Des recompositions territoriales à toutes les échelles, entre attractivité, concurrence et inégalités

Il est impossible d'appréhender le territoire français comme un bloc figé, surtout dans un contexte de mondialisation qui suppose une interdépendance croissante des territoires. C'est à toutes les échelles que les phénomènes de mondialisation, d'intégration communautaire et de métropolisation font sentir leurs conséquences. La géographie n'est pas une science définitive, mais s'attache à l'étude de ces évolutions.
I. La modification du tissu urbain
La concentration accrue des activités supérieures dans les métropoles tend à modifier en profondeur le tissu urbain, la morphologie de la ville, mais aussi les relations sociales qui la composent.
L'une des grandes thématiques actuelles de la géographie est l'étude de la gentrification des métropoles, c'est-à-dire du départ des classes sociales populaires des centres-villes et dorénavant des banlieues proches, laissant place à des catégories plus aisées. Cette gentrification se déroule en plusieurs étapes, avec des populations développant des « fronts pionniers », notamment à partir des étudiants qui, attirés par un coût plus faible du logement, s'installent dans un quartier populaire. Développant des activités culturelles et des lieux de sociabilité nouveaux (associations, bars, restaurants, etc.), le quartier attire alors une population de plus en plus aisée. L'action des promoteurs immobiliers fait le reste, en multipliant les opérations immobilières faisant grimper les prix. Mécaniquement, les couches populaires du quartier se trouvent évincées à cause de l'élévation des loyers.
La ville française est donc aujourd'hui un lieu d'inégalités sociales majeures et de lutte pour l'espace entre les catégories sociales. Celles-ci connaissent aussi une tendance au repli sur soi, comme a pu le démontrer É. Charmes qui décrit une « clubbisation » de la ville, dans les centres, les banlieues ou le périurbain, avec la constitution de quartiers ou de communes socialement uniformes.
Exercice n°1
Gare de Lyon à Paris
Gare de Lyon à Paris
© OGphoto/iStock
II. Les stratégies de marketing urbain
Dans le cadre de la mise en concurrence des métropoles pour attirer les entreprises les plus performantes, en particulier dans le secteur des services, les acteurs locaux multiplient les politiques volontaristes pour mettre en valeur leurs atouts.
L'accessibilité étant essentielle, accueillir une gare TGV en lien direct avec la capitale devient une condition nécessaire. Ainsi le projet EuroRennes prévoit dans la capitale bretonne le réaménagement du quartier de la gare en lien avec la réfection des voies ferrées qui permet d'accéder à Paris en 1 heure 35. Ces projets « Euro » se sont multipliés : Euralille avec l'arrivée de l'Eurostar dès 1994, EuroMéditerranée à Marseille, etc. Et les projets de marketing territorial voient le jour à l'échelle urbaine, comme à Lyon autour du projet « Only Lyon ».
Ces stratégies s'appuient souvent sur de grands projets d'aménagement, comme la réappropriation de l'île de Nantes pour en faire un nouveau cœur de ville. Cela passe aussi par la mise en avant d'une vie culturelle attractive, essentielle lorsque l'on s'adresse à une population diplômée à forte consommation de produits culturels. Nantes a pu compter sur l'accueil de compagnies d'art de rue à la renommée internationale comme Royal de Luxe et le développement des Machines de l'Île, au point de faire de l'éléphant mécanique un symbole de la métropole de Loire-Atlantique.
III. La région, un espace de vie ?
Les politiques de décentralisation, inaugurées en 1982 et 1983 avec les lois Deferre, ont transféré aux régions des compétences d'aménagement du territoire comme la gestion des déchets, des plans de développement économique, la régulation des mobilités interurbaines, etc.
Les régions sont des circonscriptions administratives, mais certaines d'entre elles peuvent exprimer une identité forte (Corse, Bretagne, Alsace, etc.), développant un sentiment puissant d'attachement au sein de leurs populations. L'intégration communautaire européenne modifie les pratiques sociales aux frontières, intégrant les régions françaises concernées dans un continuum avec leurs voisins, notamment en Alsace avec le Land de Bade-Wurtemberg.
Dans le cadre de l'Europe, la structuration du territoire est également pensée à de plus larges échelles  : une réflexion est ainsi menée autour de l'Arc atlantique, de l'Écosse à l'Andalousie, entre l'Irlande, le Royaume- Uni, la France, l'Espagne et le Portugal, pour rassembler les régions du littoral partageant un certain nombre de problématiques communes, concernant notamment les transports maritimes ou la pêche.
Une vidéo à regarder
« Décentralisation : pourquoi faire ? » Ina, 1982
IV. Des inégalités régionales
À l'échelle de la région, les recompositions sont nombreuses et inégalement réparties dans l'espace. Ainsi, si une métropole régionale peut bénéficier d'opérations urbaines majeures, les avantages ne peuvent souvent concerner l'ensemble d'une région. Par exemple, l'essor touristique déclenché par l'installation du Louvre-Lens ne suffit pas à redynamiser la région touchée de plein fouet par la fermeture des activités industrielles depuis les années 1970-1980. Les régions évoluent également en développant des spécificités économiques, comme la chimie sur le Rhône ou l'agroalimentaire dans l'Ouest.
La réforme de 2016, qui a fait passer le nombre de régions administratives de 27 à 18, définit de nouvelles régions, mais celles-ci ne correspondent pas toujours à la façon dont les habitants s'approprient l'espace. Cela conduit certaines d'entre elles à un déficit d'appropriation, par exemple la Nouvelle-Aquitaine. De plus, la centralisation française se fait sentir à l'échelle de ces régions. Cela pose par exemple problème dans le cadre de la région Normandie, résultat de la fusion de la Basse et de la Haute-Normandie, mettant en compétition les villes de Caen et de Rouen pour le statut de métropole régionale.
Enfin, la naissance d'une fiscalité propre décidée par le conseil régional fait apparaître des disparités de richesse et de développement entre les régions françaises. Ainsi l'indice de développement humain (IDH) de Mayotte n'est que de 0,781 en 2018 quand celui de l'Île-de-France est à 0,937.
V. Le cas particulier des régions d'outre-mer
Les conditions sont très contrastées dans l'outre-mer. Des modélisations ont néanmoins été faites, notamment par J.-C. Gay. Il distingue :
• des littoraux abrités des vents dominants où se développe l'activité touristique ;
• des littoraux connaissant des risques réguliers d'ouragans ;
• les centres des îles, qui restent en retrait du développement régional. Pour autant, ils sont parfois intégrés dans la stratégie de marketing territorial, comme le cirque de Mafate, peu peuplé, mais qui constitue une attraction pour des touristes à la recherche de nature et de randonnées.
La métropole polarise l'économie tout comme les pratiques sociales.
Exercice n°2
Une vidéo à regarder
« Nouvelle Calédonie : la dernière colonie française », Le Monde, « Mappemonde », 2018
Zoom sur…
La ligne le havre-marseille, une réalité dépassée ?
La géographie économique traditionnelle française a longtemps établi une ligne entre les deux grands ports français du Havre et de Marseille. Au nord de celle-ci se situaient les régions les plus industrialisées, notamment autour des bassins houillers du Nord ou du Creusot. À l'inverse, au sud de la ligne, les régions semblaient se caractériser par une activité agricole plus intense. Si l'industrie a pu se développer aujourd'hui au sud, cette ligne marque toujours les paysages des régions françaises, notamment à cause de la déprise de l'industrie lourde, multipliant les friches, par exemple en Lorraine. Les chiffres socioéconomiques s'en ressentent aussi, avec un chômage plus important dans les Hauts-de-France (autour de 10 %) qu'en Loire-Atlantique (7,2 %).
D'autres représentations géographiques ont néanmoins pu émerger, par exemple l'identification d'une géographie urbaine et régionale française sous la forme d'un cyclope : la France représentant le visage, dont l'œil unique disproportionné est Paris, et le sourire l'arc littoral allant de Rennes à Lyon en passant par Toulouse et Montpellier, un espace très dynamique dans l'économie tertiaire et la production à haute valeur ajoutée.
Les acteurs de l'aménagement
Les acteurs de l'aménagement sont multiples en France.
Il est d'abord impossible d'ignorer le rôle prépondérant de l'État. La planification à l'œuvre dans l'économie française d'après-guerre a intégré la problématique de l'aménagement, envisagé comme une mise en valeur du territoire au bénéfice de l'économie. De 1963 à 2014, la DATAR (Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale) a été le « bras armé » de l'État dans ce domaine. Elle centralise la politique appliquée dans les régions par les préfets. De grands plans d'aménagement en sont issus, comme la mission Racine, dont l'objectif fut de faire du littoral du Languedoc-Roussillon un lieu d'accueil du tourisme balnéaire de masse. Lui font écho les « plans neige » d'aménagement des stations de sports d'hiver entre 1964 et 1977.
Les collectivités territoriales sont aussi des acteurs de l'aménagement depuis les lois de décentralisation de 1981 et 1982. Les régions ont par exemple hérité de la gestion du système des trains express régionaux (TER). Les communes agissent en particulier au travers des plans locaux d'urbanisme (PLU), de plus en plus souvent concertés à l'échelle intercommunale.
L'Union européenne, par ses financements et ses actions de coopération, est également devenue un acteur essentiel. Dans un contexte où la centralisation reste très forte, les régions peuvent trouver dans l'appui de l'UE un moyen de dépasser des blocages nationaux.
Par ailleurs, il ne faut pas négliger le rôle des acteurs privés, qui sont de plus en plus influents, comme les FTN (firmes transnationales). Enfin, les citoyens sont également des acteurs de l'aménagement : ils sont consultés régulièrement et peuvent s'organiser en association pour défendre ou s'opposer à un projet local.
Exercice n°1
La gentrification désigne…
Cochez la bonne réponse.
A. la construction d'un espace public « genré », favorisant les hommes dans leurs activités et interactions sociales.
B. la disparition progressive des classes populaires des métropoles au profit des classes sociales supérieures.
C. les campagnes publicitaires destinées à promouvoir les métropoles dans le cadre de la concurrence pour attirer de nouvelles populations diplômées.
La gentrification se déroule en plusieurs étapes. D'abord, les étudiants, attirés par un coût plus faible du logement, s'installent dans un quartier populaire. Le développement des activités culturelles et des lieux de sociabilité attire alors une population aisée. Puis les opérations immobilières font monter les prix. L'élévation des loyers chasse alors les classes populaires.
Exercice n°2
Quelles régions ont bénéficié tout particulièrement du redéploiement industriel dans les années 1960 et 1970 ?
Cochez la bonne réponse.
A. la Côte d'Azur et le littoral aquitain
B. les espaces frontaliers
C. l'Ouest et le Bassin parisien
D. les grandes métropoles du Sud et de l'Ouest
E. le bassin industriel du Nord et celui de l'Est
Ces espaces bénéficiant d'importants bassins d'emploi et d'une proximité avec Paris, tout en étant compétitifs. Ils sont aujourd'hui marqués par la délocalisation d'entreprises et le redéploiement d'autres activités notamment tertiaires et logistiques.