codes, ses enjeux culturels mais aussi écologiques : laisser internet exister sans apprentissage, sans recul, sans approche réfléchie conduit à un usage potentiellement dangereux de cet outil. Ce qui menace l'avenir, ce n'est pas la technique en elle-même, mais l'absence de distance critique à son égard. La technique doit nous pousser à recomposer avec elle, afin de l'orienter vers le futur que nous désirons. Face aux enjeux du lien entre technologie et avenir, pour éviter la technophobie – le rejet sans réflexion de la technique – ou son inverse, la technophilie – la croyance en une technique intrinsèquement positive et salvatrice –, on peut alors considérer qu'il y a un appel à penser la technologie au sens étymologique : un discours cohérent sur la technique. La technologie n'est pas l'outil développé et complexe, informatique, que l'on entend dans le sens courant, mais elle est une façon de se rapporter à la technique non pas de manière extérieure et opaque à celle-ci mais de manière contrôlée. C'est en tout cas ce que propose Simondon dans Le Mode d'existence des objets techniques. Simondon considère que la technologie n'est pas extérieure à l'homme, mais qu'elle le constitue en même temps qu'elle est constituée par lui. La technique n'est pas seulement un outil extérieur à nous, mais aussi une manière de maîtriser le monde et de nous y rapporter : le vélo, par exemple, est un outil qui peut faire tomber ; mais une fois la compétence de rouler acquise, on parvient à le maîtriser. La technique suppose donc un apprentissage, une compétence. La technologie implique qu'il faut transmettre cette compétence pour éviter que la technique reste extérieure à nous et incontrôlée. Simondon propose ainsi que la technique ne soit pas laissée à elle-même, car nous ne pouvons pas naturellement la maîtriser. Il faut au contraire apprendre à la contrôler et l'intégrer dans notre existence. Ainsi, si internet est un outil complexe, il possède ses codes, ses enjeux culturels mais aussi écologiques : laisser internet exister sans apprentissage, sans recul, sans approche réfléchie conduit à un usage potentiellement dangereux de cet outil. Ce qui menace l'avenir, ce n'est pas la technique en elle-même, mais l'absence de distance critique à son égard. La technique doit nous pousser à recomposer avec elle, afin de l'orienter vers le futur que nous désirons.Conclusion
Nous avons interrogé les différents aspects du lien entre la technique et l'avenir afin de montrer qu'ils étaient essentiellement liés, qu'on ne pouvait plus imaginer un avenir hors de la technique. Mais la distinction historique entre différents types de techniques – l'outil et la machine – nous a conduits à proposer l'idée qu'une technique livrée à elle-même finit, paradoxalement, par faire obstacle à l'avenir. C'est pourquoi, en conclusion, nous avons pu établir que l'avenir dépend non seulement de la technique, mais aussi de la morale et de l'éducation que nous lui associons : l'avenir est possible, et sa qualité dépend de notre rapport réfléchi à la technique.
La conclusion consiste en l'établissement de la réponse à la question posée par le sujet, avec les différents points de passage de l'argumentation. Elle synthétise donc l'effort logique effectué dans le raisonnement.
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