La littérature d'idées et la presse du xixe au xxie siècle


Fiche

Les xixe, xxe et xxie siècles constituent une période de mutation des formes d'argumentation mais également un moment de grands combats humanistes. La presse connaît un véritable essor tout au long du xixe siècle – libérant ainsi la parole publique –, puis un lent déclin. La littérature, quant à elle, s'essaie à diverses formes d'argumentation, directe ou indirecte.
1. Les combats humanistes du xixe siècle
L'essor de la presse
Au cours de la Révolution française, la presse tend à se développer car elle devient le lieu de la prise de parole du peuple et de débats publics, souvent politiques. Mais c'est au xixe siècle, où l'on assiste à la naissance de nombreux journaux, qu'elle connaît son véritable essor : d'une part, elle améliore ses techniques de communication, grâce à une utilisation grandissante de l'image, notamment ; d'autre part, les progrès de l'alphabétisation élargissent considérablement son lectorat. C'est dans cette perspective qu'est créé en 1863 Le Petit Journal qui tend à s'adresser avant tout à des lecteurs plus populaires qu'auparavant. Ce sont les débuts de la presse de masse.
• La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, votée sous la IIIe République, est souvent considérée comme le texte fondateur de la liberté d'expression en France. Elle met partiellement fin à des siècles de censure, instaurant la presse en véritable puissance. Elle permet des prises de parole courageuses, comme la lettre ouverte « J'accuse » d'Émile Zola, publiée dans L'Aurore du 13 janvier 1898 : l'auteur y prend la défense de l'officier Dreyfus, condamné à tort pour trahison, au seul motif qu'il était juif.
Presse et littérature : une influence réciproque
• Les écrivains entretiennent des relations étroites avec la presse. En effet, à une époque où la publication et la vente de livres peinent à répondre à une demande grandissante, la presse propose de publier leurs œuvres périodiquement, fragment par fragment. De plus, les écrivains investissent la presse en publiant de nombreux articles engagés, voire en créant leur propre revue.
• De cette intrusion des écrivains sur le terrain de la presse résulte une influence réciproque. D'une part, les écrits journalistiques prennent souvent des allures littéraires : les écrivains donnent un contour nouveau aux formes traditionnelles et le récit, le portrait ou encore l'autobiographie s'ajoutent aux classiques articles, chroniques ou critiques.
• D'autre part, la littérature tend à s'inspirer des formes journalistiques, en s'intéressant notamment aux formes courtes. L'étude de terrain, que les journalistes développent considérablement, influence les méthodes d'écriture. Certains écrivains, comme Émile Zola, entreprennent de véritables investigations en vue de l'écriture de leurs romans.
• Enfin, la presse devient un thème privilégié des romanciers qui font du journalisme le cadre de leurs romans, comme Gustave Flaubert dans L'Éducation sentimentale (1869) ou Honoré de Balzac dans Illusions perdues (1837-1843) qui proposent ainsi leur vision du journalisme.
Des combats sociétaux
Le xixe siècle est donc, en littérature, le siècle de la défense des intérêts publics et humanistes : dans son œuvre, l'écrivain se fait le porte-parole de combats et prend ouvertement des positions, souvent contre la tendance officielle du gouvernement, devenant ainsi le chantre du peuple.
La question politique
• Au cours de la période romantique notamment, les écrivains défendent explicitement des causes politiques.
• Toutefois, en raison de la censure encore très présente sous le Ier et le IId Empire, les auteurs utilisent des moyens d'argumentation indirecte. Victor Hugo par exemple critique férocement Napoléon III dans son recueil de poèmes Les Châtiments (1852).
La question esthétique
• La presse et la littérature véhiculent également des débats esthétiques. En effet, au cours de cette période de forte modernisation, la définition du beau artistique évolue et les artistes multiplient des manifestes dans lesquels ils proposent et défendent leur vision de l'art (Guy de Maupassant pour le réalisme et Émile Zola pour le naturalisme, par exemple).
• L'esthétique fait à ce point débat qu'on assiste à de grands procès condamnant des œuvres parfois incomprises et jugées immorales. La presse joue un rôle actif dans ces débats en multipliant les critiques pour ou contre ces œuvres. Les plus célèbres de ces procès sont ceux intentés en 1857 à Gustave Flaubert pour Madame Bovary et à Charles Baudelaire pour son recueil Les Fleurs du Mal.
La question humaniste
• Le xixe siècle est également une période de grands combats humanistes : presse et littérature dénoncent les injustices sociales. De grands journalistes défendent ainsi les opprimés, comme Albert Londres qui prend ouvertement la défense des bagnards.
• De grands écrivains prennent de même position contre l'esclavage : Alexandre Dumas dans son roman Georges (1843), mais aussi Alphonse de Lamartine dans son long poème Toussaint Louverture (1850). Victor Hugo, quant à lui, défend les plus démunis dans son célèbre roman Les Misérables (1862), et prend même position contre la peine de mort dans son roman Le Dernier Jour d'un condamné (1829).
2. Deux guerres mondiales
Entre censure et propagande
• La Première et la Seconde Guerres mondiales voient un certain recul de la liberté de la presse. Lors du premier conflit, les journaux sont extrêmement contrôlés et les journalistes ont interdiction de raconter la souffrance des soldats au front ou d'exprimer leur opinion sur la guerre, afin de ne pas démoraliser la population.
• Au cours du second conflit, l'occupant nazi prend le contrôle de la presse qu'il utilise comme un outil de propagande.
Contourner l'interdiction
• Pendant la Seconde Guerre mondiale se développe une littérature résistante. Journalistes et écrivains usent de détours et de ruses pour critiquer l'Occupation nazie ainsi que le gouvernement de Pétain. Des écrivains résistants, tels que Robert Desnos ou Paul Éluard, publient clandestinement leurs textes, qui sont souvent des poèmes. Ces textes opposent aux horreurs de la guerre la beauté et la pureté de la poésie. Cette tendance à l'engagement des poètes se poursuivra d'ailleurs après la Seconde Guerre mondiale, notamment avec Jacques Prévert qui écrira de nombreux poèmes antimilitaristes, ou encore Boris Vian qui écrit, en 1954, la chanson « Le Déserteur » contre la guerre d'Indochine.
• Un autre moyen de critique indirecte est le recours au mythe antique derrière lequel les écrivains dissimulent leur argumentation véritable. Jean Anouilh fait par exemple d'Antigone une figure de la résistance dans sa pièce éponyme, jouée pour la première fois en 1944.
L'absurde
• La fin de la Seconde Guerre mondiale provoque une véritable prise de conscience de la déshumanisation opérée par les nazis, notamment dans les camps de concentration. Nombre d'auteurs racontent alors leur expérience, comme Primo Levi dans Si c'est un homme (1947), récit de son histoire dans les camps au travers duquel il s'interroge sur la définition de l'homme.
• L'horreur de deux guerres mondiales successives et des camps de concentration nazis engendre, dans la seconde moitié du xxe siècle, la prise de conscience du mal dont est capable l'être humain : Dieu ne peut exister dans un monde qui a perdu tout son sens. Des romanciers décrivent alors l'absurde de l'existence humaine après la guerre, comme Albert Camus, théoricien de l'absurde, dans son roman L'Étranger (1942), mais également de nombreux dramaturges, tels qu'Eugène Ionesco ou Samuel Beckett, qui imaginent un théâtre à rebours des formes classiques et proposent des pièces sans véritable intrigue ou cohérence.
3. Critiques des totalitarismes
L'engagement
• Le xxe siècle voit l'expansion du modèle totalitaire, notamment en Allemagne et en URSS. Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux écrivains prennent alors parti contre les totalitarismes. Jean-Paul Sartre considère d'ailleurs qu'il s'agit là d'une des fonctions premières de l'écrivain qui doit s'engager dans les débats de son temps afin d'améliorer la condition humaine. Il propose d'ailleurs à cette époque un théâtre très engagé, notamment avec la pièce Les Mains sales (1948) dans laquelle il exprime sa déception face au communisme et à son application par Staline en URSS. Dans son roman La Peste (1947), Albert Camus critique également le totalitarisme, et plus particulièrement le nazisme, comparé à une maladie mortelle contre l'expansion de laquelle tentent de lutter des personnages que l'on peut assimiler à des résistants.
• L'argumentation contre les totalitarismes n'est pas seulement indirecte : de nombreux écrivains et philosophes produisent alors des textes engagés qui argumentent ouvertement contre les dérives de l'idéologie communiste, comme André Gide dans Retour de l'URSS (1937), Alexandre Soljenitsyne, écrivain russe et dissident soviétique, dans L'Archipel du Goulag (1973), ou encore Hannah Arendt qui tente de définir la notion de totalitarisme dans son ouvrage Les Origines du totalitarisme (1951).
La dystopie
• Le xxe siècle voit le développement d'un genre nouveau, celui de la dystopie, récit de science-fiction dans lequel l'auteur imagine une société future sous un jour négatif : les dystopies, telles que 1984 (1949) de George Orwell, révèlent, derrière le prétendu bonheur que les totalitarismes proposent, leur véritable intention, à savoir la manipulation des populations. Celles-ci sont en effet amenées à agir contre leur propre intérêt.
• La dystopie est également le moyen de critiquer la société de consommation comme nouvelle forme de totalitarisme, manipulant l'homme afin de le contraindre à consommer, lui faisant croire à un bonheur matériel et illusoire. C'est ce que font Aldous Huxley dans Le Meilleur des mondes (1932), ou encore Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 (1953).
4. La presse en crise
• Après des années de propagande et de censure, la population est avide d'informations. Les premières années qui suivent la Libération sont donc bénéfiques à la presse. Toutefois, celle-ci s'affaiblit rapidement, et ce notamment à cause de l'apparition de nouveaux médias, tels que la radio dès l'entre-deux-guerres, puis la télévision, et de nouvelles formes écrites, telles que les magazines, à partir des années 1970. Internet vient finalement donner un coup puissant à la presse imprimée.
• L'image, qui prenait déjà de l'importance depuis le xixe siècle, devient, plus encore que le texte, un moyen de transmission de l'information, voire de manipulation. La photographie, notamment, parce qu'elle semble être une reproduction fidèle du réel, devient une façon d'influencer le public : le cadrage, la mise en scène ou encore le détournement de photographies sans aucun rapport avec l'information relatée peuvent donner pour réelles des informations remaniées.
• Au début du xxie siècle, les médias perdent peu à peu la confiance de la population, notamment à cause de la suspicion éveillée par les subventions de l'État et les financements par des partis ou grands groupes qui tendraient à influencer les journalistes.
5. Le xxie siècle : entre engagement public et désengagement littéraire ?
La presse comme contre-pouvoir
• La presse en ligne devient un contre-pouvoir et le terrain privilégié des lanceurs d'alerte. En effet, lorsqu'une personne ou un groupe a connaissance d'un danger ou d'un risque pour la population que le pouvoir officiel ignore ou dissimule, elle se saisit souvent d'Internet pour lancer un signal d'alarme, obligeant le gouvernement à intervenir ou provoquant une mobilisation collective.
• Un nouveau problème se présente, provoquant là encore la méfiance des lecteurs : la question des sources. Puisque chacun peut publier sur Internet, l'information peut aisément être tronquée ou falsifiée.
Les débuts du xxie siècle
• La littérature du début du xxie siècle préfère parfois au débat politique le récit intime et anecdotique.
• Certains auteurs demeurent pourtant engagés, comme Michel Houellebecq dont l'œuvre tend à interroger le monde et à critiquer ce qu'il considère comme les grands travers du temps : le capitalisme, le libéralisme, l'individualisme ou encore la société de consommation. Dans son roman Soumission (2015), il reprend le genre de la dystopie et imagine l'arrivée au pouvoir, en France en 2022, d'un président de la République issu d'un parti politique musulman.
La période décrite est le témoin de profondes mutations et transformations des genres de l'argumentation, dans la presse comme en littérature.
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