Comment se construisent et évoluent les liens sociaux ?


Fiche

Tout individu vit au sein de groupes sociaux, constitués de personnes qui ont entre elles des relations d'échange, affectives, cognitives, matérielles, etc. Ces relations peuvent prendre la forme directe de contacts de proximité physique et d'échanges interpersonnels (au sein, par exemple, du groupe familial, des groupes d'amis ou de partenaires professionnels). Elles peuvent aussi être constituées, de manière indirecte, de contacts passant par des procédures intermédiaires (téléphones, courriers, messageries, médias divers), comme c'est le cas, par exemple, des échanges sur un réseau social numérique entre les membres d'une association ou au sein d'un groupe de militants (syndicat, parti politique).
La notion de groupe social a une portée spécifique : elle se distingue, en particulier, d'un simple rassemblement de circonstances ou d'un agrégat statistique de personnes ayant les mêmes caractéristiques objectives. La notion de groupe social n'a de réalité que si les membres qui en font partie ont conscience de cette appartenance.
I. Groupes primaires, groupes secondaires
• Les groupes dont fait partie un individu ont des caractéristiques différentes et ne sont pas tous d'égale importance, à la fois objectivement et subjectivement. Les groupes les plus proches, qualifiés de « groupes primaires », sont des ensembles sociaux de petite taille, à l'intérieur desquels il existe des relations interpersonnelles directes, fréquemment en situation de face-à-face. Ce sont des groupes relativement stables, dont les membres partagent des objectifs et des intérêts communs et qui sont soudés par un fort sentiment d'appartenance. Au sein de la famille nucléaire mais aussi élargie, à l'intérieur des groupes d'amis, la cohésion est forte et la coopération est active.
• Les groupes dits « secondaires », quant à eux, sont des ensembles plus larges où les liens sont « fonctionnels », c'est-à-dire déterminés à l'avance et codifiés : c'est le cas, par exemple, dans une entreprise, une association sportive ou caritative, ou un parti politique.
Exercice n°1
II. Une relation ambivalente, appartenance ou référence
• La proximité qui relie l'individu au groupe dépend des circonstances et des parcours de vie de chacun. Un individu peut développer, par rapport au groupe dont il fait partie (par exemple, sa catégorie sociale ou le parti politique auquel il adhère), un fort sentiment d'appartenance. Il peut revendiquer alors cette appartenance à travers des comportements et des codes de conduite (langage, système de pensée, coutumes) qui attestent de cet attachement à son groupe d'appartenance.
• Mais une personne peut aussi, à l'inverse, s'identifier à un groupe auquel elle n'appartient pas « objectivement », mais qu'elle aspire à rejoindre. Elle peut alors adopter les valeurs, les normes et les codes de conduite de ce groupe de référence, et emprunter une attitude de délaissement, voire de rejet, de son groupe d'appartenance : cette situation s'observe, par exemple, dans les cas de mobilité sociale ascendante (par le biais de l'activité professionnelle, par le mariage, etc.) ou dans les migrations géographiques.
III. Processus d'individualisation et évolution des formes de solidarité
• Les sociétés modernes sont toutes caractérisées par une montée de l'individualisme. Cette expression doit s'entendre, en dehors de toute connotation morale, comme une évolution vers l'émancipation de l'individu à l'égard des contraintes collectives qui, dans les sociétés traditionnelles, encadrent chaque être humain.
• Le fondateur de la sociologie française, Émile Durkheim (1858-1917), a montré que, dans les sociétés traditionnelles, le lien social était fondé sur une « solidarité mécanique » qui soude les individus au groupe autour de croyances, de valeurs et de normes unanimement partagées et contraignantes pour les membres du groupe. L'individu n'existe que par le groupe d'appartenance, les fonctions sociales (Durkheim parle de « division du travail social ») sont peu différenciées et la conscience collective l'emporte sur la conscience individuelle.
• Dans les sociétés modernes, à l'inverse, le primat de l'individu sur le groupe s'impose peu à peu. Les fonctions sociales se différencient et la forme de la « solidarité » change (nous dirions aujourd'hui « du lien social ») : de « mécanique », elle devient « organique », à la manière des organes d'un corps qui, assumant des fonctions différentes, ont besoin les uns des autres pour le fonctionnement harmonieux de l'ensemble du corps. C'est désormais la complémentarité des fonctions qui assure la cohésion sociale.
Exercice n°2Exercice n°3
IV. Le numérique et les nouvelles formes de sociabilité
• L'émergence et la diffusion accélérée, en l'espace de trois décennies, des instruments numériques d'échanges et de contacts a bouleversé les modes de sociabilité traditionnelle, en modifiant en profondeur les pratiques sociales. L'instantanéité des échanges que permet le numérique ainsi que la portabilité des équipements ont transformé les repères, en abolissant les distances et en permettant, de ce fait, de contracter le temps de l'échange.
• Si le numérique a élargi de manière considérable les espaces de sociabilité, il a aussi, au moins en partie, redéfini la frontière entre la vie privée et la vie publique : les différents modes de communication, messageries instantanées, SMS, envois de photos et vidéos, blogs, tweets, forums de discussion, etc. construisent un espace de transparence où règnent l'exposition de soi et sa propre mise en scène. Ce brouillage de la frontière entre l'intime et le dévoilé se déroule à travers une présence connectée quasi permanente. Cette extraordinaire opportunité de contact social et de lien comporte aussi une part de contrainte et de dépendance. Certains spécialistes pointent du doigt l'apparition de formes d'addiction à ces modes de communication, qui peuvent conduire une partie de ceux qui les utilisent intensément à une « tyrannie de la visibilité » (Claudine Haroche et Nicole Aubert) synonyme d'une perte d'autonomie et de liberté.
• D'autres études ont montré que les échanges numériques ne représentent pas toujours nécessairement un élargissement du champ d'intérêt et de l'espace d'exploration et de perception du monde : un grand nombre de réseaux sociaux, de forums ou de blogs fonctionnent en effet « en vase clos ». Ils réunissent des participants qui y viennent davantage chercher la confirmation de leur vision du monde plutôt que découvrir les richesses de l'altérité et la diversité des points de vue. Dès lors, le fonctionnement circulaire de ces « bulles idéologiques » est un terrain propice au développement de nouveaux communautarismes et des visions complotistes du monde.
Exercice n°4
V. Liens forts et faibles : une nouvelle complémentarité
• Le sociologue américain Mark Granovetter a distingué, dans l'ensemble des liens qu'un individu noue, les liens forts, ceux qu'il entretient avec son entourage intime (famille, pairs, amis, collègues de travail, etc.), et les liens faibles, noués de manière plus occasionnelle, souvent temporaire, avec son réseau plus large mais plus distant.
• Granovetter met en avant, dans certaines circonstances de la vie sociale (recherche d'un emploi, par exemple), la force des liens faibles : ceux-ci, plus étendus et plus diversifiés, sont plus efficaces que les liens forts. L'explosion de la sociabilité numérique et le développement exponentiel des réseaux sociaux s'inscrivent dans la logique de cette distinction.
VI. Des facteurs de fragilisation du lien social
• Dans les sociétés contemporaines, l'affirmation du primat de l'individu et l'affaiblissement de l'influence du groupe peuvent se traduire, pour une partie de la population, par une fragilisation du lien social.
• Certaines instances de socialisation, comme la famille, tout en conservant un rôle éminent dans l'intégration sociale, voient leur mode de fonctionnement bouleversé : le recul du mariage, l'émergence de nouvelles formes d'union, la plus grande fréquence des ruptures et l'augmentation du nombre de familles recomposées fragilisent le rôle de refuge de la famille, qui constitue traditionnellement un rempart contre l'isolement social et la précarité.
• L'école, elle-même, n'est plus la prescriptrice de valeurs collectives qu'elle a pu être dans le passé et joue un moindre rôle dans l'homogénéisation des pratiques sociales.
• Enfin, la sphère du travail et de l'activité professionnelle voit son rôle intégrateur remis en cause, à travers la persistance du chômage de masse et de la précarité de l'emploi.
• Ces éléments de rupture peuvent conduire certaines personnes à des formes de désaffiliation sociale, selon l'expression utilisée par le sociologue français Robert Castel. Ce concept désigne le parcours progressif vers des formes diverses d'exclusion sociale d'individus en situation de vulnérabilité sociale, psychologique ou économique, jusqu'à ne plus faire partie d'un cadre intégrateur. Ces parcours de désaffiliation peuvent avoir des causes diverses, mais il existe le plus souvent, au départ, une situation d'insécurité sociale, qui peut être exacerbée par des évènements personnels (divorce, veuvage, etc.).
• Serge Paugam, autre sociologue français, a développé, quant à lui, le concept de disqualification sociale : il le définit comme le processus d'intériorisation négative de leur propre image que vivent certaines personnes en situation de rupture du lien social, notamment à la suite d'une perte d'emploi. Ce processus de disqualification amène celui qui en est victime à une posture de repli sur soi et d'isolement social contre laquelle les dispositifs de protection sociale et de prise en charge de l'exclusion ont le plus grand mal à lutter.
Exercice n°5
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