La religion


Fiche

De l'opinion incertaine à cette conviction intime et inébranlable que l'on appelle aussi la foi, il existe divers degrés de croyance. C'est bien autour de la foi que la religion s'organise comme un système de dogmes, consolidé par des pratiques ritualisées dans le cadre d'un culte, le plus souvent assuré par une institution hiérarchisée. La religion apparaît comme un sentiment universel car, malgré la diversité de ses formes (monothéisme, polythéisme, animisme…), on en trouve des manifestations dans la majorité des civilisations. La croyance en des puissances surnaturelles – qu'elles soient ou non divines – est toujours présente, tout comme ces vérités métaphysiques qui s'imposent aux hommes parce qu'elles dépassent leur compréhension.
I. Le besoin de croire
Qu'il soit croyant, athée ou agnostique, tout homme se trouve un jour confronté aux questions existentielles qui portent sur l'origine ou le sens de sa présence en ce monde – interrogations qui, souvent, restent sans réponse. La religion vient prendre alors le relais de l'ignorance, et la croyance le relais du savoir. Néanmoins, la foi n'est pas une croyance ordinaire : elle implique un engagement de la volonté qui abandonne le doute. Kierkegaard parle ainsi d'un véritable « saut dans la foi » marqué par trois étapes. D'abord, le stade esthétique fait du plaisir le but premier. Or, l'ennui de cette vie superficielle dépourvue de sens conduit au stade éthique dans lequel l'homme se donne des obligations morales (le travail, le mariage, le respect d'autrui et de soi-même…) pour donner une cohérence à son existence. Mais, ne parvenant pas à répondre à l'angoisse du possible, c'est-à-dire de l'imprévu ou des événements malheureux, il en vient au stade religieux : il cesse de chercher un sens et s'affranchit de la rationalité pour accéder à l'espérance, qui est une entière confiance en la volonté divine.
C'est donc une forme de sécurité que semble chercher l'homme dans la religion, ce que confirme Freud pour qui « cette névrose obsessionnelle de l'humanité » n'est que la traduction d'un désir infantile inconscient : celui de la protection et de l'amour du Père. Si pour Freud il convient de s'en libérer, il concède toutefois que la foi peut constituer un appui psychologique indéniable dans les épreuves de la vie et nous rendre plus heureux. Mais pour Marx, la religion n'est qu'illusion : elle est « l'opium du peuple » opprimé par un système économique (le capitalisme) qui le contraint à vouloir échapper à la misère et à se réfugier dans la promesse d'un meilleur au-delà au lieu de se battre pour cet idéal. Elle constitue un instrument politique redoutable qui empêche le prolétariat de se révolter contre la bourgeoisie : elle est certes une source de consolation, mais surtout une cause d'aliénation.
Exercice n°1
II. Chercher la vérité : le conflit entre science et religion
La religion ne se préoccupe pas seulement du salut de l'âme ; elle se veut aussi garante des vérités métaphysiques qui concernent en outre la cosmogonie, c'est-à-dire la genèse du monde. Dès lors, il est inévitable qu'elle s'oppose à la science qui se propose de fonder une connaissance rationnelle et objective de la nature. La Renaissance est le premier théâtre de ces rapports conflictuels : Galilée, dont les observations confirment l'héliocentrisme de Copernic, se trouve poursuivi par l'Inquisition ; il est contraint de se rétracter pour éviter le bûcher. Aujourd'hui encore, malgré le progrès des sciences et la théorie du big-bang, les thèses créationnistes persistent.
Au fil du temps, religion et science n'ont eu de cesse de s'opposer. Les défenseurs de la religion estiment que la raison humaine est trop faible pour comprendre les voies impénétrables de Dieu et que toute remise en question des Écritures constitue une offense au sacré. En effet, étymologiquement, le sacré, contrairement au profane, est ce qui est séparé, hors du monde naturel, ce pourquoi il ne peut être expliqué ou rationalisé. La foi se caractérise ainsi par une entière confiance (fides), un refus de critique qui peut s'approcher du dogmatisme, un obscurantisme volontaire. C'est précisément ce que critique Spinoza : selon lui, la volonté de Dieu est « un asile de l'ignorance » pour celui qui veut des réponses sans chercher les véritables causes de la Nature. À rebours de l'irrationalité religieuse, une théorie scientifique est rationnelle car elle accepte d'être réfutée. Dans sa tentative d'explication des phénomènes, la science ne se préoccupe que du comment – non du pourquoi –, de sorte que raison et foi se complètent.
Livres religieux
Livres religieux
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III. L'existence de Dieu
Religion et philosophie ont une histoire commune dans la recherche des vérités métaphysiques. Depuis Aristote, la théologie, littéralement « science de la divinité », fait partie intégrante de la philosophie, qui concerne la connaissance des substances séparées de la matière. Il est le premier à argumenter de manière logique l'existence d'un Dieu défini comme « le premier moteur immobile », nécessaire en tant que première cause pour comprendre l'origine des mouvements dans la nature.
Le christianisme inverse ce rapport hiérarchique avec saint Anselme qui, au xie siècle, affirme que la philosophie est la servante de la théologie. La foi et l'étude des textes doivent donner matière à la réflexion. Il faut attendre le xviie siècle pour ébranler la domination religieuse. Descartes est le premier à affirmer l'autonomie de la raison par sa capacité à douter de manière radicale, sans pour autant remettre en cause l'existence de Dieu. Au contraire, reprenant en partie l'argument ontologique de saint Anselme, il démontre logiquement la nécessité de l'existence de Dieu à partir de son essence : Dieu doit exister, sinon il ne serait pas parfait et il ne serait pas Dieu.
Néanmoins, ce « Dieu des philosophes » ne saurait être confondu avec le « Dieu sensible au cœur » des croyants, précise Pascal. L'expérience religieuse suppose une conviction intime, une intuition qui ne se soucie pas des preuves ou des démonstrations. Pourtant, l'hostilité vis-à-vis des institutions ecclésiastiques grandit. Au xviiie siècle apparaît la religion naturelle : il s'agitd'un déisme, c'est-à-dire la croyance en une puissance transcendante dont la présence se manifeste dans l'harmonie des lois de la nature plus que dans les textes. Cette religion désacralisée conduit finalement à l'athéisme ; ainsi « Dieu est mort ! », selon les mots de Nietzsche.
Exercice n°2Exercice n°3Exercice n°4
Zoom sur…
Secte et religion : quelle(s) différence(s) ?
D'après son étymologie, la religio renvoie à ce qui relie : lien entre l'homme et Dieu, qui rassemble aussi les hommes entre eux. La religion est un « système de croyances et de pratiques, relatives à des choses sacrées, qui unissent en une communauté morale appelée Église tous ceux qui y adhèrent », selon Durkheim. Quelle différence cela fait-il avec une secte ?
En 1958, une commission parlementaire détermine dix critères qui caractérisent la secte, comme la manipulation mentale, les exigences financières, les troubles à l'ordre public, etc. Le nombre d'adeptes n'en fait pas partie.
Sur le plan doctrinal, Max Weber remarque que la secte s'identifie à un groupe de « salut contractuel » – contrat passé avec le maître spirituel –, alors que la religion se tourne vers un salut universel, non celui d'un groupe clos mais de l'humanité. Or, certaines communautés considérées comme des sectes se fondent également sur cette intention : c'est le cas des évangélistes, des mormons, des témoins de Jéhovah…
En revanche, sur le plan comportemental, le père Jacques Trouslard ne retient qu'un seul critère, la nocivité pour les adeptes, qui se manifeste de trois manières : le conditionnement (endoctrinement, soumission), la destruction des liens sociaux (famille, société) et l'escroquerie (intellectuelle, morale et financière). Ce n'est donc pas sur le fond de la doctrine que secte et religion se différencient, mais bien par leurs effets sur l'individu.
Le fanatisme : quand la foi tombe dans l'excès
Le fanatique est celui dont la conviction religieuse est telle qu'elle le rend incapable d'envisager ou de tolérer une autre option que la sienne. En outre, dans la définition de son Dictionnaire philosophique, Voltaire souligne que les délires prophétiques de son imagination peuvent le conduire à « tuer pour l'amour de Dieu ». On comprend pourquoi la religion peut être à l'origine de guerres et conduire au terrorisme, à l'instrumentalisation de la peur. Mais la violence du terroriste ne doit pas être confondue avec la radicalité de l'intégriste qui se réclame de « la tradition », qu'il refuse de voir évoluer. Si le terroriste est presque toujours intégriste, la réciproque ne se vérifie pas.
Ce qui définit le fanatisme, c'est d'abord la perte de contrôle de la raison qui finit par tomber dans l'idolâtrie : selon Kant, le fanatique confond dans la religion sa dimension intérieure (la foi) et sa dimension extérieure (le culte). Le culte est un moyen d'exercer et de consolider sa foi, mais ce n'est pas une fin en soi. Ainsi, le fanatique relègue sa foi au profit du culte : les croisades, l'Inquisition, les attentats concrétisent ce phénomène. Pour éviter la dérive fanatique, Kant insiste sur les limites nécessaires que la raison doit imposer aux comportements passionnels de la religion ; la religion naturelle défend ainsi des principes moraux universels libérés du culte institutionnel.
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