La Russie, un pays dans la mondialisation : inégale intégration des territoires, tensions et coopérations internationales

La Russie est le plus grand pays du monde avec 17,1 millions de km2, au milieu particulièrement contraignant (climat, pergélisol). L'histoire la place dans une position particulière eu égard à la mondialisation. Celle-ci se définit comme un processus libéral, capitaliste, qui a pris un essor très fort après la Seconde Guerre mondiale, au moment même où l'expérience communiste dans sa version soviétique et stalinienne touche ce qui est alors l'URSS. La Russie s'intègre dans la mondialisation libérale à la chute de l'URSS en 1991, qui représente la fin de la voie alternative qu'avait constituée le « bloc de l'Est », avec ses propres dynamiques d'échanges de produits et de personnes. Dans quelle mesure la Russie parvient-elle à s'intégrer dans la mondialisation ?
I. La Russie, un pays émergent ?
L'entrée dans le monde capitaliste ne s'est pas faite sans bouleversements, en particulier dans le cadre de la « thérapie de choc » menée par E. Gaïdar, ministre des Finances puis Premier ministre à partir de 1992. Ces conséquences, que l'auteure S. Aleksievitch a contées dans La Fin de l'homme rouge, sont encore durement ressenties par une partie de la population (diminution de l'espérance de vie dans les années 1990, pauvreté). La géographie économique classique place la Russie dans les BRICS, les pays émergents. Sa trajectoire nationale apparaît originale en ce qu'il s'agit de la résurgence d'une puissance. Lors de la guerre froide, la puissance soviétique s'appuyait sur les « pays frères » du bloc de l'Est. Elle s'exprimait par sa place au sein du Conseil de sécurité de l'ONU comme membre permanent et par ses capacités militaires. L'organisation économique interne de ce bloc reposait sur un partage des tâches et des productions qui n'a pas résisté à l'entrée dans le modèle capitaliste.
La Russie peut compter sur ses matières premières pour apparaître comme un acteur important de la mondialisation. Le pétrole et le gaz, qui pèsent à eux deux près de 30 % du PIB national en comptant le complexe industriel et financier qui les entoure, sont essentiels à la bonne santé de l'économie russe. Ainsi, par le jeu de la taxation étatique en pourcentage du prix, lorsque le prix du baril de pétrole augmente d'un dollar, les impôts rapportent un milliard de dollars de plus au budget national. Si elles permettent un développement économique localisé, en mer de Barents ou à Sakhaline, ces activités ne procurent néanmoins qu'un million d'emplois. Pourtant, ces ressources énergétiques guident une partie de la politique russe en Arctique, dans des espaces qui s'ouvrent peu à peu à l'exploitation économique.
Autre territoire majeur de la mondialisation, Moscou est la capitale nationale et prétend au rôle de métropole mondiale. La centralisation de l'économie autour du clan politique de V. Poutine donne à Moscou un rôle essentiel quant à l'insertion de la Russie dans la mondialisation. Cette ville ayant pleinement acquis les usages du monde capitaliste, intégré récemment, possède encore des reliquats du passé communiste. Les « nouveaux riches » et autres oligarques ayant fait fortune dans les soubresauts de la libéralisation de l'économie partagent la ville avec une population paupérisée repoussée dans les périphéries tandis que l'architecture soviétique continue de marquer le paysage.
Vue de Moscou
Vue de Moscou
© Mazaev Anton/iStock
II. La Russie, un acteur politique et économique original
En plus des hydrocarbures qui offrent une intégration dans la mondialisation à certains territoires, la présence de fortes ressources minières joue un rôle important. L'exploitation en fut autrefois confiée, à l'Est, au complexe répressif du Goulag, ainsi celle de l'or, extrait dans les camps de la Kolyma. Le nickel, le platine et le cobalt sont aujourd'hui au cœur du projet économique de développement de l'Est, autour d'entreprises dominantes à l'échelle mondiale. L'entreprise Norilsk Nickel est spécialisée dans la production de nickel et de palladium et EuroChem exploite les phosphates pour sa production d'engrais.
Les grands groupes industriels, dominés par les oligarques proches du pouvoir, sont les fers de lance de l'économie russe dans la mondialisation. Elle peine néanmoins à réinvestir les liquidités obtenues dans une activité économique tertiarisée, pourtant identifiée comme vitale à l'avenir. Ces groupes, dont les ressources sont situées dans des régions périphériques du territoire russe, sont une possible force centrifuge. Ils peuvent mettre en difficulté le pouvoir central, notamment s'ils cherchent à échapper à l'impôt, assurant la redistribution d'une partie de la richesse vers les autres territoires de l'État. La volonté de contrôle du pouvoir politique est en effet indissociable d'un désir de contrôle des territoires. Certains oligarques ont été mis en accusation par la justice russe pour des malversations financières, comme M. Khodorkovski qui dirigeait le géant pétrolier Ioukos. D'aucuns y ont vu une manœuvre du Kremlin contre un potentiel opposant politique disposant de très fortes ressources financières.
Le pays connaît également une résurgence politique. En 1997, le G7 s'élargit à la Russie pour former le G8, consacrant son entrée dans le monde capitaliste. En 2004, la Russie entame les négociations pour adhérer à l'OMC, qui aboutissent en 2012. Le pays participe donc à un ensemble d'institutions internationales, de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) au Conseil de l'Europe, mais son intégration reste partielle. Le raidissement de la position russe face aux démocraties occidentales la conduit en effet à refuser les observateurs étrangers sur son territoire, en particulier en Tchétchénie ou sur ses frontières. Son activité diplomatique se déploie aussi vers son voisin chinois. Les questions de sécurité priment dans les discussions, notamment au sein de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), mais la croissance économique chinoise et le développement des « Nouvelles Routes de la soie » bénéficient également à la Russie, placée au cœur des enjeux économiques entre Asie et Europe. Le basculement eurasiatique des politiques russes fait écho aux sanctions occidentales dues à son activité diplomatique et militaire en Europe orientale.
Zoom sur…
L'intégration régionale apres l'urss
À l'URSS succède la Communauté des États indépendants (CEI) en 1991, rassemblant la Russie et d'anciennes républiques de l'Union soviétique comme l'Azerbaïdjan ou le Kirghizistan. Cette alliance originale ne fonctionne que partiellement, ne produisant que peu de normes réellement appliquées. Elle se démarque par la prépondérance de l'entité russe en son sein. Les pays souhaitant se dégager de son influence ont d'ailleurs pris soin de sortir de la CEI, comme la Géorgie en 2009 et l'Ukraine en 2018.
Les rapports avec l'UE font régulièrement l'objet de crises diplomatiques en Europe orientale et centrale, alors que, depuis le début du xxie siècle, l'élargissement communautaire se construit vers l'Est, avec l'entrée de nouveaux pays en 2004 puis en 2007.
Les flux économiques de l'époque soviétique n'ont pas tous disparu, et « l'étranger proche », pour reprendre la dénomination officielle, garde une place importante dans les échanges russes. L'Union européenne offre aux pays de l'Est une assurance en cas de montée des tensions, néanmoins la Russie possède des leviers de pression notamment parce qu'elle livre 30 % du gaz consommé dans l'Union. L'ombre du voisin russe plane donc sur les relations dans l'Est de l'Europe mais aussi en Scandinavie. Elle est largement exploitée dans les fictions ancrées dans la réalité géopolitique comme la série norvégienne Occupied (2015).
Une tentation impériale dans la mondialisation ?
La Russie a pour particularité, à l'échelle de l'Europe, d'avoir construit au xixe siècle une colonisation contiguë de son territoire vers l'Est, le Far East de la Sibérie ayant été progressivement conquis depuis le xvie siècle. La géopolitique du pouvoir russe se caractérise actuellement par le durcissement des relations avec l'Occident : les États-Unis sont identifiés comme une menace, appuyée sur le continent européen par l'UE. La multiplication des exercices mobilisant plusieurs dizaines de milliers de soldats à l'Ouest et l'arsenal militaire conventionnel et nucléaire sont perçus comme des signes de défiance. La mobilisation de troupes de l'OTAN pour réaffirmer l'alliance envers les pays baltes fait notamment craindre l'émergence d'une nouvelle « guerre froide ».
L'annexion par la Russie de la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014 et le soutien militaire apporté aux séparatistes de l'est de l'Ukraine apparaissent comme des « coups de force » contre l'ordre mondial sans que la communauté internationale ne parvienne à faire reculer la puissance russe. Le retour brutal de la celle-ci en Europe orientale fait écho aux déclarations de V. Poutine définissant la disparition de l'Union soviétique comme la « plus grande catastrophe géopolitique du xxe siècle ». Persuadé de la nécessité d'un destin impérial pour la Russie, il critique la poussée occidentale à ses portes, de l'Estonie, où l'OTAN a positionné un centre de cyberdéfense, à la Géorgie qui tente d'adhérer à cette organisation.
© 2000-2024, rue des écoles