Un tournant social, politique et culturel, la France de 1974 à 1988

De 1974 à 1988, la France connaît de profondes évolutions politiques, sociales et culturelles. Les septennats de deux présidents (Valéry Giscard d'Estaing de 1974 à 1981 et François Mitterrand, dont le premier septennat s'achève en 1988) engagent le pays dans de nombreuses réformes. Ces dernières répondent au désir des Français d'obtenir davantage de libertés et de droits, mais aussi au contexte de crise économique qui sévit depuis 1973.
I. De nouvelles expériences politiques
Lors des élections de 1974 convoquées après la mort du président Georges Pompidou, la volonté des Français de rompre avec le gaullisme apparaît : le second tour oppose le candidat de la gauche, François Mitterrand, au républicain indépendant, Valéry Giscard d'Estaing. Ce dernier est élu avec 50,81 % des voix. À 48 ans, le président le plus jeune alors jamais élu incarne le renouvellement de la droite : il est attaché à l'économie libérale mais affirme vouloir rompre avec les traditions et le conservatisme. Il entreprend des réformes qui inscrivent dans la loi certaines aspirations des jeunes et des femmes issues des mutations nées dans les années 1960 et portées par le mouvement de Mai 68. Toutefois, face à la crise économique, sa politique est critiquée par la gauche, qui lui reproche de ne pas apporter de remède efficace au chômage et à l'exclusion.
Lors des élections présidentielles de 1981, la victoire de François Mitterrand soulève de grands espoirs dans le pays. Le président de gauche, qui a permis l'« alternance », met en œuvre une politique visant à compenser la crise par des mesures sociales :
1. instauration d'une cinquième semaine de congés payés ;
2. augmentation des salaires ;
3. nationalisation de certaines grandes entreprises ;
4. instauration d'un impôt sur la fortune (ISF) ;
5. retraite à 60 ans.
Certaines mesures adoptées en 1981 sont également destinées à promouvoir des valeurs humanistes, comme l'abolition de la peine de mort, portée par Robert Badinter, garde des Sceaux.
Toutefois, en 1983, devant le coût de ces mesures et à cause de la crise qui perdure, François Mitterrand met en œuvre une politique d'austérité. Il perd ainsi le soutien d'une partie de la gauche. En 1986, la droite remporte les élections législatives, entamant une période dite de « cohabitation ».
La droite ayant obtenu la majorité des sièges à l'Assemblée nationale, François Mitterrand nomme Jacques Chirac Premier ministre. Entre le président de gauche et le gouvernement de droite, un partage du pouvoir s'opère. Le président conserve les prérogatives régaliennes comme la force de frappe nucléaire ou la participation aux grands sommets internationaux, alors que le gouvernement décide des orientations politiques en procédant à des privatisations d'entreprises nationales (TF1, Paribas) et en revenant sur certains acquis sociaux. Jouant sur l'impopularité de ces réformes, François Mitterrand l'emporte face à Jacques Chirac lors des élections présidentielles de 1988. Il dissout l'Assemblée nationale, et la gauche redevient majoritaire lors des élections législatives.
Exercice n°1Exercice n°2
II. Une société en mutation
Les changements politiques de cette époque sont liés à des mutations sociales qu'ont permises les Trente Glorieuses, pendant lesquelles les rapports traditionnels à l'autorité ont été contestés, notamment lors de Mai 68. Les femmes et les jeunes demandent que leurs revendications soient prises en compte.
Depuis les années 1960, les revendications des femmes sont portées par des mouvements structurés, comme le Mouvement de libération de la femme (MLF). Les femmes sont de plus en plus nombreuses à exercer un emploi salarié et à mener des études longues. Elles demandent donc davantage d'égalité. Valéry Giscard d'Estaing crée un secrétariat d'État à la condition féminine, dirigé par Françoise Giroud. Les femmes veulent également pouvoir disposer pleinement de leur corps. Depuis 1967, la contraception est autorisée par la loi Neuwirth. En 1975, devant le drame des avortements clandestins et les demandes de nombreuses femmes connues (le Manifeste des 343), Simone Veil est chargée de porter un projet de loi en faveur de l'interruption volontaire de grossesse (IVG), adoptée le 17 janvier 1975.
Les jeunes issus du baby-boom avaient exprimé en mai 1968 des revendications montrant leur volonté de participer davantage à la vie politique et sociale du pays. Valéry Giscard d'Estaing accède à cette demande en abaissant à 18 ans l'âge de la majorité. Tous les gouvernements contribuent successivement à démocratiser l'accès aux études et à la formation. La loi Haby permet, en 1975, la création du collège unique. L'enseignement secondaire et supérieur continue à se démocratiser. En 1985, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Éducation nationale, se fixe pour objectif que 80 % d'une classe d'âge accède désormais au baccalauréat. Toutefois, des inégalités sociales demeurent dans l'accès à l'enseignement supérieur, où l'on observe que les enfants d'ouvriers sont moins nombreux.
La diversité de la société française s'accroît également. Dans les années 1960, une nouvelle vague de travailleurs immigrés est appelée en France pour soutenir le secteur industriel. Outre les Européens du Sud, comme les Portugais, ces nouveaux immigrants viennent des pays du Maghreb puis d'Afrique subsaharienne. Valéry Giscard d'Estaing, afin de contribuer à leur intégration, met en place une politique de regroupement familial, permettant à ces travailleurs de faire venir en France leur famille. Or, les travailleurs immigrés sont frappés par la crise économique dès les années 1970. Le chômage et la relégation dans des quartiers paupérisés montrent les limites de la politique d'intégration, malgré l'émergence d'une seconde génération issue de l'immigration, née ou naturalisée française. En 1981, l'élection de François Mitterrand suscite l'espoir. La « marche des Beurs » montre une volonté de revendiquer des mesures favorisant l'intégration. Une partie de l'électorat s'y oppose toutefois et se tourne vers l'extrême droite : le Front national obtient trente députés en 1986.
Exercice n°3
Un discours à connaître
1974 : extrait du discours de Simone Veil sur l'IVG à l'Assemblée Nationale, INA
« Je voudrais enfin vous dire ceci : au cours de la discussion, je défendrai ce texte, au nom du gouvernement, sans arrière-pensée, et avec toute ma conviction, mais il est vrai que personne ne peut éprouver une satisfaction profonde à défendre un tel texte — le meilleur possible à mon avis — sur un tel sujet : personne n'a jamais contesté, et le ministre de la Santé moins que quiconque, que l'avortement soit un échec quand il n'est pas un drame.
Mais nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les trois cent mille avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours.
L'histoire nous montre que les grands débats qui ont divisé un moment les Français apparaissent avec le recul du temps comme une étape nécessaire à la formation d'un nouveau consensus social, qui s'inscrit dans la tradition de tolérance et de mesure de notre pays.
Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l'avenir.
Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu'elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l'avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d'enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême. »
Écouter la fin du discours (à partir de 36 min 38)
Zoom sur…
L'abolition de la peine de mort
La France est, dans les années 1970, l'un des derniers pays d'Europe à pratiquer la peine de mort. De nombreuses voix s'élèvent pour demander son abolition, en raison de principes humanistes. Toutefois, même si Valéry Giscard d'Estaing est favorable à cette abolition à titre privé, il ne franchit pas le pas, compte tenu du fait que l'opinion de droite est partagée à ce sujet. Mais, après 1977, date de la dernière exécution capitale en France, le président gracie la plupart des condamnés. En 1981, pendant la campagne électorale, François Mitterrand s'engage en faveur de l'abolition de la peine de mort. Il charge Robert Badinter, garde des Sceaux et ancien avocat ayant défendu des accusés passibles de cette peine, de présenter un projet de loi en ce sens. Le 18 septembre 1981, la loi est votée. La France s'ancre ainsi dans la famille des pays démocratiques considérant que la privation de liberté est la seule peine légitime, quel que soit le crime commis.
L'épidémie de SIDA en France
Parmi les bouleversements socioculturels que connaît la France dans les années 1970 et 1980, l'épidémie de SIDA occupe une place particulière. Elle met en jeu à la fois une réalité sanitaire et des représentations sociales. En 1981, aux États-Unis, plusieurs personnes développent les symptômes d'une nouvelle maladie mortelle. Cette dernière apparaît rapidement comme étant liée à un virus transmissible par voie sanguine et sexuelle. La communauté homosexuelle est particulièrement frappée. En France, où les premiers cas sont isolés en 1982, se développe dans un premier temps un discours homophobe qui associe à tort la maladie à l'orientation sexuelle, à une époque où l'homosexualité vient seulement d'être dépénalisée. Alors que la transmission par voie sanguine est reconnue, cette stigmatisation frappe également les toxicomanes. La donne change avec l'affaire du sang contaminé, révélée en 1991, et grâce à une meilleure connaissance de la maladie dont on sait désormais qu'elle touche aussi les hétérosexuels. L'opinion découvre de graves manquements dans la gestion de la crise sanitaire : des personnes ont été transfusées avec du sang prélevé, sans contrôle, sur des donneurs séropositifs. Le SIDA est enfin reconnu comme un enjeu de santé publique. Une politique de prévention, portant sur l'usage du préservatif, est engagée par l'État à partir du milieu des années 1980, alors que des associations comme Aides agissent de façon à diffuser les comportements de prévention et à changer le regard porté sur les personnes séropositives. Le SIDA marque également la culture. On parle d'« années SIDA » pour évoquer la période allant de 1983 à 1995, pendant laquelle de nombreux artistes se mobilisent pour lancer des actions destinées à lever des fonds pour la recherche.
Un débat à connaître
Robert Badinter, « J'ai l'honneur de demander l'abolition de la peine de mort en France », archive INA
Le 17 septembre 1981, le Garde des sceaux Robert Badinter défend, à l'Assemblée nationale, son projet d'abolition de la peine de mort.
III. De nouvelles formes d'expression culturelle
De 1974 à 1988, la culture devient un enjeu politique. Le pouvoir soutient la création française et lui permet de bénéficier de structures qui font sa spécificité. Giscard d'Estaing, puis Mitterrand, dans le sillage de Pompidou, lancent de grands chantiers présidentiels liés au monde des arts et de la culture. Giscard d'Estaing lance le projet du musée d'Orsay ; Mitterrand entreprend le Grand Louvre et l'Opéra Bastille dans le but de permettre un accès à la culture au plus grand nombre. Cette démocratisation de la culture est portée, dès 1981, par un ministère de la Culture aux attributions élargies, dont le portefeuille est confié à Jack Lang. La culture se décloisonne en accordant des subventions aux lieux de création et en renforçant les réseaux de conservatoires et de scènes nationales. La création de la Fête de la musique, le 21 juin 1982, montre par ailleurs la volonté de célébrer toutes les musiques.
L'audiovisuel français est marqué dans les années 1970 par un monopole de l'État. Les chaînes privées sont interdites à la télévision, et il n'existe alors que trois chaînes nationales. Il en va de même dans le domaine de la radio, où les rares radios privées, comme Europe 1, RTL ou RMC, émettent en réalité depuis l'étranger. Dès 1981, François Mitterrand entreprend d'accorder davantage de libertés. Il autorise la création de « radios libres » sur la bande FM et permet la création de Canal+, chaîne privée payante, puis lance en 1985 le projet de deux nouvelles chaînes privées gratuites, La Cinq et TV6, ainsi que d'une chaîne culturelle pour le service public, La Sept, devenue Arte quelques années plus tard. La place de l'audiovisuel répond donc à la fois à des impératifs commerciaux et aux missions de service public.
La vie culturelle française est profondément transformée également par les mutations des cultures populaires. Les films sont diffusés non seulement au cinéma, mais également en vidéo, avec l'apparition du magnétoscope en 1980. Au sein de cette culture apparaissent des figures contestant les modèles politiques, comme Coluche, qui compte en 1986 se présenter aux prochaines élections présidentielles et s'engage sur le front de la solidarité avec la création des Restos du Cœur. Au sein des quartiers populaires, on assiste à l'émergence de nouvelles formes musicales calquées sur le modèle américain comme le rap, portant les revendications des minorités et le refus des autorités instituées.
Exercice n°4Exercice n°5
Une vidéo à regarder
L'émergence de nouvelles formes culturelles, l'exemple du rap
Joey Starr, Assassin et Vincent Cassel en 1988 lors d'une de leurs premières apparitions à la télévision.
Exercice n°1
Comment appelle-t-on le fait que le président de la République et le Premier ministre n'appartiennent pas à la même famille politique ?
Cochez la bonne réponse.
A. La cohabitation.
B. La colocation.
C. La coopération.
D. La garde partagée.
E. La codirection.
En 1986, la droite obtient la majorité à l'Assemblée nationale après des élections législatives réalisées au scrutin proportionnel. La Ve République étant un système parlementaire, François Mitterrand est contraint de choisir un Premier ministre issu de la majorité : Jacques Chirac. Cette cohabitation prend fin en 1988 lorsque Mitterrand est réélu président de la République et dissout l'Assemblée nationale. La gauche obtient alors la majorité aux élections législatives de 1988.
Exercice n°2
Laquelle de ces mesures n'est-elle pas adoptée pendant le premier septennat de François Mitterrand ?
Cochez la bonne réponse.
A. Des nationalisations d'entreprises.
B. Une cinquième semaine de congés payés.
C. La loi sur les 35 heures de travail hebdomadaires.
D. L'abolition de la peine de mort.
E. L'instauration d'un impôt sur la fortune (ISF).
La loi sur les 35 heures est adoptée en 2000, sur une proposition de Martine Aubry, ministre des Affaires sociales du gouvernement de Lionel Jospin.
Exercice n°3
Quand la loi Veil portant sur l'IVG est-elle votée ?
Cochez la bonne réponse.
A. En 1974.
B. En 1975.
C. En 1981.
D. En 1986.
E. En 1988.
Le 17 janvier 1975, Simone Veil, ministre de la Santé, fait adopter cette loi devant l'Assemblée nationale. Elle répond à la situation dramatique des avortements clandestins en légalisant l'interruption volontaire de grossesse dans un cadre médicalisé. Simone Veil rencontre une violente opposition conservatrice mais parvient à faire voter son texte par la majorité de droite présente à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Exercice n°4
Quel ministre de la Culture institue-t-il la Fête de la musique le 21 juin 1982 ?
Cochez la bonne réponse.
A. André Malraux.
B. Yvette Roudy.
C. François Léotard.
D. Jack Lang.
E. Jean-Paul Goude.
Jack Lang est nommé ministre de la Culture en 1981. Il conserve ce poste de manière ininterrompue dans les gouvernements de gauche jusqu'à la fin du second septennat de Mitterrand. Jack Lang incarne le renouveau de cette fonction et imprime son style consistant à créer de grands événements associant haute culture et cultures populaires. Il contribue à décloisonner le monde culturel en favorisant le brassage des cultures dans une France en mutation.
Exercice n°5
Quelles transformations dans le monde médiatique sont-elles lancées par François Mitterrand entre 1981 et 1988 ?
Cochez la bonne réponse.
A. La création de radios libres et de chaînes de télévision privées.
B. La nationalisation de plusieurs chaînes de télévision.
C. La création de la télévision numérique terrestre (TNT).
D. La création de chaînes de télévision locales.
E. La privatisation d'une chaîne de télévision publique.
En 1981, François Mitterrand se prononce en faveur de l'attribution sur la bande FM de fréquences aux radios libres. Il s'engage ensuite dans la création de la chaîne privée payante Canal+, puis d'une cinquième et d'une sixième chaîne privées mais en libre accès. Ces dernières ne sont lancées qu'après 1986, pendant la cohabitation, au cours de laquelle le gouvernement décide la privatisation de TF1.