Texte de Simone de Beauvoir, analyse de l'image (sujet 2025)


Énoncé

A – Texte littéraire
«  Dans toute mon existence, je n'ai connu aucun instant que je puisse qualifier de décisif ; mais certains se sont rétrospectivement chargés d'un sens si lourd qu'ils émergent de mon passé avec l'éclat des grands événements. Je me rappelle mon arrivée à Marseille comme si elle avait marqué dans mon histoire un tournant absolument neuf.
J'avais laissé ma valise à la consigne(1) et je m'immobilisai en haut du grand escalier. « Marseille », me dis-je. Sous le ciel bleu, des tuiles ensoleillées, des trous d'ombre, des platanes couleur d'automne ; au loin des collines et le bleu de la mer ; une rumeur montait de la ville avec une odeur d'herbes brûlées et des gens allaient, venaient au creux des rues noires. Marseille. J'étais là, seule, les mains vides, séparée de mon passé et de tout ce que j'aimais , et je regardais la grande cité inconnue où j'allais sans secours tailler au jour le jour ma vie. Jusqu'alors, j'avais dépendu étroitement d'autrui ; on m'avait imposé des cadres et des buts  ; et puis, un grand bonheur m'avait été donné. Ici, je n'existais pour personne ; quelque part, sous un de ces toits, j'aurais à faire quatorze heures de cours chaque semaine : rien d'autre n'était prévu pour moi, pas même le lit où je dormirais ; mes occupations, mes habitudes, mes plaisirs, c'était à moi de les inventer. Je me mis à descendre l'escalier ; je m'arrêtais à chaque marche, émue par ces maisons, ces arbres, ces eaux, ces rochers, ces trottoirs qui peu à peu allaient se révéler à moi et me révéler à moi-même.
Sur l'avenue de la gare, à droite, à gauche, il y avait des restaurants aux terrasses abritées par de hautes verrières. Contre une des vitres, j'aperçus un écriteau : « Chambre à louer ». Ce n'était pas une chambre selon mon cœr : un lit volumineux, des chaises et une armoire ; mais je pensai que la grande table serait commode pour travailler, et lapatronne me proposait un prix de pension qui me convenait. J'allai chercher ma valise, et je la déposai au Restaurant de l'Amirauté. Deux heures plus tard, j'avais rendu visite à la directrice du lycée, mon emploi du temps était fixé  ; sans connaître Marseille, déjà j'y habitais. Je partis à sa découverte.
J'eus le coup de foudre. Je grimpai sur toutes ses rocailles, je rôdai dans toutes ses ruelles, je respirai le goudron et les oursins du Vieux-Port, je me mêlai aux foules de la Canebière(2), je m'assis dans des allées, dans des jardins, sur des cours paisibles où la provinciale odeur des feuilles mortes étouffait celle du vent marin.  »
Simone de Beauvoir, La Force de l'âge, 1960

B – Image
Texte de Simone de Beauvoir, analyse de l'image (sujet 2025) - illustration 1
La Robe rose, Frédéric Bazille, 1864, Musée d’Orsay, Paris
I. Compréhension et compétences d'interprétation (32 points)
1. Que vient faire la narratrice à Marseille ? Justifiez votre réponse par deux citations du texte. (4 points)
Quel est l'objectif précis de la narratrice dans cette nouvelle ville ? Cherchez le champ lexical de l'école. Quel âge a la narratrice ? Va-t-elle se trouver à la place d'élève ou à celle d'enseignante ?
2.  « Dans toute mon… » à « tournant absolument neuf. » :
À quoi voit-on dans ce passage que la narratrice vit un moment important de sa vie ? Deux éléments de réponse justifiés par des citations du texte sont attendus. (4 points)
Pourquoi la narratrice choisit-elle de raconter, des années plus tard, cet épisode en particulier ? Comment comprend-on l'importance de ce souvenir ? Appuyez-vous particulièrement sur le premier paragraphe du texte, sur le champ lexical du souvenir, sur les superlatifs. Donnez deux éléments de réponse, justifiés par une citation.
3.  « J'avais laissé ma… » à « révéler à moi-même. » :
Qu'est-ce qui permet de dire qu'une vie nouvelle commence pour elle ? Trois éléments de réponse justifiés, chacun, par une citation du texte sont attendus. (6 points)
En quoi cette arrivée à Marseille bouleverse-t-elle ce que la narratrice a connu jusqu'alors, professionnellement, familialement, personnellement ? En quoi cette arrivée est-elle à la fois effrayante et excitante ?
4. Comment l'émerveillement de la narratrice pour la ville de Marseille se manifeste-t-il ? Deux éléments de réponse sont attendus. Chacun d'eux s'appuiera sur l'identification précise et l'analyse d'un procédé d'écriture. (6 points)
Repérez les figures de style qui permettent à la narratrice d'insister sur la description et la fascination que la découverte de Marseille lui procure. Observez la construction et l'enchaînement des phrases. Comment la ville est-elle considérée ? Comment est-elle rendue vibrante, vivante ? De quelle manière sollicite-t-elle les sens (vue, odorat, etc.) ?
5. Quels traits de caractère attribuez-vous à la narratrice à la lecture de ce texte ? Trois éléments de réponse justifiés chacun par une citation sont attendus. (6 points)
6. Image
D'après vous, ce tableau pourrait-il illustrer le texte ? Vous développerez votre réponse en vous appuyant sur trois arguments. Chacun devra être justifié en vous référant au texte et à l'image. (6 points)
Comparez les personnages en tenant compte de leur âge apparent, de leur posture et de leur attitude ( « Je me rappelle… » à « jour ma vie. »). Analysez également le type de lieu représenté dans le tableau et décrit dans le texte, ainsi que l'atmosphère qui s'en dégage ( « J'avais laissé ma… » et suivantes).
II. Grammaire et compétences linguistiques (18 points)
7. 
« J'étais là, seule les mains vides, séparée de mon passé et de tout ce que j'aimais » ( « J'étais là, seule,… »- « , et je… »)
a) Quelle est la classe (ou nature) grammaticale du mot souligné ? (1 point)
b) Justifiez la terminaison de ce mot. (1 point)
8. 
« j'avais rendu visite à la directrice du lycée, mon emploi du temps était fixé »
a) Recopiez le passage ci-dessus puis placez entre crochets les différentes propositions et précisez la classe (ou nature) grammaticale de chacune. (2 points)
b) Comment sont-elles reliées ? Comment qualifie-t-on ce lien ? (1 point)
Une proposition est un groupe de mots organisé autour d'un verbe conjugué. Lorsqu'elle ne dépend d'aucune autre proposition, on parle de proposition indépendante. Pour rappel, les propositions indépendantes peuvent être juxtaposées (séparées par une ponctuation) ou coordonnées (reliées par une conjonction de coordination).
9. 
« je m'immobilisai en haut du grand escalier. » ( « J'avais laissé ma… »)
a) Identifiez et nommez les trois éléments qui composent le mot souligné. (1,5 point)
b) Expliquez le sens de ce verbe puis trouvez un mot de la même famille. (1,5 point)
10. Réécrivez le passage suivant en remplaçant « je » par « nous », « nous » désignant la narratrice et une amie. (10 points)
« J'étais là, seule, les mains vides, séparée de mon passé et de tout ce que j'aimais, et je regardais la grande cité inconnue où j'allais sans secours tailler au jour le jour ma vie. Jusqu'alors, j'avais dépendu étroitement d'autrui ; on m'avait imposé des cadres et des buts ». ( « J'étais là, seule,… » à « et des buts »)
La réécriture vous demande de procéder à un passage du sujet du singulier au pluriel. Attention à l'accord des verbes à l'imparfait avec un sujet au pluriel ! Attention également à l'accord des participes passés : « séparée », « dépendu », « imposé » : l'auxiliaire est-il être ou avoir ?
Veillez à accorder l'adjectif « seule ». Enfin, la transposition de certains déterminants et pronoms sera nécessaire.
Dictée (10 points)
« Jamais je ne m'ennuyais : Marseille ne s'épuisait pas. Je suivais la jetée battue par l'eau et le vent, je regardais les pêcheurs, debout entre les blocs de pierre où se brisaient les lames ; je me perdais dans la tristesse des docks. Dans les vieux escaliers et les vieilles ruelles, sur les marchés aux poissons, une vie toujours neuve me remplissait les yeux et les oreilles.
J'étais contente de moi ; au jour le jour, je construisais sans secours mon bonheur. Il y avait des fins d'après-midi un peu mélancoliques, quand, au sortir du lycée, je revenais, à travers le crépuscule, vers ma chambre où rien ne m'attendait : mais je trouvais de la douceur à cette nostalgie que je n'avais jamais connue dans le brouhaha de Paris. »
D'après Simone de Beauvoir, La Force de l'âge, 1960.

Rédaction (40 points)
Vous traiterez à votre choix l'un des sujets suivants :
Sujet d'imagination
Quelque temps plus tard, la narratrice écrit une lettre à ses parents dans laquelle elle raconte les jours qui ont suivi son arrivée dans la ville.
Vous décrirez les expériences vécues, les lieux explorés, les personnes rencontrées et exprimerez les impressions que lui procurent ces découvertes.
Sujet de réflexion
Pensez-vous que la littérature et les arts en général permettent aux lecteurs et aux spectateurs de découvrir des lieux, réels ou fictifs, comme s'ils y étaient ?
Vous présenterez votre réflexion dans un développement argumenté et organisé. Vous illustrerez votre propos à l'aide d'exemples issus de vos lectures et de votre culture artistique personnelle (cinéma, peinture, bande dessinée…).
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots-clés : « la littérature et les arts », « lecteurs et spectateurs », « découvrir des lieux réels ou fictifs », « comme s'ils y étaient ». On vous demande de trouver les raisons qui poussent quelqu'un à créer une œuvre autobiographique.
Étape 2. Repérez la forme du texte à produire : « Vous présenterez votre réflexion dans un développement argumenté ». Il faut donc respecter :
\bullet le genre argumentatif : le développement organisé, la progression des arguments et des exemples (puisés dans « issus de vos lectures et de votre culture artistique personnelle ») ;
\bullet le temps de l'argumentation : le présent et les temps qui s'articulent avec lui ;
\bullet la composition en parties et paragraphes.
Étape 3. Vous devez développer un plan dialectique puisque deux thèses se confrontent : oui, la littérature et les arts permettent aux lecteurs et aux spectateurs de découvrir des lieux, réels ou fictifs, comme s'ils y étaient… mais cette découverte a des limites.
Étape 4. Interrogez-vous pour trouver des arguments et des exemples. Quelles œuvres représentant des lieux connaissez-vous, étudiées en classe ou issues de votre culture (livres, films, tableaux…) ?
Étape 5. Établissez le plan de votre devoir.
L'introduction introduit le thème et expose le problème.
Pour chacune des grandes parties, il faudra trouver au moins deux arguments et les expliciter à l'aide d'un exemple. Il faudra veiller à utiliser :
  • le présent ;
  • le retour à la ligne pour matérialiser les paragraphes ;
  • des connecteurs logiques (tout d'abord, ensuite, enfin, toutefois, pourtant, or, etc.) ;
  • un saut de ligne après l'introduction et avant la conclusion.
La conclusion fait un bilan sur le sujet.
Étape 6. Une fois votre plan clairement établi au brouillon, rédigez votre texte, puis relisez-vous et corrigez d'éventuelles erreurs de ponctuation, d'orthographe. Pensez à utiliser le dictionnaire.
(1)Endroit où l’on peut déposer ses bagages.
(2)Avenue célèbre dans le centre historique de Marseille.

Annexes

© 2000-2025, Miscellane