Texte de Descartes (juin 2013)


Énoncé

Expliquer le texte suivant :
« Il n'y a presque rien qui n'ait été dit par l'un, et dont le contraire n'ait été affirmé par quelque autre. Et il ne serait d'aucun profit de compter les voix, pour suivre l'opinion qui a le plus de répondants(1) car, lorsqu'il s'agit d'une question difficile, il est plus vraisemblable qu'il s'en soit trouvé peu, et non beaucoup, pour découvrir la vérité à son sujet. Mais quand bien même(2) ils seraient tous d'accord, leur enseignement ne serait pas encore suffisant : car jamais, par exemple, nous ne deviendrons mathématiciens, même en connaissant par cœur toutes les démonstrations des autres, si notre esprit n'est pas en même temps capable de résoudre n'importe quel problème ; et nous ne deviendrons jamais philosophes, si nous avons lu tous les raisonnements de Platon et d'Aristote, et que nous sommes incapables de porter un jugement assuré sur les sujets qu'on nous propose ; dans ce cas, en effet, ce ne sont point des sciences que nous aurions apprises, semble-t-il, mais de l'histoire. »
René Descartes, Règles pour la direction de l'esprit, posthume, écrit vers 1628.

Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d'abord étudié dans son ensemble.
1. Formulez la thèse du texte et montrez comment elle est établie.
2. 
a) Expliquez : « il ne serait d'aucun profit de compter les voix, pour suivre l'opinion qui a le plus de répondants ».
b) En vous appuyant sur les exemples des mathématiciens et des philosophes, expliquez la phrase suivante : « Mais quand bien même ils seraient tous d'accord, leur enseignement ne serait pas encore suffisant ».
3. Juger par soi-même, est-ce le seul moyen de découvrir ce qui est vrai ?
Comprendre le sujet
Ce texte porte sur les notions de vérité et de jugement. Descartes montre que la vérité ne s'atteint que via une appropriation du savoir et non par la répétition de ce que pensent ou enseignent les autres.
Dans ce texte, Descartes montre que la vérité doit se conquérir seul, par la réflexion, et non par l'accord avec ce qu'énoncent les autres, fussent-ils nombreux. La compréhension de la vérité implique nécessairement une démarche autonome. C'est l'hétéronomie de la pensée (c'est-à-dire le fait de s'en remettre aux autres pour savoir quoi penser) qui est ici critiquée.
Repères et notions à connaître et à utiliser dans le traitement du sujet
La vérité, l'intersubjectivité, la raison, autre/ autrui, l'opinion, l'évidence, le rationalisme, la certitude.
Textes de référence à rapprocher du sujet pour approfondir sa compréhension et élargir le champ de la thèse philosophique
Un texte de Rousseau dans lequel l'auteur s'émerveille du spectacle de la raison humaine dissipant les ténèbres de l'ignorance :
« C'est un grand et beau spectacle de voir l'homme sorti en quelque manière du néant par ses propres forces dissiper, par les lumières de sa raison, les ténèbres dans lesquelles la nature l'avait enveloppé ; s'élever au-dessus de soi-même ; s'élancer par l'esprit jusque dans les régions célestes ; parcourir à pas de géant ainsi que le Soleil la vaste étendue de l'Univers ; et, ce qui est plus grand encore et plus difficile, rentrer en soi pour y étudier l'homme et connaître sa nature, ses devoirs et sa fin. »
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, Ire partie, Paris, Flammarion, 1992, p. 6.
Un texte de Kant qui définit l'émancipation comme le fait de penser par soi-même, qui est un acte qui rend l'homme fondamentalement libre :
« Il est si aisé d'être mineur ! Si j'ai un livre qui me tient lieu d'entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n'ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n'ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d'autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c'est une chose pénible, c'est ce à quoi s'emploient fort bien les tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d'exercer une haute direction de l'humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n'aient pas la permission d'oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace, si elles essaient de s'aventurer seules au dehors. Or ce danger n'est vraiment pas si grand ; car, elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher […]. »
Emmanuel Kant, « Réponse à la question : "Qu'est-ce que les Lumières ?" », Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1985, tome II, pp. 209-211.
Citations pouvant servir à la compréhension du texte et à son explication
« Ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. » René Descartes, Discours de la méthode, Ire partie, Paris, Flammarion, 1992, p. 23.
« Tout le monde se plaint de sa mémoire, mais personne ne se plaint de son jugement. » François de La Rochefoucaud, Maximes et Réflexions diverses, maxime 89, Paris, Gallimard, « Folio classique », 1976, p. 58.
« Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Telle est la devise des Lumières. » Emmanuel Kant, « Qu'est-ce que les Lumières », in Les Classiques de la philosophie, § 1 et 3, Paris, Hatier, 1999, pp. 4-5.
Procéder par étapes
Identifier les difficultés particulières du texte
La difficulté de ce texte tient au fait que Descartes n'y donne aucun exemple concret de vérité : il ne fait qu'évoquer les mathématiques et la philosophie. C'est pourquoi il faut s'efforcer de trouver des exemples pour bien saisir le sens du texte.
Problématiser le texte
Le problème posé par ce texte est celui de l'accès à la vérité. Descartes se demande ici pourquoi ce qui est appris et tenu pour vrai par le plus grand nombre n'est pas nécessairement compris. Il s'agit donc de réfléchir sur la différence entre apprendre et comprendre.
Répondre aux questions

1. Descartes soutient dans ce texte que la vérité n'est accessible qu'à celui qui exerce sa faculté de juger, c'est-à-dire son discernement rationnel, sans tenir compte de l'opinion des autres. Il importe donc au philosophe de conserver son indépendance de pensée. La recherche de vérité suppose la liberté de la pensée.
On distinguera ici deux moments dans l'argumentation :
  • dans une première partie (du début du texte jusque « à son sujet »), Descartes montre que ce n'est pas parce qu'un grand nombre de personnes tiennent une chose pour vraie que celle-ci l'est nécessairement ;
  • dans une seconde partie (de « Mais quand bien même » jusqu'à la fin du texte), l'auteur explique alors que pour comprendre une vérité et non simplement la connaître, chacun doit entreprendre un effort de réflexion.
2. 
a) La valeur de vérité d'une opinion ne se mesure pas au nombre de ceux qui l'adoptent. Pour déterminer si une opinion est vraie ou fausse, il faut la considérer de l'intérieur et examiner le contenu de ce qu'elle affirme, l'idée qu'elle véhicule. S'il est tentant de tenir pour vraisemblable ce que le plus grand nombre pense, cela n'autorise en rien à tenir cette opinion pour vraie.
b) Il ne suffit pas d'acquérir un savoir qui fait consensus pour être assuré de posséder une véritable connaissance. On peut tout à fait connaître la règle de trois et l'appliquer correctement sans pouvoir expliquer ce qui la justifie. On distinguera donc entre ce qui est appris et ce qui est compris.
3. Pour répondre à cette question, il faut saisir le problème qu'elle renferme. Ainsi, si nul ne peut découvrir la moindre vérité sans faire usage de sa faculté de juger (sa raison, son discernement), il ne s'ensuit pas que cela suffise. Car notre jugement peut nous induire en erreur. Ce n'est donc sans doute pas assez de juger par soi-même, mais l'essentiel est de procéder avec méthode. Quelle est cette méthode, ce droit chemin qui prévient les erreurs du jugement ? C'est là ce qu'il faut tenter de découvrir.
(1)Répondants : défenseurs.
(2)Quand bien même : même si.

Annexes

© 2000-2024, rue des écoles