Texte de Jean Giono, analyse de l'image (sujet 2017)


Énoncé

Texte
Giono a décidé de vivre à la campagne, au plus près de la nature. Néanmoins, il va parfois à Paris. Il évoque ici son expérience de la ville.
« Quand le soir vient, je monte du côté de Belleville(1). À l'angle de la rue de Belleville et de la rue déserte, blême et tordue, dans laquelle se trouve La Bellevilloise(2), je connais un petit restaurant où je prends mon repas du soir. Je vais à pied. Je me sens tout dépaysé par la dureté du trottoir et le balancement des hanches qu'il faut avoir pour éviter ceux qui vous frôlent. Je marche vite et je dépasse les gens qui vont dans ma direction ; mais quand je les ai dépassés, je ne sais plus que faire, ni pourquoi je les ai dépassés, car c'est exactement la même foule, la même gêne, les mêmes gens toujours à dépasser sans jamais trouver devant moi d'espaces libres. Alors, je romps mon pas et je reste nonchalant(3) dans la foule. Mais ce qui vient d'elle à moi n'est pas sympathique. Je suis en présence d'une anonyme création des forces déséquilibrées de l'homme. Cette foule n'est emportée par rien d'unanime. Elle est un conglomérat de mille soucis, de peines, de joies, de fatigues, de désirs extrêmement personnels. Ce n'est pas un corps organisé, c'est un entassement, il ne peut y avoir aucune amitié entre elle, collective, et moi. Il ne peut y avoir d'amitié qu'entre des parties d'elle-même et moi, des morceaux de cette foule, des hommes ou des femmes. Mais alors, j'ai avantage à les rencontrer seuls et cette foule est là seulement pour me gêner. Le premier geste qu'on aurait si on rencontrait un ami serait de le tirer de là jusqu'à la rive, jusqu'à la terrasse du café, l'encoignure de la porte, pour avoir enfin la joie de véritablement le rencontrer.
[…]
De tous ces gens-là qui m'entourent, m'emportent, me heurtent et me poussent, de cette foule parisienne qui coule, me contenant sur les trottoirs devant La Samaritaine(4), combien seraient capables de recommencer les gestes essentiels de la vie s'ils se trouvaient demain à l'aube dans un monde nu ?
Qui saurait orienter son foyer en plein air et faire du feu ?
Qui saurait reconnaître et trier parmi les plantes vénéneuses les nourricières comme l'épinard sauvage, la carotte sauvage, le navet des montagnes, le chou des pâturages ?
Qui saurait écorcher un chevreau ? Qui saurait tanner la peau ?
Qui saurait vivre ?
Ah ! c'est maintenant que le mot désigne enfin la chose ! Je vois ce qu'ils savent faire : ils savent prendre l'autobus et le métro. Ils savent arrêter un taxi, traverser une rue, commander un garçon de café ; ils le font là tout autour de moi avec une aisance qui me déconcerte et m'effraie. »
Jean Giono, Les Vraies Richesses, 1936.

Image
À partir du sujet national, juin 2017 - illustration 1
Jean-Pierre Stora, Allées piétonnières, 1995, lavis encre de Chine, 64 × 50.
Travail sur le texte littéraire et sur l'image
Les réponses aux questions doivent être entièrement rédigées.
Le thème du texte renvoie au programme de géographie « Les aires urbaines françaises », comme l'indique le sujet d'histoire-géographie, éducation morale et civique, sur lequel vous avez travaillé lors de cette session 2017. L'essor des zones urbaines et périurbaines constitue donc un objet d'interrogations, une problématique incontournable.
Grammaire et compétences linguistiques
1. En vous appuyant sur le premier paragraphe, expliquez la formule du narrateur « Je me sens tout dépaysé ».
Relisez l'introduction du texte : identifiez les deux lieux évoqués, les rapports que le narrateur établit entre eux. Définissez clairement le sens de « dépaysé » en analysant la formation du mot.
2. 
a) Quel est ici le sens du mot « entassement » ? Trouvez un synonyme de ce nom dans les lignes qui précèdent.
Analysez la formation de « entassement » et définissez son sens en vous appuyant sur la racine du mot. Observez aussi l'image de Jean-Pierre Stora, l'impression qu'elle produit. Relisez « Je marche vite et je dépasse les gens » à « des morceaux de cette foule, des hommes ou des femmes ». Quel nom exprime la même idée qu'« entassement » ?
b) « Elle est… personnels. » : quel est le procédé d'écriture utilisé dans cette phrase ?
Un procédé d'écriture est souvent une figure de style. Comment le narrateur exprime-t-il l'idée d'entassement ? Observez la construction de la phrase, sa ponctuation interne.
3. 
« je connais un petit restaurant où je prends mon repas du soir. Je vais à pied. Je me sens tout dépaysé par la dureté du trottoir et le balancement des hanches qu'il faut avoir pour éviter ceux qui vous frôlent. »
Réécrivez le passage ci-dessus en remplaçant « je » par « nous » et en mettant les verbes conjugués à l'imparfait.
Effectuez les transformations :
  • de personnes : remplacez « je » par « nous », ainsi que le pronom personnel complément « me » ; modifiez également le déterminant possessif « mon » ;
  • de temps : conjuguez les verbes à l'imparfait ; plusieurs verbes changent de base en passant à l'imparfait et à la 1re personne du pluriel (Exemple : je viens / nous venions) ; deux verbes, qui n'ont pas pour sujet « je », doivent aussi se mettre à l'imparfait ;
  • d'accord pour un adjectif, attribut du sujet « je ».
Attention ! Le pronom personnel « vous » est complément d'objet direct de « frôlent », et surtout pas son sujet.
Compréhension et compétences d'interprétation
1. En vous appuyant sur la question 2 de la partie grammaire, expliquez comment le narrateur perçoit la foule.
Relisez de « Je me sens tout dépaysé » à « la joie de véritablement le rencontrer. » Interrogez-vous : le lexique dominant est-il positif ou négatif, valorisant ou dévalorisant quand le narrateur exprime ses sensations, ses impressions lors de cette expérience de la ville ? Relevez ce champ lexical et précisez la perception qu'il a de cette foule.
2. 
De « Qui saurait écorcher un chevreau » ? à « Qui saurait vivre » ?:
a) Quelles remarques pouvez-vous faire sur la disposition et les procédés d'écriture dans ce passage ? Trois remarques au moins sont attendues.
Observez la mise page de ce passage. Identifiez le type de phrase dominant (déclaratif, injonctif, interrogatif, exclamatif). Comment ces phrases sont-elles construites ? Précisez les figures de style (procédés d'écriture) correspondant aux choix opérés par le narrateur. Vous devez en proposer trois au minimum.
b) Quel est, selon vous, l'effet recherché par le narrateur dans ce passage ? Développez votre réponse.
Comparez ces deux lignes aux lignes allant de « combien seraient capables de recommencer » à « le chou des pâturages » et au dernier paragraphe. La question est ouverte et fait appel à votre capacité à interpréter l'effet produit par les différents procédés d'écriture que vous avez identifiés et analysés. Interrogez-vous : s'agit-il simplement d'opposer deux espaces ? À quelle réflexion plus profonde le narrateur se livre-t-il selon vous ?
3. Dans le dernier paragraphe, pourquoi le narrateur est-il déconcerté et effrayé ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur le texte.
Définition de « déconcerté » : troublé, perplexe, désorienté, surpris. Cette question vise à faire un premier bilan. Interrogez-vous : qu'y a-t-il d'effrayant et de déconcertant selon lui dans la vie urbaine moderne ? Faites éventuellement appel à votre propre expérience, selon que vous habitez à la campagne ou dans une ville, petite, moyenne ou grande.
4. Ce texte est extrait d'un livre intitulé Les Vraies Richesses. Quelles sont, selon vous, les « vraies richesses » auxquelles pense l'auteur ? Rédigez une réponse construite et argumentée.
Rappel : « richesse », au singulier et au pluriel, a de multiples sens. Interrogez-vous : ces richesses sont-elles matérielles (argent, biens de consommation, objets précieux…), économiques (ressources naturelles, productions…) ou morales, spirituelles, culturelles ? Pourquoi associer « vraies » à « richesses » ? Existe-t-il de fausses richesses ? Précisez votre pensée en apportant plusieurs arguments, en vous appuyant sur vos réponses aux questions précédentes.
5. Que ressentez-vous en regardant l'œuvre de Jean-Pierre Stora (image) ? Expliquez votre réponse.
Que représente cette image ? Pourquoi, selon vous, accompagne-t-elle le texte de Jean Giono ? Observez la composition de cette image : lignes, décor, personnages, couleurs, mouvement, variété, lumière, etc. Exprimez et expliquez ce que vous ressentez face à cette image.
6. Cette œuvre (image) peut-elle illustrer la manière dont le narrateur perçoit la foule dans le texte de Jean Giono ? Développez votre réponse.
Dans la question précédente, vous avez vu pourquoi cette image était associée au texte littéraire. Interrogez-vous : le peintre et l'écrivain ont-ils les mêmes sentiments ou sensations face à la foule, à la ville ? Quelles caractéristiques de la vie urbaine moderne, de la foule expriment-ils ? Leur vision est-elle positive ou négative ?
Dictée
De temps en temps, je m'arrête, je tourne la tête et je regarde vers le bas de la rue où Paris s'entasse : des foyers éclatants et des taches de ténèbres piquetées de points d'or. Des flammes blanches ou rouges flambent d'en bas comme d'une vallée nocturne où s'est arrêtée la caravane des nomades. Et le bruit : bruit de fleuve ou de foule. Mais les flammes sont fausses et froides comme celles de l'enfer. En bas, dans un de ces parages sombres est ma rue du Dragon, mon hôtel du Dragon. Quel ordre sournois, le soir déjà lointain de ma première arrivée, m'a fait mystérieusement choisir cette rue, cet hôtel au nom dévorant et enflammé ?
Il me serait facile, d'ici, d'imaginer le monstre aux écailles de feu.
Jean Giono, Les Vraies Richesses, 1936.
Rédaction
Vous traiterez au choix l'un des deux sujets.
Votre rédaction sera d'une longueur minimale d'une soixantaine de lignes (300 mots environ).
Sujet de réflexion
Pensez-vous comme Jean Giono que la ville soit un lieu hostile ?
Vous proposerez une réflexion organisée et argumentée en vous appuyant sur vos lectures et vos connaissances personnelles.
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet et soulignez les mots-clés qui évoquent le thème du texte à écrire : « la ville », « milieu hostile ». Le thème général est « la ville », comme dans le sujet de géographie (exercice 1).
Étape 2. Repérez la forme du texte à écrire : « une réflexion », « organisée et argumentée ».
Il faut donc :
  • écrire un développement qui rende compte de votre réflexion sur la question posée : la ville est-elle un milieu hostile ? (thèse de Jean Giono) ;
  • développer des arguments en faveur de la thèse de Giono : la ville est un milieu hostile (partie 1) ;
  • développer des arguments en faveur de la thèse opposée : la ville n'est pas un milieu hostile, elle est aussi hospitalière (partie 2) ;
  • respecter la composition d'un développement organisé : introduction dans laquelle on annonce le thème et le problème, développement en paragraphes (correspondant chacun à une idée), conclusion (précisant votre réponse à la question posée) ;
  • rédiger un texte « d'une longueur minimale d'une soixantaine de lignes (300 mots environ) ».
Étape 3. Trouvez des arguments et des exemples : quels sont les dangers, les inconvénients de la ville (grandeur, gigantisme, absence de nature, bruit, pollution, anonymat, difficultés de logement et de transport, etc.) ? Quels sont les avantages de la campagne, milieu plus hospitalier (calme, nature, connaissance des gens, etc.) ? Quels sont les avantages de la ville par rapport à la campagne (facilité de transport, offre culturelle, établissements scolaires, structures de loisir, commerces, etc.) ? Cherchez des exemples de livres, de films ou de séries qui montrent l'hostilité de la ville ou au contraire son hospitalité. Pensez aussi à vos cours de géographie sur les aires urbaines françaises.
Étape 4. Établissez le plan général du devoir.
L'introduction expose le problème et introduit le thème. Le plus souvent, on rédige l'introduction au présent. Vous pouvez utiliser le document de l'exercice 1 du sujet de géographie : Évolutions de la France urbaine, D'après Magali Reghezza-Zitt, « La France, une géographie en mouvement », La Documentation photographique, n° 8096, 2013.
Le développement de l'argumentation : deux parties (la ville est un milieu hostile ; la ville peut être hospitalière). Pour chacune des parties, il faudra trouver au moins deux arguments différents et expliciter chacun à l'aide d'un exemple. Tout comme dans l'introduction, le temps utilisé sera le présent. Il faudra veiller à utiliser :
  • des modalisateurs de la certitude (il est évident, il est certain, assurément, incontestablement…) ;
  • des connecteurs logiques (en premier lieu, de plus, ensuite, enfin, en effet, dès lors, de fait, par conséquent, donc…) ;
  • des phrases de type exclamatif et des questions rhétoriques pour souligner votre désir de convaincre, des hyperboles pour souligner votre ferveur à prendre parti.
La conclusion dresse un bilan sur le sujet et insiste par exemple sur la difficulté à apporter une réponse claire et nette…
Étape 5. Relisez votre texte et vérifiez la correction de la langue (ponctuation, orthographe, syntaxe, vocabulaire).
Sujet d'imagination
Vous vous sentez vous aussi « dépaysé(e) » en arrivant dans une ville. Racontez cette expérience. Vous décrivez les lieux que vous découvrez, vous évoquez vos impressions et vos émotions.
Étape 1. Lisez attentivement le sujet et soulignez les mots-clés qui évoquent le thème du texte à écrire : « vous vous sentez dépays é(e) en arrivant dans une ville ». Attention ! Comme Giono, vous devez vous sentir dépaysé(e) en arrivant dans une ville.
Étape 2. Repérez la forme du texte à écrire : « racontez cette expérience », « vous décrivez les lieux » et « vous évoquez vos impressions et vos émotions ».
Il faut donc :
  • écrire un récit entrecoupé de descriptions, dans lesquelles vous exprimez vos impressions et vos émotions face à ce milieu nouveau, inconnu ;
  • raconter et décrire à la 1re personne ; employer le lexique de l'architecture urbaine ;
  • employer un système de temps cohérent : imparfait et passé simple ou présent (comme Giono) ;
  • employer le lexique des sensations (visuelles, auditives, olfactives, tactiles) et des sentiments exprimant le dépaysement (étrangeté, trouble, malaise, répulsion, etc.) ;
  • employer des procédés d'écriture exprimant votre subjectivité, votre point de vue : lexique négatif, phrases exclamatives ou interrogatives, énumération et accumulation, images (comparaison, métaphore), hyperbole (exagération des réactions), ponctuation expressive (virgules, points de suspension), etc. ;
  • écrire un texte « d'une longueur minimale d'une soixantaine de lignes (300 mots environ) ».
Étape 3. Trouvez des idées : dans quelles circonstances vous êtes-vous retrouvé(e) dans cette ville ? Quels lieux décrire (rues, trottoirs, magasins, immeubles, métro, etc.) ? Quelles personnes rencontrées (passants, vendeurs ambulants, touristes, automobilistes, cyclistes, etc.) ? Quel rythme de vie (agitation, bruit, bousculade, etc.) ? Mobilisez un lexique spécialisé : architecture de la ville (forme, taille, couleurs), sensations (vue, ouïe, odorat, toucher).
Étape 4. Établissez le plan général du devoir :
  • l'arrivée dans la ville : circonstances de cette arrivée ;
  • la découverte du milieu urbain : déambulation libre, marche vers un lieu précis, description des lieux et des personnes ; dépaysement : sensations et émotions ;
  • bilan de cette découverte « dépaysante ».
Étape 5. Relisez votre texte et vérifiez la correction de la langue (ponctuation du dialogue, orthographe, syntaxe, notamment).
(1)Belleville : quartier parisien dans l'est de la ville.
(2)La Bellevilloise : coopérative ouvrière qui permettait aux ouvriers d'acheter des produits de consommation moins cher. C'est aussi en 1936 un lieu culturel très connu.
(3)Nonchalant : lent et indifférent.
(4)La Samaritaine : grand magasin parisien, fondé en 1870.

Annexes

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