Texte de Hume, Enquête sur l'entendement humain (juin 2015)


Énoncé

Expliquer le texte suivant :
« La règle par où nous nous conduisons communément en nos raisonnements, est que les objets dont nous n'avons pas l'expérience ressemblent à ceux dont nous l'avons ; que ce que nous avons vu être le plus ordinaire est toujours le plus probable ; et que, lorsqu'il y a opposition des arguments, nous devons donner la préférence à ceux qui se fondent sur le plus grand nombre d'observations passées. Mais quoique, en procédant selon cette règle, nous rejetions promptement tout fait insolite et incroyable à un degré ordinaire, pourtant, en avançant davantage, l'esprit n'observe pas toujours la même règle : lorsque quelque chose est affirmé de suprêmement absurde et miraculeux, il admet d'autant plus promptement un tel fait, en raison de la circonstance même qui devrait en détruire l'autorité. La passion de surprise et d'émerveillement qui produit des miracles, étant une agréable émotion, produit une tendance sensible à croire aux événements d'où elle dérive »
Hume, Enquête sur l'entendement humain (1748).

Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d'abord étudié dans son ensemble.
1. Donner la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2. 
a) Expliquer : « nous devons donner la préférence à ceux qui se fondent sur le plus grand nombre d'observations passées ».
b) Expliquer : « il admet d'autant plus promptement un tel fait, en raison de la circonstance même qui devrait en détruire l'autorité ».
3. La force d'une croyance se fonde-t-elle nécessairement sur l'expérience ?
Comprendre le sujet
Dans ce texte, Hume s'interroge sur l'origine de nos croyances. Tandis que les plus ordinaires d'entre elles reposent sur l'expérience, d'autres, étrangement, s'imposent à nous avec d'autant plus de force qu'elles n'entretiennent visiblement aucun rapport avec l'expérience (miracles, superstition, etc.). Quelle est donc la source de cette crédulité humaine ?
Le texte en bref
Dans un premier temps (jusqu'à « le plus grand nombre d'observations passées »), Hume explique que la règle générale qui guide tous nos jugements, nos raisonnements et nos croyances, est l'expérience. Notre esprit est ainsi fait qu'il donne sa préférence aux idées reposant sur le plus grand nombre d'expériences. En particulier, ce qui s'est le plus souvent répété, nous le jugeons naturellement plus probable.
Mais, dans un deuxième temps (jusqu'à « en détruire l'autorité »), Hume observe que cette règle de l'expérience est parfois transgressée : car il nous arrive également de croire en des choses insolites et merveilleuses, tels les miracles, qu'aucune expérience n'atteste. D'où vient donc la force de ces croyances ? Comment expliquer que nous prêtions foi à ce qui pourtant est le plus improbable du point de vue de l'expérience ordinaire ?
C'est ce que tente d'expliquer Hume dans un troisième et dernier temps : l'homme a un penchant naturel à croire aux choses qui l'émerveillent. Ce n'est plus alors l'expérience et la raison (le calcul du probable) qui le guide, mais une passion qui lui fait éprouver du plaisir à l'imagination des choses extraordinaires, et le porte ainsi à les croire.
Mobiliser ses connaissances
Repères et notions à connaître et à utiliser dans le traitement de ce sujet
Le chapitre sur la vérité ; l'expérience ; la vérité/ la superstition ; la vérité/ l'erreur ; la foi/ la raison ; croire/ savoir.
Citations pouvant servir de référence
« Le premier [précepte de ma méthode] était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle. » Descartes, Discours de la méthode, deuxième partie.
« la pensée la plus vive est encore inférieure à la sensation la plus terne. » Hume, Enquête sur l'entendement humain, I.
Textes de référence
Ce texte de Hume s'efforce de démontrer que nos croyances ordinaires dérivent naturellement de l'expérience. À mesure qu'une même expérience se répète, qu'un même fait suit constamment d'un autre toujours identique, nous prenons l'habitude de les associer en tenant le premier pour la cause du second. C'est en effet parce que nous avons chaque jour observé que le soleil s'est levé que nous croyons qu'il se lèvera encore demain.
« Le soleil ne se lèvera pas demain, cette proposition n'est pas moins intelligible et elle n'implique pas plus contradiction que l'affirmation : il se lèvera. Nous tenterions donc en vain d'en démontrer la fausseté. Si elle était démonstrativement fausse, elle impliquerait contradiction et l'esprit ne pourrait jamais la concevoir distinctement.
C'est donc peut-être un sujet digne d'éveiller la curiosité que de rechercher quelle est la nature de cette évidence qui nous assure de la réalité d'une existence et d'un fait au-delà du témoignage actuel de nos sens ou des rapports de notre mémoire. […]
Tous les raisonnements sur les faits paraissent se fonder sur la relation de la cause à l'effet. C'est au moyen de cette seule relation que nous dépassons l'évidence de notre mémoire et de nos sens. Si vous demandiez à quelqu'un pourquoi il croit à la réalité d'un fait qu'il ne constate pas effectivement, par exemple que son ami est à la campagne ou en France, il vous donnerait une raison ; cette raison serait un autre fait : une lettre qu'il a reçue ou la connaissance de ses résolutions antérieures et de ses promesses. […]
Si donc nous désirons nous satisfaire au sujet de la nature de l'évidence qui nous donne la certitude des faits, il faut que nous recherchions comment nous arrivons à la connaissance de la cause et de l'effet.
J'oserai affirmer, comme une proposition générale qui n'admet pas d'exception, que la connaissance de cette relation ne s'obtient, en aucun cas, par des raisonnements a priori ; mais qu'elle naît entièrement de l'expérience quand nous trouvons que des objets particuliers sont en conjonction constante l'un avec l'autre. Qu'on présente un objet à un homme dont la raison et les aptitudes soient, par nature, aussi fortes que possibles ; si cet objet lui est entièrement nouveau, il sera incapable, à examiner avec la plus grande précision ses qualités sensibles, de découvrir l'une de ses causes ou l'un de ses effets. »
Hume, Enquête sur l'entendement humain, Section IV.
Selon Freud, nos croyances ont deux sources : l'erreur et l'illusion. Or, il importe de savoir les distinguer. L'erreur désigne une idée fausse provenant d'une mauvaise opération du jugement. La découverte de la vérité suffit à la dissiper. En revanche, l'illusion désigne une idée imaginaire reposant sur un désir qui nous porte à croire une chose sans examen de sa vérité ou de sa fausseté. La découverte de la vérité n'a donc aucun pouvoir de dissiper une illusion. Ce serait donc méconnaître la nature de l'esprit humain que de juger chacune de nos croyances d'après leur vérité ou leur fausseté, comme si toutes avaient pour origine un jugement rationnel (tantôt bien mené, tantôt pas assez rigoureux). Car en-deçà de la conscience qui raisonne, est en nous un inconscient qui désire.
« Ces idées [religieuses] qui professent d'être des dogmes, ne sont pas le résidu de l'expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l'humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs. Nous le savons déjà : l'impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d'être protégé - protégé en étant aimé - besoin auquel le père a satisfait ; la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l'homme s'est cramponné à un père, à un père cette fois plus puissant. L'angoisse humaine en face des dangers de la vie s'apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine, l'institution d'un ordre moral de l'univers assure la réalisation des exigences de la justice, si souvent demeurées irréalisées dans les civilisations humaines, et la prolongation de l'existence terrestre par une vie future fournit les cadres de temps et de lieu où ces désirs se réaliseront. […]
Quand je dis : tout cela, ce sont des illusions, il me faut délimiter le sens de ce terme. Une illusion n'est pas la même chose qu'une erreur, une illusion n'est pas non plus nécessairement une erreur. L'opinion d'Aristote, d'après laquelle la vermine serait engendrée par l'ordure - opinion qui est encore celle du peuple ignorant -, était une erreur ; de même l'opinion qu'avait une génération antérieure de médecins, et d'après laquelle le tabès [la syphilis] aurait été la conséquence d'excès sexuels. Il serait impropre d'appeler ces erreurs des illusions, alors que c'était une illusion de la part de Christophe Colomb, quand il croyait avoir trouvé une nouvelle route maritime des Indes. La part de désir que comportait cette erreur est manifeste. »
Sigmund Freud, L'Avenir d'une illusion.
Procéder par étapes
Identifier les difficultés particulières de ce sujet
La croyance dans les miracles et les superstitions humaines nous semble à ce point irrationnelle qu'on pourrait penser ou bien qu'elle n'a pas de cause compréhensible, ou bien qu'elle est le produit d'une simple erreur de jugement. Hume tente ici de montrer que ces croyances ont bien une cause, quoique celle-ci ne soit pas une erreur de raisonnement, mais l'effet d'une passion.
Problématiser le texte
Comment articuler un principe général qui pose que l'esprit humain ne prête foi qu'aux idées reposant sur l'expérience la plus habituelle et ordinaire, et ce fait d'observation qui enseigne qu'il nous arrive de croire certaines choses, précisément parce qu'elles sont inhabituelles et extraordinaires ? Nos croyances apparemment irrationnelles (superstitions, miracles) dérivent-elles d'une erreur de jugement ? Ou bien ont-elles une origine différente de celle de nos croyances ordinaires ? En somme : l'irrationnel de ces croyances désigne-t-il un simple défaut de raison ou l'existence en nous d'un principe irrationnel ?
Répondre aux questions
2. 
a) Expliquer : « nous devons donner la préférence à ceux qui se fondent sur le plus grand nombre d'observations passées ».
Pour expliquer ce passage, il faut d'abord préciser l'objet du propos : Hume s'interroge sur le critère nous permettant de départager des « arguments » opposés. D'après lui, un examen purement rationnel ne mène à rien : deux arguments opposés peuvent être aussi rigoureux l'un que l'autre et n'offrir donc aucun critère de choix. Dès lors, seule l'expérience (« le plus grand nombre d'observations passées ») est à même d'opérer un partage.
On pourra également s'interroger sur le sens de l'expression « nous devons » : s'agit-il d'une nécessité (c'est ainsi que cela se passe) ou d'un devoir (il faut qu'il en soit ainsi) ?
b) Expliquer : « il admet d'autant plus promptement un tel fait, en raison de la circonstance même qui devrait en détruire l'autorité ».
Cette phrase est centrale dans la démonstration de l'auteur. Hume y fait part d'une observation en effet extrêmement étonnante : il nous arrive de croire en des choses extraordinaires, non pas en dépit de leur caractère « suprêmement absurde et miraculeux », mais en raison même de ce caractère : il semble que nous croyions parce que c'est absurde (pour reprendre la locution latine souvent citée pour définir la foi chrétienne : « credo quia absurdum » - « je crois parce que c'est absurde » -, empruntée à Tertullien). Ce qui devrait raisonnablement (c'est-à-dire selon la « règle » de l'expérience habituelle évoquée au début du texte) nous faire douter et susciter notre incrédulité est étrangement la cause de notre adhésion et de notre crédulité.
En commentaire, il serait judicieux d'indiquer que cette observation écarte l'hypothèse selon laquelle nos croyances en des choses improbables viendraient d'une simple erreur de jugement (une mauvaise application de la règle de la confirmation par l'expérience, un mauvais calcul de probabilités) et permet à Hume d'introduire sa thèse dans la suite de son propos : c'est une « passion » naturelle pour le merveilleux qui explique notre crédulité à l'égard des faits les plus improbables et même absurdes.

Annexes

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