Sortir de la guerre : la tentative de construction d'un ordre des nations démocratiques


Fiche

Le 11 novembre 1918, la Première Guerre mondiale s'achève en Europe occidentale sur un très lourd bilan, lié à une mobilisation mondiale des ressources et des hommes, ainsi qu'aux nouvelles capacités de l'armement. En 1918, les puissances et les peuples sont confrontés à plusieurs enjeux. Le premier est d'achever le conflit, qui se poursuit dans plusieurs parties du monde. Le second est de mettre en place une paix durable, fondée sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et les nouvelles valeurs promues notamment par le président américain Woodrow Wilson, alors que chaque pays entend mener une politique de défense de ses propres intérêts.
I. Construire la paix
1. Un lourd bilan
• Le bilan du confit est particulièrement lourd. On dénombre 18,6 millions de morts. Parmi eux, 9,7 millions de morts militaires et 8,9 millions de morts civils. À ces chiffres s'ajoute un nombre important de blessés et mutilés. L'Allemagne a perdu 2 millions de soldats, la Russie 1,8 million, la France 1,4 million. Mais on compte également en France 4,3 millions de blessés militaires, 300 000 morts civils, 600 000 veuves, 986 000 orphelins, sur une population de 41 millions de personnes en 1914.
Des régions entières sont dévastées, comme le nord de la France, occupé par les Allemands pendant quatre ans, ou encore la Belgique, où certaines villes, comme Ypres, sont en ruines. Le patrimoine culturel a été durement touché : les Allemands ont pilonné la cathédrale de Reims, réduite à l'état de ruines.
2. De nouveaux principes
Le Conseil des Quatre à la Conférence de la paix : Lloyd George, Vittorio Orlando, Georges Clemenceau et Woodrow Wilson
Sortir de la guerre : la tentative de construction d'un ordre des nations démocratiques - illustration 1
• La paix est censée être négociée suivant des principes nouveaux. Ce sont ceux énoncés par le président américain Woodrow Wilson dans les quatorze points qu'il a énoncés comme condition à l'entrée en guerre des États-Unis en avril 1917. Parmi eux, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, avec des exemples concrets comme la création d'un État polonais ayant libre accès à la mer. Ce nouvel ordre, d'essence démocratique, doit être garanti par une institution internationale où les nations pourront débattre en permanence.
• Les Alliés acceptent ces principes, même si, dans les faits, ils suivent généralement leurs propres intérêts. C'est dans ce contexte que s'ouvre la conférence de la paix, à Versailles, le 18 janvier 1919. Elle réunit les représentants de toutes les puissances victorieuses. Les vaincus ne sont pas représentés.
• Au sein de la conférence, le « groupe des quatre » assure les principales décisions, avec Clemenceau pour la France, Lloyd George pour le Royaume-Uni, Orlando pour l'Italie et Wilson pour les États-Unis. La Russie est considérée comme une puissance vaincue, suite à son retrait du conflit en 1917 et à la présence au pouvoir des bolcheviques.
3. La réalité des négociations
• La conférence de la paix aboutit à plusieurs traités, qui ont pour conséquence le démembrement des empires en Europe et à leur remplacement par des États-nations. Toutefois, ce principe a été soumis à des considérations pragmatiques et laisse subsister de nombreuses insatisfactions.
• Avec l'Allemagne, le traité de Versailles, signé le 28 juin 1919, est très dur :
  • l'Allemagne est responsable de la guerre ;
  • son armée est limitée à une force d'autodéfense de 100 000 hommes ;
  • la rive gauche du Rhin doit être démilitarisée ;
  • le pays subit des pertes territoriales : l'Alsace et la Moselle sont rendues à la France, des territoires sont cédés pour constituer la Pologne, dont le corridor de Dantzig qui lui permet d'avoir un accès à la mer, mais coupe l'Allemagne en deux, isolant la Prusse orientale ;
  • il est interdit aux Allemands d'Autriche de s'unir avec l'Allemagne ;
  • l'Allemagne perd ses colonies, qui sont remises à la France et à la Grande-Bretagne sous forme de mandats de la Société des nations ;
  • des réparations doivent être versées aux Alliés, soit la somme de 132 milliards de marks-or.
• Le traité de Saint-Germain avec l'Autriche (10 septembre 1919) la réduit à sa seule zone germanophone, avec interdiction de s'unir à l'Allemagne.
• Le traité de Trianon avec la Hongrie (4 juin 1920) réduit le pays au tiers de son territoire de 1914, au profit des États créés suivant le principe des nationalités.
• Le traité de Sèvres (11 août 1920) ampute l'Empire ottoman de ses provinces majoritairement peuplées d'Arabes, de Grecs et d'Arméniens.
• De nouveaux États-nations sont créés : la Pologne, la Tchécoslovaquie avec des territoires prélevés sur les empires disparus. La Serbie s'agrandit des provinces peuplées de Slaves du Sud issus de l'Empire austro-hongrois et devient la Yougoslavie. La Roumanie reçoit la Transylvanie et la Grèce s'agrandit au détriment de la Bulgarie et de l'Empire ottoman.
• Toutefois, dans la plupart de ces États demeurent des minorités nationales sur lesquelles peuvent s'appuyer les nationalistes qui souhaitent réviser le traité de Versailles. Des minorités allemandes sont ainsi présentes en Pologne ou en Tchécoslovaquie, dans la région des Sudètes. L'Italie est insatisfaite des traités car, si elle obtient le Trentin et le Haut-Adige, elle voit certaines régions qu'elle revendique être attribuées à la Yougoslavie.
Exercice n°1Exercice n°2
II. Achever la guerre
L'armistice du 11 novembre 1918 ne signifie pas la fin de tous les conflits. La guerre a en effet conduit à une déstabilisation durable de certaines parties du monde.
1. La vague révolutionnaire en Europe
• En Europe, la guerre a conduit à une vague révolutionnaire. Celle-ci commence en Russie en 1917. Le 15 mars, à la suite d'une insurrection à Petrograd (aujourd'hui Saint-Pétersbourg), le tsar Nicolas II abdique. La République qui se met en place sous la direction de Kerensky décide de continuer la guerre au côté des Alliés. Ce nouveau pouvoir est contesté par les socialistes au sein des conseils (« soviets ») qui, au sein des villes et des entreprises, représentent le pouvoir insurrectionnel. Au sein de ces soviets, les bolcheviques sont partisans d'une révolution immédiate. Le 24 octobre 1917, ils organisent une insurrection qui prend le contrôle de l'État. Leur chef, Lénine, fait sortir le pays de la guerre en signant une paix séparée avec l'Allemagne (paix de Brest-Litovsk en mars 1918). Il confisque les terres et les entreprises et s'engage dans une politique de répression vis-à-vis des opposants. Le parti prend le nom de parti communiste et influence de nombreux mouvements révolutionnaires en Europe.
• En Allemagne, c'est une révolution qui a conduit à la chute de la monarchie et à l'armistice de 1918. Les membres du mouvement des spartakistes fondent en 1918 le Parti communiste allemand (KPD). Ses chefs, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, organisent une insurrection avec les communistes les plus radicaux - les spartakistes - qui est violemment réprimée.
• En Hongrie, c'est Bela Kun qui met en place une République des conseils de mars à juin 1919. Une structure semblable est mise en place en Bavière. Partout, ces mouvements échouent, mais la vague révolutionnaire ébranle profondément les sociétés.
• En Italie, certains nationalistes sont insatisfaits du non-rattachement au pays de la ville de Fiume. En 1919, le poète Gabriele d'Annunzio prend la ville, avec des compagnies d'anciens combattants, les « Arditi » et y établit un État d'inspiration nationaliste, qui sera finalement rattaché à l'Italie en 1924 par Mussolini.
2. La lutte contre la Russie bolchevique
• La lutte contre la Russie bolchevique s'organise. Après le traité de Brest-Litovsk, les Allemands ont fait proclamer l'indépendance d'États-nations démembrés de la Russie.
• Ceux-ci ont été reconnus lors du traité de Versailles et s'engagent dans la lutte contre l'URSS, qui souhaite les réincorporer à son territoire. Il s'agit de la Pologne, des Pays baltes, de la Finlande. L'Ukraine a également proclamé son indépendance, de même que les républiques du Caucase. Ces États servent de base aux troupes russes « blanches », soutenant le tsar ainsi qu'aux corps expéditionnaires français et britanniques qui luttent contre l'Armée rouge dirigée par Trotski.
• Le renforcement par Lénine du « communisme de guerre » et la désorganisation des armées blanches conduisent en 1921 à la victoire des « Rouges » qui récupèrent le Caucase et l'Ukraine.
3. La poursuite de la guerre en Orient
• Au Moyen-Orient, les conflits continuent. En Turquie, les clauses du traité de Sèvres sont refusées par le nouveau chef de l'État-nation turc, Mustafa Kemal. Après trois ans de guerre, il parvient à faire adopter un nouveau traité, celui de Lausanne, en 1923. L'espoir des Kurdes et des Arméniens d'obtenir un État est abandonné et les deux millions de Grecs vivant dans le pays sont expulsés, échangés avec 500 000 Turcs vivant en Grèce.
• Dans les territoires arabes, les espoirs d'indépendances sont déçus. Les Anglais et les Français se partagent les territoires sous la forme de mandats de la Société des nations (SDN) : la France reçoit le Liban et la Syrie, la Grande-Bretagne l'Irak, la Jordanie et la Palestine. Les lieux saints de l'Islam, La Mecque et Médine, passent sous contrôle de l'Arabie saoudite.
Exercice n°3Exercice n°4
III. La mémoire de la guerre et ses enjeux
1. Transformer les relations internationales
• Un des objectifs de Wilson était de sortir du cadre de relations internationales servant les intérêts de chaque puissance. Il propose en 1918, dans ses quatorze points, la constitution d'une organisation internationale. Toutefois, s'opposant au président et menant une politique isolationniste, le Sénat des États-Unis refuse de ratifier le traité de Versailles et de faire adhérer le pays à la future Société des nations (SDN). Celle-ci est malgré tout instituée le 10 janvier 1920. Ses principes comportent l'idée de sécurité collective et de prévention des conflits. Mais ni les puissances vaincues ni les États-Unis n'en font partie.
• La transformation des relations internationales provient donc surtout d'initiatives de rapprochement entre les nations. Les Anglo-Saxons mènent une politique de conciliation avec l'Allemagne sur la question des réparations, dont les paiements sont rééchelonnés. Le but est d'éviter un trop grand affaiblissement de l'Allemagne pour éviter qu'une révolution communiste y ait lieu. Après une période où elle tente de faire appliquer strictement le traité de Versailles, par exemple en faisant occuper la Ruhr en 1923 à cause de retards de livraisons allemandes du charbon prévu dans le cadre des réparations, la France se rapproche de l'Allemagne. À partir de 1924, Aristide Briand et Gustav Streseman renouent un certain dialogue. En 1926, l'Allemagne entre dans la SDN.
2. Commémorer pour éviter les conflits
• Dans la plupart des pays, l'attitude qui domine est toutefois celle du recueillement et du souhait de ne pas voir se répéter les horreurs de la guerre. Le défilé des « gueules cassées » le 14 juillet 1919 témoigne de cette volonté de montrer l'atrocité de la guerre. En France, chaque commune se dote progressivement d'un monument aux morts portant le nom des morts et, le 11 novembre 1920, l'État fait placer sous l'Arc de triomphe la dépouille d'un soldat inconnu symbolisant le combat héroïque de la nation.
• Les artistes témoignent de cette construction des mémoires combattantes ou civiles. C'est le cas de l'Allemand Otto Dix avec Les Joueurs de skat ou son triptyque La Guerre.
3. L'héritage des brutalisations
• La guerre a également contribué à la brutalisation des sociétés. Confrontées à la vie au front, aux difficultés de l'arrière ou des zones occupées, marquées par les vagues révolutionnaires et l'émergence d'une violence politique nouvelle, notamment en Russie soviétique, les populations européennes sont rendues plus sensibles à des discours radicaux et à l'idée de revanche.
• Ainsi, la Première Guerre mondiale, par son impact et par son règlement qui ne satisfait pas certains pays, notamment la Russie, l'Allemagne et l'Italie, a profondément façonné le contexte d'émergence des totalitarismes et mouvements dictatoriaux des années 1920 et 1930.
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