Le modèle britannique et son influence


Fiche

Au xviie siècle se met en place en Angleterre le système de la monarchie parlementaire. Le pouvoir royal est limité par celui du Parlement et l'arbitraire est limité par des textes garantissant les libertés des citoyens. Un système représentatif se met progressivement en place. Cette évolution différencie fortement la situation de l'Angleterre de celle de la France à la même époque. Le régime britannique influence ainsi les philosophes des Lumières, y compris en France, dans leur réflexion sur un État garantissant les libertés et régi par des principes fondés sur la raison. Toutefois, le système anglais n'est pas exempt de contradictions. Les treize colonies britanniques d'Amérique du Nord ont ainsi retourné contre leur métropole les valeurs anglaises et proclamé leur indépendance en 1776, engageant une guerre qui dura jusqu'en 1783. Les États-Unis d'Amérique deviennent en 1787 le premier pays au monde à se doter d'une Constitution écrite qui, à son tour, influence les penseurs européens. En quoi le modèle britannique, par ses principes et ses limites, contribue-t-il à l'émergence d'une nouvelle pensée politique aux xviie et xviiie siècles ?
I. L'Angleterre : une monarchie parlementaire
1. L'héritage d'une révolution
Au xviie siècle, en Angleterre, le Parlement n'est pas une cour de justice comme en France, mais une assemblée qui délibère des lois, notamment en matière de fiscalité. Depuis le xiiie siècle, les rois d'Angleterre ont dû accorder des droits à cette assemblée de représentants de la nation. Cette représentation est issue d'un mode de suffrage, très différent de ceux actuellement pratiqués. Le Parlement se compose de deux chambres : la Chambre des lords réunit les nobles et le haut clergé de l'Église anglicane (Église protestante et religion officielle du royaume à partir de 1534). La Chambre des communes réunit les représentants élus des comtés et des bourgs souvent issus de la gentry, ou petite noblesse.
2. Un compromis avec le pouvoir royal
• Au xviie siècle, le Parlement parvient progressivement à exercer l'essentiel des pouvoirs et à obtenir de participer à la politique suivie par l'État.
De 1642 à 1660 a lieu la première révolution anglaise. Le roi Charles Ier Stuart ayant tenté de mettre en place une monarchie absolue provoque une révolte du Parlement. Le 30 janvier 1649, le roi est exécuté. La monarchie est abolie et remplacée par une république qui prend le nom de Commonwealth (à ne pas confondre avec l'organisation internationale portant actuellement ce nom) et est dirigée par le Parlement et Olivier Cromwell, qui prend le titre de Lord Protecteur.
• En 1660, le fils de Charles Ier est rétabli sur le trône et gouverne avec l'accord du Parlement, tout en tentant de récupérer certains pouvoirs. En 1679, le Parlement, dirigé par le parti Whig (voir ci-après) fait adopter le texte de l'Habeas corpus, qui défend les droits des accusés contre une détention arbitraire. Le frère de Charles II, Jacques II, qui lui succède en 1685, est catholique et s'oppose au Parlement, qui défend l'identité protestante du royaume.
• En 1688, une seconde révolution a lieu, appelée Glorieuse Révolution. Le Parlement renverse Jacques II et fait appel à Guillaume d'Orange, protecteur des Provinces-Unies (actuels Pays-Bas) pour devenir roi d'Angleterre. Le Parlement lui impose le Bill of right en 1689 : le roi accepte de régner tout en laissant gouverner le Parlement, au nom de la nation. C'est la naissance de la monarchie parlementaire en Angleterre. Au xviiie siècle, la figure du Premier ministre s'affirme progressivement comme chef du gouvernement, le premier étant Robert Walpole de 1721 à 1742.
3. Un système garantissant les libertés
• Le système anglais garantit ainsi les principales libertés, comme la liberté d'expression. Certains philosophes, comme Hobbes, développent une pensée intégrant cet aspect. Au sein du Parlement, un débat politique se structure autour de deux grands partis : les whigs sont plutôt en faveur de davantage de libertés, les tories sont plutôt partisans d'un maintien des traditions et d'un pouvoir royal plus fort. Ces évolutions s'inscrivent dans des mutations sociales importantes. L'enrichissement des villes et l'essor du commerce font émerger de nouvelles élites, qui concurrencent l'influence de la petite noblesse, la gentry, présente au Parlement.
• Toutefois, le système anglais comporte des limites. La première réside dans son système électoral. En effet, les membres de la Chambre des communes sont élus suivant des règles qui limitent leur représentativité : dans les comtés, seuls les grands propriétaires votent et sont éligibles. C'est donc un système censitaire. Seuls un nombre restreint de bourgs peuvent envoyer des représentants (ils correspondent aux villes les plus importantes du xiiie siècle). Certains, comme Old Sarum, sont presque complètement dépeuplés et envoient pourtant des représentants. On parle de « bourgs pourris ». En revanche, des villes récentes, très peuplées et en pleine expansion, n'envoient pas de représentants.
• De plus, certaines catégories de la population sont exclues de la vie politique. Les catholiques n'obtiendront le droit de vote qu'en 1829. Les Irlandais, catholiques, sont victimes d'une politique de colonisation de la part des protestants venus d'Angleterre. Certains protestants minoritaires, comme les quakers, choisissent souvent la migration vers les colonies d'Amérique, faute d'être acceptés en Angleterre. C'est le cas de William Penn, en 1682, dont la Pennsylvanie prit le nom.
Exercice n°1Exercice n°2
II. Le rayonnement du modèle anglais
Le rayonnement de ce modèle fut très important au xviiie siècle, notamment en France.
1. L'Angleterre et la pensée des Lumières
• Plusieurs philosophes des Lumières reprennent certaines idées mises en pratique par les institutions anglaises. La première est celle d'une limite à l'arbitraire royal et d'une certaine représentativité du peuple. Montesquieu est également marqué par le fait que, dans le système anglais, on observe une certaine séparation et un certain équilibre entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Il en fait une des sources d'inspiration pour son ouvrage De l'esprit des lois, publié en 1748.
2. Voltaire et l'influence anglaise
Voltaire est lui aussi particulièrement influencé par le modèle anglais dans sa critique de l'arbitraire royal. Dans plusieurs de ses ouvrages, il évoque l'Angleterre, où il séjourne entre 1726 et 1728 afin d'échapper à la Bastille. Il y admire les droits octroyés aux accusés ainsi que la liberté d'expression, qui s'oppose au système français de la lettre de cachet, laquelle permet au roi d'embastiller les auteurs contestant la monarchie absolue. Il remarque également la façon dont ce système libéral permet une importante croissance économique. Revenu en France, il publie les Lettres philosophiques en 1734, dont le premier titre était Lettres écrites de Londres sur les Anglois et autres sujets.
3. Les limites de cette influence
• Il faut toutefois constater les limites de l'influence anglaise. Les philosophes des Lumières lui préfèrent souvent le despotisme éclairé, système dans lequel un souverain au pouvoir absolu, gouverne avec les conseils d'un philosophe. C'est d'ailleurs l'expérience que fait Voltaire auprès de Frédéric II de Prusse de 1750 à 1753. Par ailleurs, les voyageurs anglais en France, comme Arthur Young, soulignent également que le débat politique est plus vif et libre à Paris qu'à Londres, où il est souvent limité à une discussion entre les deux partis politiques.
Exercice n°3
III. La naissance des États-Unis
Le modèle anglais connaît toutefois une contestation inattendue, de la part de ses propres colonies américaines, qui proclament leur indépendance en 1776.
1. Les oppositions entre la métropole et les treize colonies américaines
• Depuis le xviie siècle, les Anglais ont établi treize colonies en Amérique du Nord, peuplées en partie par des colons anglais issus des Églises protestantes non anglicanes, notamment les puritains tels les Pilgrim Fathers (« pères pèlerins ») arrivés en 1620 sur le Mayflower. Au xviiie siècle, les colonies connaissent un important essor commercial et économique et des élites urbaines émergent dans les villes de la côte, comme Philadelphie ou Boston.
• Toutefois, le Parlement britannique refuse à ces colons le droit de siéger en son sein, les privant d'une représentativité dans le gouvernement de la métropole. De plus, une fiscalité inégalitaire est appliquée aux colonies. Afin de financer la guerre menée contre la France jusqu'en 1763 et qui s'achèvera par l'annexion du Québec, les Anglais imposent de nouvelles taxes aux colonies et l'usage de certains produits surtaxés provenant de la métropole. Les colons répondent : « Pas de taxation sans représentation ». Le 16 décembre 1773, des colons déguisés en Indiens jettent à la mer une cargaison de thé en provenance d'Angleterre. C'est la Boston Tea Party.
2. La guerre d'indépendance
• En 1775, les insurgents (insurgés) prennent les armes sous le commandement de George Washington. Les représentants des colonies, réunis à Philadelphie, proclament l'indépendance des États-Unis d'Amérique le 4 juillet 1776, dans la Déclaration d'indépendance rédigée par Thomas Jefferson, au nom de la défense des libertés et des droits de la nation, c'est-à-dire les valeurs mêmes du système anglais, que la métropole n'a pas appliqué aux colonies.
• En 1777, la France s'engage du côté des insurgés pour venger sa défaite de 1763 contre les Anglais. La monarchie absolue soutient donc la mise en place d'une république et contribue ainsi à renforcer ses oppositions intérieures. En 1776, Benjamin Franklin est envoyé comme ambassadeur des États-Unis en France, où il apparaît comme l'incarnation de la pensée des Lumières. En 1783, les Anglais reconnaissent l'indépendance des États-Unis.
3. Un système politique fondé sur une Constitution
• Le système politique mis en place aux États-Unis est le produit de la philosophie des Lumières. À la différence de l'Angleterre, une Constitution promulguée en 1787 régit les rapports entre les différents pouvoirs. Le partage et l'équilibre des pouvoirs sont assurés entre le président, qui possède le pouvoir exécutif dans le cadre d'un mandat de quatre ans, et le Congrès, bicaméral, comportant le Sénat et la Chambre des représentants, qui possède le pouvoir législatif. Le Sénat comporte deux sénateurs par État et la Chambre des représentants un élu pour 30 000 citoyens, ce qui équilibre les rapports entre les États peu peuplés et ceux dont la population est importante.
La représentativité du peuple est assurée par un système électoral. Cette représentativité est toutefois limitée par l'exclusion des Indiens et des esclaves. Le système choisi étant un État fédéral, les citoyens votent également pour les institutions de chaque État, y compris pour élire les juges, à l'exception de ceux de la Cour suprême, nommés à vie par le président. Le 4 mars 1789, George Washington est élu président.
La mise en place d'une Constitution devient désormais en Europe un des objectifs des partisans des Lumières. En France, l'aventure américaine fascine tout autant qu'elle accentue la crise de la monarchie absolue, la guerre ayant en effet vidé les caisses de l'État et l'ayant privé des moyens de mettre en œuvre une réforme efficace.
Exercice n°4Exercice n°5
© 2000-2024, rue des écoles