L'ordre public et les libertés fondamentales


Fiche

« Où il n'y a point de loi, il n'y a pas non plus de liberté. » (John Locke, Deuxième traité du gouvernement civil, 1690)
Dans une société démocratique, la liberté n'est jamais absolue. Elle s'exerce dans un cadre collectif qui garantit la sécurité de tous : c'est ce que l'on appelle l'ordre public. Comprendre comment l'État de droit protège les libertés tout en encadrant leur usage est essentiel pour saisir les enjeux de la vie en société.
I. L'ordre public pour vivre en société
L'ordre public désigne l'ensemble des conditions qui permettent aux membres d'une société de vivre ensemble dans la paix, la sécurité et le respect de chacun.
Il s'agit donc d'un principe essentiel dans toute démocratie, car il établit un cadre nécessaire à l'exercice des droits et des libertés. L'ordre public comprend trois composantes fondamentales :
la sécurité publique, qui consiste à protéger les individus et les biens contre la violence, les atteintes aux personnes, les agressions ou les actes de dégradation ;
la salubrité publique, qui concerne la santé collective et les normes d'hygiène (prévention des épidémies, propreté des espaces publics, gestion des déchets) ;
la moralité publique, qui fait référence au respect des valeurs sociales, culturelles, éthiques, et des principes jugés essentiels dans une société à un moment donné (interdiction de certaines formes d'expression, ou d'actes jugés obscènes ou incitant à la haine).
Pour que chacun puisse exercer ses droits, il faut que la société soit suffisamment stable pour garantir ces droits à tous. Elle doit donc assurer un équilibre entre le respect des libertés individuelles et les impératifs de l'ordre public.
Comme le précise John Stuart Mill dans La Liberté, « la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres ». Préserver l'ordre public permet ainsi de concilier les libertés individuelles avec la vie collective.
Mais cet équilibre est fragile. L'État peut être amené à restreindre certaines libertés pour préserver l'ordre public. C'est le cas, par exemple, lors d'interdictions de manifestations, de la mise en place de couvre-feux ou de limitations de déplacement en cas de crise sanitaire. Ces restrictions ne peuvent être décidées arbitrairement. Elles doivent être :
prévues par la loi ;
nécessaires dans une société démocratique tout en respectant les droits de chacun ;
proportionnées à l'objectif poursuivi.
Ces principes sont garantis par la Constitution, les juridictions françaises et les juridictions européennes. Ils évitent les abus et permettent de protéger les droits tout en maintenant l'ordre public.
II. L'État de droit au service de l'ordre public et des libertés
1. L'État de droit, cadre de la légalité démocratique
L'État de droit repose sur des principes essentiels : la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la justice, l'existence d'une hiérarchie des normes et la garantie des droits fondamentaux. Cela implique que les règles encadrant les restrictions de liberté sont claires, connues de tous et peuvent être contestées.
En France, le Conseil constitutionnel, le Conseil d'État et les tribunaux administratifs veillent à ce que les décisions politiques et administratives respectent la Constitution et les droits fondamentaux. Au niveau européen, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) et la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) assurent que les États ne bafouent pas les principes démocratiques fondamentaux.
2. Le droit de manifester, un exemple de liberté encadrée
Parmi les libertés fondamentales encadrées par l'ordre public, le droit de manifester est un exemple emblématique.
Ce droit est à la fois une liberté individuelle et collective.
• Il repose sur un cadre légal et démocratique (art. 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, art. 9 de la Convention européenne des droits de l'Homme) ;
• Il doit se faire dans le respect de l'ordre public et assurer la sécurité de tous grâce au concours des forces de l'ordre ;
• Il est contrôlé par la justice chargée de protéger cette forme d'expression mais aussi l'ensemble des individus.
En France, le Code de la sécurité intérieure (art. L211-1) stipule que « sont soumis à l'obligation d'une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique ».
Un préfet peut interdire une manifestation si elle présente un risque grave de trouble à l'ordre public. Cette interdiction est formalisée par un arrêté administratif qui peut être contesté en justice. Par ailleurs, le Code pénal prévoit des sanctions pour les organisateurs de manifestations interdites ou non déclarées (jusqu'à 6 mois de prison et 7 500 euros d'amende), mais les participants ne peuvent être interpellés que s'ils sont identifiés avec certitude.
3. Le Conseil constitutionnel, garant de l'État de droit et des libertés
Un exemple marquant d'équilibre entre liberté et sécurité est la décision du Conseil constitutionnel du 4 avril 2019, qui a censuré l'article central de la loi dite « anticasseurs ». Ce texte, voté dans un contexte de tensions liées au mouvement des Gilets jaunes, permettait aux préfets d'interdire à une personne de participer à une manifestation potentiellement dangereuse.
Le Conseil constitutionnel a jugé que cette disposition portait une atteinte disproportionnée au droit d'expression collective des idées et des opinions, un principe fondamental de la démocratie. Il a rappelé que toute restriction à une liberté devait respecter les conditions de nécessité et de proportionnalité. Cette décision montre comment, dans un État de droit, les institutions protègent les libertés fondamentales.
III. L'ordre public dans un État de droit en constante évolution : nouveaux droits, nouvelles protections
1. Un ordre public évoluant avec la société
L'ordre public ne signifie pas uniquement le maintien de la stabilité. Dans une démocratie, le droit évolue en fonction des besoins, des transformations de la société. Depuis les années 1960, de nombreux droits individuels et collectifs ont été consacrés en réponse à des revendications citoyennes :
• le droit à la contraception (loi Neuwirth, 1967) ;
• le droit à l'interruption volontaire de grossesse (loi Veil, 1975) ;
• le divorce par consentement mutuel (1975) ;
• l'égalité entre les femmes et les hommes (loi sur la parité en politique, 1999) ;
• le mariage pour tous (2013) ;
• l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes (2021).
Ces nouveaux droits ont été acquis grâce à la mobilisation des citoyens (manifestations, pétitions, etc.). Ils se sont concrétisés par l'élaboration démocratique de lois qui s'appliquent à tous en maintenant un équilibre collectif.
L'État de droit rend possible la création de nouveaux droits.
2. La privation des libertés de certains citoyens est-elle nécessaire à l'ordre public ?
Dans un État de droit, il peut arriver que certaines personnes soient temporairement privées d'une partie de leurs libertés pour protéger l'ensemble de la société. C'est le cas, par exemple, lors d'une arrestation, d'une garde à vue, d'une incarcération ou d'un placement sous contrôle judiciaire. Ces mesures, bien qu'extrêmes, doivent rester encadrées par la loi et faire l'objet d'un contrôle indépendant pour éviter toute forme d'arbitraire.
Une fois la culpabilité prouvée, la privation de liberté d'un individu (emprisonnement, contrôle judiciaire, assignation à résidence, etc.) se justifie par la nécessité de préserver la sécurité collective. Mais elle doit aussi veiller au respect des droits individuels. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLML) est une autorité administrative indépendante qui veille à ce que les droits et libertés des individus incarcérés soient respectés.
L'État de droit exige que ces restrictions soient proportionnées, contrôlées et temporaires. Sans cela, l'État risquerait de tomber dans l'arbitraire et la répression injustifiée.
Les mesures antiterroristes, assignations à résidence, interdictions de manifester ou conditions de détention sont des exemples concrets qui illustrent cette recherche d'équilibre. Ces dispositifs doivent être toujours réévalués pour qu'ils ne deviennent pas des atteintes durables aux libertés dans une démocratie.
3. L'ordre public évolue avec les nouveaux droits et enjeux
Aujourd'hui, les défis pour l'État de droit et l'ordre public évoluent. Plusieurs questions nouvelles interrogent l'équilibre entre sécurité, liberté et justice :
Le numérique : Quelle régulation pourrait exister pour les réseaux sociaux ? Peut-on interdire certains contenus sans restreindre la liberté d'expression ?
Les crises sanitaires (COVID-19) : Dans quelle mesure peut-on limiter les déplacements des individus, imposer des couvre-feux ou des vaccinations ?
L'écologie et les manifestations : Comment protéger l'ordre public tout en permettant l'expression de contestations sur le climat, notamment concernant les grands projets d'aménagements qui bouleversent les écosystèmes ?
La lutte contre le terrorisme : Comment assurer la sécurité de chacun sans instaurer une surveillance généralisée ?
Dans tous ces cas, le droit évolue : de nouvelles lois sont débattues, parfois contestées, et souvent examinées par les cours constitutionnelles ou européennes.
À retenir :
1. L'ordre public est une condition nécessaire à l'exercice des libertés dans une société démocratique.
2. L'État de droit permet de limiter certaines libertés uniquement si cela est justifié, légal et proportionné.
3. Le droit évolue pour garantir de nouveaux droits tout en maintenant l'équilibre entre liberté, sécurité et responsabilité des citoyens.
Définitions importantes :
CEDH : Cour européenne des droits de l'Homme, qui veille au respect des droits fondamentaux par les États membres du Conseil de l'Europe.
État de droit : système dans lequel le pouvoir est encadré par la loi, et dans lequel les libertés et droits fondamentaux sont protégés par des institutions indépendantes.
Liberté fondamentale : droit essentiel reconnu à chaque individu dans une démocratie (s'exprimer, manifester, croire, etc.).
Ordre public : ensemble des règles garantissant la sécurité, la santé et le respect des valeurs communes dans une société.
Proportionnalité : principe juridique selon lequel toute restriction d'une liberté doit être adaptée, nécessaire et mesurée.
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