Comment devenons-nous des acteurs sociaux ?


Fiche

Toutes les sociétés organisent l'intégration de leurs nouveaux membres à travers un processus d'apprentissage et d'adaptation aux règles de vie considérées comme normales. Ce processus de socialisation amène peu à peu chaque individu à adopter les valeurs et les normes de la société dans laquelle il vit et à trouver sa place dans l'univers social. Les instances qui participent à ce processus continu sont tout d'abord la famille et l'école, puis les groupes de pairs, les médias, l'univers professionnel, etc. Mais, selon le genre ou le groupe social auquel chacun appartient, le processus de socialisation est marqué par de fortes différences.
I. En quoi consiste la socialisation d'un individu ?
• Dès le début de notre vie, nous sommes confrontés à un continuel apprentissage de connaissances, de modes de comportement, d'habitudes, de règles de conduite quotidiennes aussi diverses que les règles de la politesse, les codes vestimentaires, les registres de langage adaptés à chaque situation, les habitudes d'hygiène, etc. Ces apprentissages se font, pour une part importante, de manière inconsciente à travers les prescriptions de la vie quotidienne qui nous sont répétées depuis l'enfance.
• Dans ce processus de « modelage » de l'individu, l'acquisition des normes se fait à travers l'imitation, l'inculcation plus ou moins explicite, l'interaction et parfois la contrainte. Les normes sociales sont les règles de conduite en usage majoritaire dans un groupe social. L'efficacité de la socialisation vient notamment du fait que, peu à peu, l'individu assimile les normes qu'on lui a inculquées et les intériorise : elles lui paraissent venir de lui-même, ce qui les rend d'autant plus légitimes à ses yeux.
• Ces normes sont des traductions concrètes des grands idéaux qu'une société se donne sous la forme de valeurs partagées par ses membres. Les valeurs ont une dimension abstraite (la liberté, l'égalité, le respect de l'autre…), mais s'incarnent dans des normes pratiques (le suffrage universel, la liberté de se déplacer, les règles de politesse…).
Exercice n°1Exercice n°2
II. La famille, une instance majeure de socialisation
• L'agent de socialisation le plus présent dans ce processus d'accoutumance et d'apprentissage est évidemment la famille. C'est elle qui transmet les compétences de base du comportement humain comme le langage, la marche, l'obéissance, les codes vestimentaires initiaux, les grands principes moraux et les codes esthétiques, les habitudes alimentaires, etc. Ces apprentissages de base constituent ce que les sociologues appellent la socialisation primaire.
• Le sociologue Émile Durkheim, dans Les Règles de la méthode sociologique (1897), décrivait ainsi ce processus :
« « […] Toute éducation consiste dans un effort continu pour imposer à l'enfant des manières de voir, de sentir et d'agir auxquelles il ne serait pas spontanément arrivé. Dès les premiers temps de sa vie, nous le contraignons à manger, à boire, à dormir à des heures régulières, nous le contraignons à la propreté, au calme, à l'obéissance ; plus tard, nous le contraignons pour qu'il apprenne à tenir compte d'autrui, à respecter les usages, les convenances, nous le contraignons au travail, etc., etc. ». »

• Cette socialisation n'est pas indifférenciée sur le plan du genre ou du milieu social. Les pratiques d'éducation, dans la famille par exemple, sont largement influencées par les rôles sociaux attribués aux genres par la société. Les modèles de comportement privé proposés aux garçons et aux filles ne sont pas identiques (par exemple émotivité et minutie pour les unes, activité physique et débrouillardise pour les autres). Les modèles de comportement social sont, eux aussi, largement sexués (registres de langage tolérés, attitudes acceptées, activités sportives pratiquées…). On peut souvent déceler, dans ces modes d'apprentissage, une tendance à la reproduction intergénérationnelle des codes de comportement spécifiques à chacun des deux sexes.
III. Le rôle de l'école dans la socialisation de l'individu
• En complément du rôle initial joué par la famille, l'école est une autre instance qui intervient dans la socialisation primaire : elle apporte aussi son lot d'apprentissages fondamentaux (connaissances, savoir-faire et règles de conduite collective). L'école peut se révéler complémentaire de la socialisation familiale, mais elle peut aussi entrer en opposition, sur certains points, avec les acquisitions précédentes. Le rapport au langage en est un exemple frappant : le langage scolaire est en effet souvent en porte-à-faux avec le langage des milieux populaires ou ruraux par exemple. De même, l'univers de référence littéraire, philosophique ou artistique auquel l'école fait volontiers référence (« la culture savante ») est bien souvent étranger aux codes de représentation du monde des milieux sociaux les plus défavorisés.
• À l'inverse, pour les enfants issus de certains milieux sociaux (cadres supérieurs, professions libérales), les deux registres d'apprentissage de la famille et de l'école sont en relative cohérence, ce qui engendre une continuité dans la socialisation entre ces deux instances.
• Cette distorsion ou, au contraire, cette cohérence entre les apprentissages familiaux et les exigences de l'école sont particulièrement repérables dans les différences de parcours scolaire et d'obtention des diplômes selon les milieux sociaux. L'héritage culturel légué par la famille est, selon les cas, valorisé ou au contraire ignoré par l'école, ce qui peut contribuer à expliquer les inégalités de réussite scolaire.
IV. La socialisation par les pairs
• L'importance de l'école dans la socialisation ne se manifeste pas seulement dans la relation entre l'enseignant et l'élève. Celui-ci est en effet amené à fréquenter un groupe de pairs, les autres élèves, avec lesquels des processus d'interaction viennent compléter sa socialisation. Ainsi, les liens d'amitié, de solidarité, de concurrence, voire d'affrontement qui se nouent au sein des groupes de pairs sont porteurs d'apprentissages en termes de rapport à autrui. Les pratiques de coopération, de complicité, d'échange, mais aussi de résistance, d'opposition voire de violence participent à la construction, pour chaque être humain, de son individualité. Au sein des groupes de pairs, qui peuvent déborder du cadre scolaire (équipe sportive, club de théâtre, cercle de jeu, etc.), des codes spécifiques fonctionnent : les codes langagiers, vestimentaires ou comportementaux. Ils peuvent être très différents de ceux en usage dans le cercle familial, et ils renforcent le sentiment d'appartenance.
V. Les médias, un rôle croissant dans la socialisation
• Les innovations technologiques des dernières décennies ont renforcé l'importance des médias dans la socialisation des individus, notamment des jeunes. Ceux-ci se trouvent désormais confrontés à d'autres sources d'influence que la famille ou l'école. La radio et la télévision, mais surtout, aujourd'hui, les technologies du numérique comme Internet mettent l'enfant et l'adolescent en contact avec des sources de savoirs, d'échanges, de savoir-faire et de sociabilité quasi infinies. Or, les valeurs et les normes de ces espaces médiatiques peuvent entrer en conflit avec celles que transmettent la famille et l'école. Par exemple, la culture du divertissement et du savoir immédiat développée par l'usage d'Internet et des encyclopédies numériques est peu compatible avec les apprentissages lents et progressifs que suppose la culture scolaire.
• Dans le domaine de la sociabilité, le fort développement des réseaux sociaux valorise la quantité des échanges et leur superficialité alors que les relations « en face à face » supposent un lien choisi et approfondi.
VI. La socialisation, tout au long de la vie
• Si la socialisation primaire, celle qui construit les bases de ce que devient un individu, se réalise dans l'enfance et l'adolescence, le processus d'apprentissage et d'adaptation qu'elle enclenche dure la vie entière : l'entrée dans la vie professionnelle, les rencontres affectives, l'union avec un conjoint, le fait d'avoir et d'élever un enfant, la participation à la vie citoyenne, le fait même de vieillir sont des étapes qui impliquent de nouveaux apprentissages et de nouvelles adaptations, soit une socialisation continue.
Exercice n°3
VII. La socialisation, un facteur de reproduction sociale ?
• Des travaux sociologiques en grand nombre montrent l'importance du milieu d'origine dans la transmission des valeurs et des normes, des comportements sociaux et des goûts, d'une génération à la suivante. L'un des domaines où cette influence semble la plus forte est celui du rapport à la culture scolaire et au devenir professionnel : la reproduction sociale se traduit, pour un individu, par une forte probabilité de connaître un destin scolaire et professionnel relativement proche de celui de ses parents. Les enfants d'ouvriers et d'employés deviennent, dans une forte proportion, ouvriers ou employés, alors que peu d'entre eux rejoignent la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures. À l'inverse, les enfants de cadres supérieurs ont une forte probabilité de rejoindre la catégorie professionnelle de leurs parents.
• Cette reproduction sociale est, certes, loin d'être un processus inévitable, mais elle est cependant bien réelle. Il semble évident qu'elle est liée, en partie, à la différenciation sociale provoquée par la socialisation.
Exercice n°4Exercice n°5Exercice n°6
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