Tensions, mutations et crispations de la société d'ordres


Fiche

La société d'Ancien Régime est fondée sur le principe d'une division en trois ordres : le clergé, la noblesse et le tiers état. Toutefois, ce principe, hérité du Moyen Âge et de la féodalité, est remis en cause à l'époque moderne. En effet, une autre hiérarchie, fondée sur la richesse, coexiste avec la société d'ordres, tendant à faire naître une société de classes. Ces mutations de la société française pendant les derniers siècles de l'Ancien Régime conduisent parfois à des crispations et à des tensions. Comment expliquer la complexité de la société d'ordres ? Quelles mutations sociales accompagnent les transformations intellectuelles des xviie et xviiie siècles ?
I. Société d'ordres ou société de classes ?
• La société d'ordres reste une réalité très ancrée dans la France d'Ancien Régime. Les états généraux, même s'ils ne furent pas réunis de 1614 à 1789, et les états provinciaux, là où ils existent, sont fondés sur la représentation du clergé, de la noblesse et du tiers état.
1. La société de l'Ancien régime : une société d'ordres
• La pensée d'une société répartie en trois catégories est née de l'apparition de la féodalité, vers l'an mille. Elle est alors exprimée par Adalbéron de Laon suivant une métaphore demeurée célèbre : le clergé conduit le peuple chrétien vers le Salut, la noblesse combat pour le défendre, les autres travaillent pour le nourrir. Même si, au xviie siècle, cette pensée est une lointaine justification idéologique, chacun des ordres a une existence institutionnelle réelle.
• Le clergé est le premier ordre du royaume. Il se compose des prêtres, religieux et religieuses.
  • On distingue le clergé séculier, chargé de l'encadrement des fidèles, avec les évêques dirigeant un diocèse, les curés dirigeant une paroisse et tous les prêtres qui les assistent et le clergé régulier, composé de moines, de religieux et de religieuses vivant dans des couvents et assurant l'enseignement, l'assistance aux pauvres et aux malades.
  • Au vu de ces fonctions, le clergé est exempté d'impôts sur ses biens et touche la dîme, prélevée sur les produits agricoles et qui représente théoriquement 10 % des récoltes (dans la réalité rarement plus de 4 %). Le clergé contribue au financement de l'État en versant au roi un don. On compte environ 120 000 membres du clergé en 1789, dont 40 000 religieuses.
  • Le clergé est lié au roi, qui nomme les évêques et garantit l'indépendance du clergé de France face au pape du point de vue temporel (non religieux). C'est ce qu'on appelle le gallicanisme.
• La noblesse a connu d'importantes mutations au xviie siècle. La noblesse de robe côtoie désormais la noblesse d'épée. On compte environ 400 000 nobles en 1789.
  • La noblesse d'épée ou noblesse de sang est formée par les familles aristocratiques anciennes possédant un fief et ne payant pas d'impôt car elles doivent assurer des fonctions militaires. La plupart de ces familles disposent d'un titre et sont rattachées à un lignage ancien et prestigieux (la famille de La Rochefoucauld, par exemple).
  • La noblesse de robe est formée par les grands serviteurs de l'État, comme les juges qui siègent dans les parlements. Ces riches juristes ont acheté le droit d'exercer leur charge. Depuis 1604 et l'édit de Paulet (appelé souvent « la Paulette »), ils ont le droit de transmettre leur charge à leurs descendants, en payant une taxe. Ces grands serviteurs de l'État sont considérés comme nobles car ils exercent des charges qui relèvent de la puissance du roi.
• Le tiers état est constitué des autres catégories de la population soit plus de 27 millions de personnes en 1789. Cet ordre regroupe donc l'immense majorité des Français. Il existe au sein du tiers état d'importantes différences entre ruraux et urbains, et surtout entre riches et pauvres. Toutefois, ses membres ont tous en commun le fait de ne pas bénéficier de privilèges individuels. Ils sont soumis à l'impôt direct, la taille, ainsi qu'aux droits féodaux. Toutefois, les membres du tiers état peuvent bénéficier de privilèges collectifs, car une ville ou un village peut recevoir du roi ou de son seigneur une charte de franchise allégeant ses impôts ou lui accordant des droits.
2. Une hiérarchie fondée sur la richesse
• Toutefois, cette hiérarchie est à nuancer car la richesse devient de plus en plus déterminante. La noblesse de robe et la noblesse d'épée tendent à se rapprocher : les nobles de robe achètent des fiefs qui leur permettent d'avoir le même mode de vie que la noblesse d'épée. Les mariages sont de plus en plus nombreux entre les deux noblesses. Les familles les plus riches du tiers état, notamment les financiers, comme Crozat au xviiie siècle, tendent à mener une vie semblable à celle des nobles, avec lesquels ils parviennent parfois à marier leurs filles.
• La noblesse cherche cependant à se fermer davantage. Au début du xviie siècle, il reste possible à une famille aisée issue du tiers état de s'enrichir sur plusieurs générations puis d'acheter des fiefs et de se faire reconnaître comme nobles, ce qui signifie ne plus payer d'impôts. C'est le cas des Colbert. Mais, à la fin du siècle, pour éviter ce manque à gagner fiscal, Louis XIV fait réaliser de grandes enquêtes imposant quatre quartiers de noblesse (aïeux nobles) pour pouvoir être déclaré noble.
• Au xviiie siècle, les revenus de la petite et de la moyenne noblesse sont concurrencés par les personnes les plus riches du tiers état. Les nobles font pression sur le roi pour que leur soient réservés les nominations dans le haut clergé, les emplois militaires et obtenir des pensions à la cour. On appelle cela la réaction nobiliaire. Henri de Boulainvilliers (1658-1722) développe même la théorie selon laquelle les nobles, considérés comme descendants des Francs auraient le « sang bleu ».
3. Des évolutions bloquées
• Les évolutions sociales, fréquentes aux xve et xviie siècle sur plusieurs générations, se trouvent bloquées au xviiie siècle par la réaction nobiliaire. Certains hommes riches ou instruits appartenant au tiers état ont des difficultés à réaliser leur ascension sociale. Ainsi, les avocats ne peuvent acheter une charge de magistrat, puisque celles-ci sont devenues héréditaires pour la noblesse de robe.
• La noblesse conserve son prestige et concentre une part importante de la richesse.
Exercice n°1Exercice n°2
II. Le monde des campagnes et le poids de la féodalité
Aux xviie  et xviiie siècle, 90 % de Français sont des ruraux. Ce monde des campagnes est loin d'être uniforme et statique.
1. Les campagnes comme lieu d'inscription dans une société
• Les campagnes sont des lieux de diversité sociale. On trouve parfois un seigneur résidant dans son fief, mais il y est généralement représenté par un avoué qui perçoit les taxes en son nom. Le clergé est représenté par le curé, qui bénéficie généralement de revenus modestes.
• Parmi les habitants, les diversités régionales sont nombreuses, mais on trouve généralement les gros paysans ou fermiers, qui possèdent des terres et un outillage agricole et qui sont capables de générer des profits. Vient ensuite la paysannerie moyenne, qui pratique souvent également une activité artisanale. Les manouvriers sont des ouvriers agricoles, qui vendent leur force de travail sur les exploitations.
2. Le système féodal
• Le cadre de la seigneurie féodale se maintient jusqu'en 1789. On distingue la seigneurie foncière et la seigneurie banale. La seigneurie foncière fait du seigneur le propriétaire éminent des terres. Il garde une partie d'entre elles en exploitation directe : elles forment la réserve seigneuriale. Les autres terres sont louées aux paysans sous forme de tenures.
• En échange, les paysans doivent au seigneur des redevances en argent : le cens, ou en nature, comme les champarts. Ils doivent également fournir des journées de travail, les corvées.
• En outre, la seigneurie banale (du terme « droit de ban » qui signifie droit de punir et de contraindre) impose aux paysans de payer pour utiliser, de façon obligatoire, certains équipements seigneuriaux indispensables comme le four, le pressoir ou le moulin.
• La fiscalité du clergé avec la dîme pèse sur les paysans, ainsi que l'impôt royal direct, la taille. La gabelle est un impôt perçu sur le sel et qui varie suivant les régions.
La fiscalité seigneuriale (surtout la corvée) est de plus en plus contestée à la fin du xviiie siècle. Les seigneurs tendent en effet à la renforcer à cette époque, dans le contexte de la réaction nobiliaire, face à la baisse de leurs revenus.
3. Les campagnes, entre progrès et révoltes
• Dans la première moitié du xviie siècle, le monde paysan connaît des révoltes. Elles sont généralement liées à l'augmentation d'un impôt ou la création d'une nouvelle taxe.
• Ces révoltes, mal organisées, sont généralement limitées à quelques villages. Ainsi, en 1639, en Normandie, a lieu la révolte des Va-nu-pieds, liée à une augmentation de la gabelle (impôt sur le sel). Le chancelier Séguier mène une terrible répression en 1640 dans la région.
• La dernière de ces révoltes a lieu en Bretagne en 1675, où les « Bonnets rouges » luttent contre l'imposition par Colbert du papier timbré.
• Au xviiie siècle, le sort des paysans tend à s'améliorer grâce à des progrès agricoles comme l'introduction des plantes fourragères et aux développements de l'agronomie promus par l'école économique des physiocrates, et notamment par François Quesnay, à partir des années 1750.
Exercice n°3
III. Le monde des villes et les reclassements sociaux
C'est dans les villes que les évolutions sociales sont les plus marquées. Elles apparaissent comme des lieux de promotion sociale plus rapide. En leur sein, on trouve des lieux où s'échangent les idées nouvelles, celles des Lumières.
1. La société urbaine
• Dans les villes, on trouve plusieurs catégories sociales. Tout d'abord, la haute aristocratie qui, lorsqu'elle n'est pas à la cour ou sur ses terres, dispose d'un hôtel particulier en ville. Ensuite, la noblesse de robe liée aux cours souveraines, dont les parlements. Enfin, les membres les plus riches du tiers état comme les financiers, les grands commerçants.
• Vient ensuite toute la hiérarchie de la bourgeoisie urbaine, composée de « gens de métiers », comme les médecins, les juristes et les marchands. Le monde des artisans et des petits commerçants, organisé en corporations de métiers, constitue la part la plus importante de la population urbaine.
• Les domestiques et les petits métiers forment les catégories les plus modestes, auxquelles il faut ajouter les exclus et les pauvres. Ces derniers sont de plus en plus marginalisés au sein des villes qui créent des asiles pour opérer ce que Michel Foucault appelle « le grand enfermement des pauvres » à l'époque moderne.
2. La ville, lieu de nouvelles expériences économiques
• Les villes connaissent au xviiie siècle une croissance démographique importante. Paris compte sans doute 500 000 habitants vers 1750. Elle est un centre économique majeur. Les villes portuaires connaissent un important développement. Bordeaux et Nantes, en particulier, s'enrichissent grâce au commerce atlantique, notamment celui des esclaves inscrit dans le commerce triangulaire.
• La richesse des villes passe par des réalisations d'urbanisme. On construit toujours des places royales, comme celle dédiée à Louis XV à Paris en 1753 (actuelle place de la Concorde) mais, dans l'esprit des Lumières, des théâtres sont construits dans toutes les villes importantes dans les années 1770 comme à Bordeaux ou à Besançon.
3. La ville comme creuset d'une nouvelle pensée de la société
• La ville comporte d'importants lieux d'échanges et de débats. Le théâtre en est un avec la querelle du Mariage de Figaro, où la censure royale s'oppose à la pièce de Beaumarchais en 1778.
• Les salons sont d'autres lieux de débats. Souvent organisés un jour par semaine dans l'hôtel particulier d'une dame appartenant à l'élite urbaine éclairée, on voit s'y côtoyer savants, auteurs littéraires et penseurs politiques. À Paris, on peut citer le salon de Madame de Tencin qui, à partir de 1718, reçoit des économistes, des penseurs politiques comme Montesquieu, Helvétius et des auteurs comme Fontenelle, l'abbé Prévôt, ou Marivaux. Elle-même écrit plusieurs romans. Les salons sont aussi des lieux de coterie, où se font et se défont les réputations et les carrières.
Exercice n°4Exercice n°5
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