La liberté d'expression du citoyen dans le monde du numérique

« Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d'imbéciles qui avant ne parlaient qu'au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd'hui, ils ont le même droit de parole qu'un prix Nobel. » (Umberto Eco, Discours à l'Université de Turin, 2015)
La liberté d'expression est un pilier essentiel des sociétés démocratiques. Elle permet à chaque individu de partager ses idées, opinions et croyances sans crainte de répression, même si certaines peuvent heurter autrui. Le monde du numérique a facilité cette libération de la parole et la diffusion des opinions de chacun.
I. La liberté d'expression : un droit fondamental de la démocratie
La liberté d'expression est le droit de communiquer ses pensées et opinions par divers moyens (écrits, paroles, productions artistiques, etc.) sans crainte de censure ou de représailles. Elle est essentielle pour garantir d'autres libertés comme celles de la presse, de manifestation et d'opinion. Son principe est défini notamment par l'art. 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Défendre la liberté d'expression est crucial pour maintenir le débat démocratique et l'État de droit. Son cadre juridique doit permettre de concilier la liberté de chaque citoyen avec l'équilibre d'autres droits et intérêts. La liberté d'expression peut être limitée pour protéger des intérêts légitimes, tels que :
• la sécurité nationale et l'ordre public (interdiction de l'apologie du terrorisme) ;
• la protection des droits individuels (lutte contre la diffamation et l'injure, respect de la vie privée) ;
• le devoir de réserve (neutralité exigée des agents publics dans le cadre de leur fonction).
En 2008, un militant a été condamné en France pour avoir brandi une pancarte « Casse-toi pov'con » lors d'une visite de Nicolas Sarkozy à Laval, en Mayenne. Cette action a été jugée par les tribunaux français comme une injure publique envers le président de la République. En 2013, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a cependant estimé que cette condamnation était disproportionnée, soulignant l'importance de la liberté d'expression dans le débat politique, même pour des propos offensants. La CEDH a conclu que cette condamnation violait l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme, qui protège la liberté d'expression.
II. La liberté d'expression dans le contexte numérique
L'apparition d'Internet, des blogs, puis des réseaux sociaux a offert de nouvelles opportunités pour l'expression, permettant à chaque citoyen de défendre et partager ses vues et opinions publiquement et de façon immédiate. Par la mobilisation d'une communauté d'acteurs (associations, sympathisants, etc.) sur les supports numériques, la protection de l'environnement ou des droits humains a pris plus d'ampleur. Des mouvements comme #MeToo ou #BlackLivesMatter ont ainsi pu gagner en visibilité grâce aux réseaux sociaux.
Pour le citoyen qui s'informe, Internet et les réseaux sociaux offrent un accès à une multitude de sources d'information. Cela permet de découvrir différents points de vue et d'alimenter sa réflexion ou ses idées. La personne informée a aussi un rôle actif : en faisant circuler l'information à ses proches, en recommandant ou « likant » un post, elle devient elle-même un diffuseur.
Les réseaux sociaux permettent de communiquer facilement et de créer des communautés autour d'intérêts communs. Cependant, ils collectent des données pour vendre des espaces de publicités, nécessaires à leurs revenus. La publicité ciblée et la recommandation des informations susceptibles de nous plaire influencent ainsi les comportements de l'utilisateur. La manière dont fonctionnent les réseaux sociaux, avec leurs algorithmes, pose question. Selon son profil, un utilisateur n'a pas accès à la même information. Ces phénomènes de mésinformation, désinformation et de chambres d'écho créent des bulles de filtres dans lesquelles les algorithmes personnalisent le contenu proposé, exposant l'utilisateur principalement à des opinions qui confirment son propre point de vue. Cela peut polariser les débats publics et réduire la capacité des individus à se forger une opinion éclairée et équilibrée.
Après le rachat de Twitter par Elon Musk, X (ex-Twitter) a réduit son équipe de modération, diminuant le contrôle de contenus problématiques comme les propos racistes, antisémites et la diffusion de fausses informations (infox ou « fake-news »). Cela a poussé de nombreux utilisateurs à chercher des alternatives plus sûres comme Bluesky, une plateforme décentralisée qui offre une meilleure protection des données et des opinions plus diverses et plus modérées.
III. L'encadrement de la liberté d'expression dans le monde numérique
1. Les lois nationales et européennes
La régulation de la liberté d'expression sur Internet est encadrée par plusieurs lois nationales et européennes.
En France, la loi pour la confiance dans l'économie numérique (transposition en 2004 d'une directive européenne) distingue les rôles des hébergeurs et des éditeurs, imposant aux premiers de retirer les contenus illicites signalés et de faciliter l'identification des éditeurs de contenus illégaux.
La loi Avia (2020) visait à lutter contre les contenus haineux en ligne, en imposant aux plateformes de les supprimer dans un délai de 24 heures sous peine de sanctions. Cependant, cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel, car elle portait atteinte à la liberté d'expression et ne prévoyait pas l'intervention d'un juge. Seules quelques mesures secondaires, comme la simplification du signalement ou la création d'un parquet spécialisé, ont été conservées. Cette décision rappelle l'importance de l'équilibre entre lutte contre la haine et respect des libertés fondamentales.
Au niveau européen, le règlement sur les services numériques (Digital Services Act, DSA) cherche, depuis 2022, à renforcer la transparence des plateformes en ligne tout en limitant la diffusion de contenus illicites. Il renforce la transparence des algorithmes, en obligeant les plateformes à expliquer clairement comment les contenus sont recommandés et à permettre aux utilisateurs d'en modifier les paramètres, par exemple.
2. Les réseaux sociaux et les médias
Les médias et réseaux sociaux, en tant que diffuseurs, voient leur responsabilité engagée. Cependant, des contraintes techniques ou éthiques rendent difficiles leurs obligations légales quant à la diffusion de l'information. Le volume massif de contenus générés chaque jour et la nécessité de prendre des décisions rapides et précises peuvent freiner les actions de modération. Pour détecter et supprimer les contenus illicites, les plateformes doivent donc investir dans des technologies de modération avancées, ce qui a un coût financier, écologique mais aussi humain.
Cependant, certains réseaux sociaux adoptent une approche éthique discutable en privilégiant une liberté d'expression sans limites, permettant la diffusion de toutes les opinions, y compris celles en contradiction avec la loi. Par exemple, des plateformes se sont positionnées comme un refuge pour la liberté d'expression absolue, accueillant des discours extrémistes et des contenus haineux qui sont interdits sur d'autres plateformes.
Pour lutter contre la désinformation, des sites ou des médias ont choisi de développer le « fact-checking » ou vérification des faits. Cela consiste à examiner l'exactitude des informations et des déclarations publiques, notamment celles faites par des figures publiques. L'objectif est de déterminer si une affirmation est vraie, fausse ou trompeuse, en s'appuyant sur des preuves et des sources fiables.
3. La responsabilité du citoyen
Chaque utilisateur doit être conscient des implications légales de ses publications et veiller à ne pas diffuser de contenus illégaux. Selon la loi française, la diffusion de contenus illicites, tels que la diffamation, l'incitation à la haine, à la violence ou l'apologie du terrorisme peut entraîner des poursuites judiciaires. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit ainsi la diffamation publique, et la loi Pleven de 1972 interdit l'incitation à la haine raciale.
S'il est techniquement possible pour un citoyen de contourner la législation pour accéder ou diffuser des contenus interdits ou illégaux en France ou dans l'Union européenne, il reste pénalement responsable de ses actes.
Les citoyens doivent également être informés des outils disponibles, comme la plateforme PHAROS en France, pour signaler les contenus illicites. En agissant de manière responsable, les utilisateurs peuvent aider à préserver la liberté d'expression tout en protégeant la communauté en ligne.
À retenir :
1. La liberté d'expression est un droit fondamental protégé par des textes de loi, comme la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, mais elle peut être limitée pour protéger d'autres droits et intérêts légitimes.
2. Les réseaux sociaux offrent de nouvelles opportunités d'expression mais peuvent être également des lieux de mésinformation, de désinformation ou des chambres d'écho, nécessitant une modération efficace.
3. La responsabilité du citoyen est cruciale pour maintenir un environnement numérique sain, en respectant les lois et en utilisant les outils disponibles pour signaler les contenus illicites.
Définitions importantes :
Censure : intervention d'une autorité pour empêcher la diffusion d'une information, d'une œuvre ou d'une opinion.
Chambre d'écho : environnement (souvent créé par des algorithmes personnalisés) au sein duquel les individus ne sont exposés qu'à des informations ou opinions qui confirment leurs propres points de vue.
Contenu haineux : message qui incite à la haine ou à la violence contre une personne ou un groupe, en raison de son origine, religion, sexe, etc.
Débat démocratique : échange libre d'idées entre citoyens dans le respect des opinions, essentiel pour faire vivre la démocratie.
Désinformation : diffusion délibérée d'informations fausses ou trompeuses dans le but de manipuler ou d'influencer les opinions et les croyances des gens.
Diffamation : accusation publique et non prouvée contre une personne, qui porte atteinte à sa réputation.
Médias : ensemble des moyens de communication qui permettent la diffusion d'informations et de contenus à un large public, incluant la presse, la radio, la télévision et les plateformes numériques.
Mésinformation : diffusion d'informations inexactes ou trompeuses, mais sans intention de nuire. Cela peut être dû à une erreur, une mauvaise compréhension ou un manque de vérification.
Pharos : Plateforme française permettant aux citoyens de signaler les contenus illicites sur Internet, facilitant ainsi la lutte contre la diffusion de contenus nuisibles.
Vérification des faits / Fact-checking : Processus de vérification de l'exactitude des informations et des déclarations publiques, en s'appuyant sur des preuves et des sources fiables.
Exercice n°1
Quel article de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen définit la liberté d'expression ?
Cochez la bonne réponse.
L'article 5.
L'article 11.
L'article 17.
L'article 3.
Exercice n°2
Quelle loi française distingue les rôles des hébergeurs et des éditeurs de contenu sur Internet ?
Cochez la bonne réponse.
La loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN).
La loi Pleven.
La loi Gayssot.
La loi Avia.
Exercice n°3
Quel phénomène décrit le fait que les algorithmes personnalisent le contenu d'un réseau social en exposant les utilisateurs principalement à des opinions qui confirment leurs propres vues ?
Cochez la bonne réponse.
La mésinformation.
La désinformation.
La vérification des faits ou « fact-checking ».
La chambre d'écho.
Exercice n°4
Quel outil, en France, permet aux citoyens de signaler les contenus illicites sur Internet ?
Cochez la bonne réponse.
Pharos.
LCEN.
DSA.
Avia.
Exercice n°5
Laquelle des affirmations suivantes décrit la mésinformation ?
Cochez la bonne réponse.
La diffusion accidentelle d'informations fausses.
La diffusion délibérée d'informations fausses pour manipuler l'opinion publique.
La vérification des faits pour s'assurer de l'exactitude des informations.
La création de communautés autour d'intérêts communs.