Les récits de voyage à l'époque des grandes découvertes


Fiche

Entre 1492 et 1522, le monde connu des Occidentaux s'agrandit. « Notre monde vient d'en trouver un autre », écrit Montaigne. Navigateurs et explorateurs rendent compte de leurs découvertes. L'imprimerie permet de faire connaître ces récits qui passionnent les contemporains.
Quels sont-ils ? Que nous apprennent ces récits de voyage ?
I. Un peu d'histoire
1. La découverte de l'Amérique
• Au XVe siècle, les progrès de la navigation d'une part (perfectionnement de la voilure et du gouvernail des bateaux, amélioration des instruments de mesure), l'expansion de l'islam (en 1453, Constantinople tombe aux mains des Turcs) et les besoins économiques (demande d'or et d'épices) incitent à chercher de nouvelles voies maritimes pour commercer avec l'Inde et la Chine. Cependant, le continent que les navigateurs atteignent en faisant route vers l'ouest n'est pas celui qu'ils croient… La découverte de l'Amérique bouleverse non seulement la géographie, mais aussi les esprits.
2. Les grands découvreurs
• Voici quelques repères :
— en 1492, Christophe Colomb aborde ce qu'il pense être la côte est de la Chine, en fait le Nouveau Monde ;
— en 1498, Vasco de Gama double le Cap de Bonne Espérance, ouvrant ainsi une nouvelle route des Indes ;
— en 1522, Magellan entreprend le premier voyage autour du monde ;
— en 1534, Jacques Cartier découvre le Canada.
3. Les récits de voyage
• À leur retour, les navigateurs rendent compte de l'expédition à leurs commanditaires : ils montrent ainsi des oiseaux, des fruits, des plantes, des objets… Parfois même, des indigènes. Toujours, ils reviennent avec un récit de leur voyage, enrichi de cartes et de dessins. Ainsi le Journal de bord de Christophe Colomb, consigné chaque jour, donne des renseignements sur la route suivie, les courants marins et les vents, le comportement de l'équipage, les îles découvertes.
• Très vite, l'imprimerie contribua à diffuser ces récits à travers l'Europe, suscitant un intense mouvement de curiosité, au point qu'une première collection de récits de voyage a été créée à Venise en 1550.
II. Caractéristiques générales
1. Le genre
• Ces récits de voyage s'adressent au roi ou à un grand personnage. « Vos Altesses décideront ce que l'on doit y faire et me le feront savoir, ce qui sera accompli avec l'aide de la Sainte Trinité, en toute diligence, et en sorte que Vos Altesses soient bien servies et satisfaites. » (Christophe Colomb, Lettre aux Rois catholiques sur le troisième voyage en Inde, 1498)
Ce sont des comptes rendus de mission, dont le mérite revient aux commanditaires : « C'est donc ainsi que Notre Rédempteur a donné cette victoire à nos très illustres Roi et Reine… » (Christophe Colomb, Lettre à Luis de Santangel, 1493)
• Le découvreur entend également faire œuvre scientifique : « j'ai le dessein de faire une nouvelle carte marine sur laquelle je situerai toute la mer et toutes les terres de la mer Océane, dans leurs propres positions, sous leur vent, et de composer en outre un livre, et d'y mettre tout fidèlement peint par latitude équinoxiale et longitude occidentale. » (Christophe Colomb, Journal de bord)
• Il veut enfin que son récit plaise au lecteur. Celui-ci appartient donc à un genre intermédiaire entre témoignage et récit littéraire.
2. Le narrateur
• En général, le narrateur est le chef de l'expédition, qui rend compte de sa mission et de son expérience personnelle. Il dit je ou nous (quand il parle au nom de l'équipage). Toutefois, dans son Journal de bord, Christophe Colomb parle souvent de lui-même à la troisième personne, se désignant par son titre : « L'Amiral se vit ici en grand embarras… »
Parfois, la rédaction est confiée à un « scribe », un secrétaire, membre de l'équipage : Pêro Vaz de Caminha, dans la Lettre de la découverte du Brésil (1500).
• Le narrateur s'attache à donner des garanties de vérité. « Que votre Altesse cependant daigne considérer ma bonne volonté plutôt que mon ignorance, et qu'elle soit assurée que loin d'exagérer le beau ou le laid, je ne rapporterai ici que ce que j'ai vu et qui m'est apparu. » (Pêro Vaz de Caminha)
III. La description de pays inconnus
1. La précision géographique
• Le narrateur s'applique à décrire avec précision les régions découvertes :
le relief ; « Et il me paraît bien que cette côte s'étend sur plus de vingt-huit lieues de longueur ; et elle est très plate, sans aucune montagne. »
la faune et la flore ; « Il y a force loirs, castors, lapins, écureuils, rats, lesquels sont d'une grosseur surprenante, et autres sauvagines » ; « Et quand nous fûmes sur l'île, nous la trouvâmes pleine de fort beaux arbres, tels que chênes, ormes, pins, cèdres et autres bois de la sorte des nôtres. » (Jacques Cartier, Voyages au Canada)
les habitations ; « Il y a dans cette ville environ cinquante maisons, longues d'environ cinquante pas ou plus, et larges de douze ou quinze pas, toutes faites de bois, couvertes et garnies de grandes écorces et pelures dudit bois… » (Jacques Cartier, op. cit)
les usages et les objets domestiques. « […] ils en font de la pâte, et en font des tourteaux, qu'ils mettent sur une pierre large, qui est chaude. » (Jacques Cartier, op. cit)
2. Les comparaisons
• Pour rendre compte de la nouveauté, le voyageur rapproche l'inconnu du connu et fait référence à son propre univers culturel. « Il y avait grande quantité de palmiers, d'autres sortes que les nôtres et que ceux de Guinée […] L'herbe était aussi haute qu'en Andalousie aux mois d'avril et de mai. » (Christophe Colomb, Journal de bord) . Les morses « sont comme de grands bœufs, qui ont deux dents dans la gueule, comme chez l'éléphant. » (Jacques Cartier, op. cit)
• C'est aussi par référence à sa société et à sa religion que le voyageur porte des jugements sur la civilisation qu'il découvre. Pour lui, ces références ont une valeur universelle et il ne doute pas de sa supériorité : on qualifie ce point de vue d'ethnocentrique. « Ces gens-là se peuvent appeler sauvages, car ce sont les plus pauvres gens qui puissent être au monde. Car tous ensemble ils n'avaient pas la valeur de cinq sous, leurs barques et leurs filets de pêche exceptés. » (Jacques Cartier, op. cit)
« Ce peuple n'a aucune croyance en Dieu qui vaille ; car ils croient en un dieu qu'ils appellent Cudouagny ; et ils disent qu'il leur parle souvent, et leur dit le temps qu'il doit faire […] nous leur avons montré leur erreur, et dit que leur Cudouagny est un mauvais esprit, qui les abuse. » (Jacques Cartier, op. cit)
3. Les portraits
• Nombreux, ils prennent généralement l'homme blanc pour référence : « les hommes et les femmes sont de belle stature et leur peau n'est pas noire. […] Ils avaient vu deux jeunes filles aussi blanches que l'on peut l'être en Espagne. » (Christophe Colomb)
Ce qui surprend le plus les voyageurs, c'est la nudité des indigènes : « Ils vont nus, tels que leur mère les enfanta, les femmes comme les hommes. » (Christophe Colomb)
Christophe Colomb, comme Jacques Cartier, souligne la générosité des « sauvages », la chaleur de leur accueil : « Et ils donnaient tout ce qu'on leur demandait sans rien vouloir en échange ».
4. L'émerveillement
• Il se manifeste, surtout chez Christophe Colomb, par la fréquence des adjectifs mélioratifs : « superbes montagnes », « chose merveilleuse « ; des superlatifs : « les meilleures et les plus belles terres du monde ».
Christophe Colomb essaie de communiquer son admiration à ses lecteurs : « Finalement, il dit que si celui qui voit ces choses reste en si grande admiration, que sera-ce pour celui qui l'entendra ? Personne ne le pourra croire ne l'ayant pas vu ».
IV. Le récit d'une conquête
Ces voyageurs ne sont pas de simples touristes, venus contempler de nouveaux mondes, ni même des ethnologues venus s'instruire. Leur mission est de tirer avantage de leur expédition, pour le compte de leur commanditaire.
1. De nouveaux territoires
• Les voyageurs baptisent les lieux où ils passent et dont ils prennent ainsi possession symboliquement. Ces noms se réfèrent à leur pays d'origine (Hispaniola, Brest, etc.), à ceux qui les gouvernent (l'île Isabelle), à la chrétienté (mer de Notre Dame, baie de Saint Laurent) ; parfois même, ils expriment un sentiment : « Le cap de ladite terre du sud fut nommé cap d'Espérance à cause de l'espoir que nous avions d'y trouver un passage. » (Jacques Cartier, op. cit)
• En plantant drapeau ou croix, les voyageurs marquent les nouveaux territoires : « nous fîmes faire une croix de trente pieds de haut […] et au-dessus, un écriteau en bois […] où il y avait Vive le roi de France. Et nous plantâmes cette croix sur ladite pointe devant eux, qui regardaient la faire et la planter. » (Jacques Cartier, op. cit)
2. L'exploitation des nouvelles terres
• Les conquérants supputent l'exploitation qu'on pourra faire des nouvelles terres : « L'Hispaniola est une merveille : les sierras et les montagnes, les plaines et les vallées, les terres si belles et grasses, bonnes pour planter et semer, pour l'élevage des troupeaux de toutes sortes, pour édifier des villes et des villages. » C'est « le lieu le plus convenable, le plus proche des mines d'or et le meilleur pour tout trafic. » (Christophe Colomb, Lettre à Luis de Santangel)
Les Indiens sont « propres à être commandés et à ce qu'on les fasse travailler, semer et mener tous autres travaux qui seraient nécessaires, à ce qu'on leur fasse bâtir des villes, à ce qu'on leur enseigne à aller vêtus et à prendre nos coutumes. » (Christophe Colomb, Journal de bord)
3. Les liens avec les autochtones
• Les récits contant les premiers contacts avec les autochtones sont très nombreux et particulièrement intéressants. De part et d'autre, sont entrepris des manœuvres d'approche, des efforts pour communiquer, d'abord par gestes, puis à l'aide de la langue de l'autre. Chacun pénètre sur le territoire de l'autre : les Indiens sur les bateaux, les navigateurs dans les villages et les maisons.
Ces premiers échanges conduisent soit à des relations plus suivies, soit à des conflits, qui tiennent souvent à des malentendus culturels.
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