États et religions : une inégale sécularisation


Fiche

Le rapport entre États et religions est lié à plusieurs éléments. D'une part, le cadre législatif. L'État peut avoir une religion d'État, ou plusieurs, ou bien adopter une position de neutralité relevant de la laïcité. Toutefois certains pays à religion d'État peuvent avoir une grande tolérance religieuse, alors que des États officiellement laïcs peuvent favoriser certaines religions, en persécuter d'autres, voire les interdire. Cependant, le rapport à la religion d'une société (religiosité intense ou sécularisation, profonde tolérance religieuse ou intolérance) influe également sur celui de l'État. La sécularisation est une diminution du sentiment religieux au sein de la société. Actuellement, on note, dans le monde, des situations très différentes suivant les régions. Dans certains cas, les liens entre l'État et la religion sont intenses et se renforcent, dans d'autres cas, ils se distendent.
Les États à religion officielle
Les États à religion établie
Un premier type d'État est formé par ceux qui possèdent une religion officielle, appelée aussi religion établie. Dans ceux-ci, elle est considérée comme étant décisive dans l'identité de la nation. C'est le cas de l'islam dans 26 pays, du christianisme dans 16 pays, du bouddhisme dans 7 pays. Cette situation est l'héritage des époques médiévales et modernes où le pouvoir religieux et le pouvoir politique entretenaient des rapports étroits. Ces derniers peuvent prendre des formes très variées. Dans certains cas, la présence d'une religion d'État s'accompagne d'une liberté de culte, même si la religion du souverain doit nécessairement en faire partie. C'est le cas en Grande-Bretagne, pour l'anglicanisme, ou de la Suède pour le luthéranisme. Dans d'autres, la présence d'une religion d'État implique des restrictions pour les autres cultes, voire leur interdiction, comme en Arabie Saoudite. Dans certains États, il n'y a pas de religion d'État mais une religion ou plusieurs religions sont reconnues et, parfois, certaines sont favorisées par des lois fiscales, par exemple.
La liberté religieuse
La question de la liberté religieuse se pose dans certains États mais elle dépasse la simple question de la présence ou non d'une religion d'État. La conversion d'un musulman à une autre religion peut ainsi conduire à la peine de mort dans 11 pays et est passible de poursuites dans 11 autres. Les persécutions des minorités religieuses peuvent avoir lieu dans des pays à religion officielle, mais aussi dans des pays laïcs, car elles dépendent de l'existence de pressions sociales, ou encore de l'émergence de mouvements fondamentalistes.
Les États face aux persécutions religieuses
Les persécutions frappent actuellement dans le monde surtout les chrétiens, notamment en Afrique sahélienne, comme dans le nord du Nigeria face aux combattants de Boko Haram, mais aussi en Asie, comme face à l'émergence du nationalisme indien. En Birmanie, la minorité musulmane des Rohingyas est victime de persécutions de la part des mouvements bouddhistes radicaux. Dans tous ces cas, des facteurs sociaux, politiques et économiques entrent en ligne de compte.
Exercice n°1
Les variantes de la laïcité
La laïcité de séparation
Estampe anonyme célébrant l'Être suprême
États et religions : une inégale sécularisation - illustration 1
Un État peut également faire le choix de la laïcité. Il s'agit du choix de la neutralité en matière de religions. L'État ne reconnaît aucun culte officiel. Cette laïcité peut être hostile à une religion, comme ce fut le cas en France en 1793, où, pendant la Terreur, le culte de l'Être suprême fut institué comme religion officielle en lieu et place du catholicisme. C'est le cas également dans le monde communiste : la liberté de culte proclamée par la Constitution soviétique de 1935 ou par celle de la République populaire de Chine s'accompagne d'un athéisme d'État et d'une persécution des croyants. Mais la laïcité peut aussi être le cadre respectueux des croyances de chacun dans sa vie privée, dans le contexte d'une séparation des religions et de l'État. L'État garantit ainsi la liberté religieuse. En France, ce type de laïcité est mise en place en 1905. D'abord hostile à l'influence du culte catholique, la laïcité française est devenue, après la Première Guerre mondiale, un cadre accepté et qui permet d'accompagner la sécularisation et la diversification des croyances en France depuis les années 1950.
La laïcité en Turquie : les religions sous le contrôle de l'État
La laïcité s'inscrit dans des contextes différents. La Turquie fait l'expérience, depuis 1924, d'une laïcité dans le contexte d'un pays de culture essentiellement musulmane sunnite. Arrivé au pouvoir l'année précédente, Mustafa Kemal Atatürk engage le pays dans un processus de modernisation et d'occidentalisation : adoption d'un alphabet latin, mise en place d'un Code civil en remplacement de la charia, progrès des droits des femmes. La laïcité inspirée de l'expérience française fait partie de ce projet. En 1924, le califat est aboli. Le culte musulman sunnite passe sous le contrôle de l'État, qui nomme les imams et contrôle leur discours pour qu'ils n'entrent pas en contradiction avec le pouvoir nationaliste. La laïcité turque est donc une laïcité de contrôle de la religion majoritaire. Les religions minoritaires (christianisme, judaïsme) voient leurs droits garantis, mais le nombre de leurs fidèles diminue fortement tout au long du xxe siècle pour des raisons politiques. La population chrétienne du pays a fortement diminué après le génocide arménien de 1915, l'expulsion de la population grecque orthodoxe (1,3 million de personnes, dans le même temps, 500 000 Turcs musulmans étaient expulsés de Grèce) en 1923 après le traité de Lausanne, puis de celle d'Istanbul après les crises sur le statut de Chypre dans les années 1950 et 1970. La laïcité turque s'applique donc dans le cadre d'un pays à 99 % musulman. La présence à Istanbul du patriarcat œcuménique, primat d'honneur du christianisme orthodoxe, soulève également des questions, le gouvernement turc souhaitant que son autorité soit limitée au territoire turc, la laïcité de contrôle marquant ainsi également le christianisme orthodoxe.
Les États-Unis : laïcité et reconnaissance du rôle social des religions
Aux États-Unis, la laïcité est une laïcité de reconnaissance. Depuis sa fondation, le pays est laïc et Jefferson parlait, en 1802, de « mur de séparation » entre État et religions. Il est fait référence à l'idée de Dieu dans la Constitution des États-Unis, mais ce n'est le Dieu d'aucune religion en particulier. Le serment du président fait sur la Bible est seulement un usage. Cette laïcité s'est imposée dès 1787 car les États-Unis sont nés dans un contexte de pluralisme religieux : si les catholiques sont longtemps tenus à l'écart du pouvoir, il existe de nombreuses Églises protestantes dans le pays et il convient, pour conserver la paix civile, de ne pas en favoriser une. Toutefois, l'existence du fait religieux dans l'espace public est reconnue et prise en compte. À l'échelle des États, la laïcité s'est imposée plus lentement, de la fin des années 1880 jusqu'en 1947. Certains États sont en effet très marqués par la présence d'une famille religieuse spécifique : baptistes de la Bible Belt dans les États du Sud, épiscopaliens issus de l'Église anglicane sur la côte est, catholiques dans les Grands Lacs et en Californie et mormons en Utah occupent une place importante dans l'espace social.
Exercice n°2Exercice n°3
Entre sécularisation et renforcement du poids du religieux
Laïcité et religiosité : l'exemple de la Turquie
Le poids du religieux dans la société influence également son rapport avec l'État. Ainsi, dans le monde musulman, même dans les États laïcs, comme la Tunisie ou la Turquie, l'impact social de la religion s'est réaffirmé depuis les années 1970. La pratique religieuse et l'adhésion à l'islam politique étaient généralement la seule forme d'opposition possible à des régimes autoritaires se revendiquant d'une certaine idée de la laïcité. Pendant la même période, l'influence de l'islam wahhabite, promu depuis les pétromonarchies, s'accroît, conduisant à une réislamisation des sociétés. En Turquie, depuis 2002, un parti religieux, l'AKP, est au pouvoir. Il maintient le cadre de la laïcité, mais assouplit les mesures qui séparaient loi religieuse et loi civile : le port du voile est à nouveau autorisé à l'université, et la vente d'alcool connaît des restrictions.
Laïcité et conservatisme religieux : le cas des États-Unis
Aux États-Unis également, des mouvements religieux conservateurs tentent d'influencer le pouvoir. Dès le début du xxe siècle, l'État fédéral intervient dans certaines affaires pour rappeler le principe de laïcité. Ce fut le cas lors du « procès du singe », en 1925, où, dans le Tennessee, l'instituteur John Thomas Scopes fut accusé d'enseigner la théorie de l'évolution, alors que la loi imposait que les enseignants ne contredisent pas le texte biblique dans leurs cours. Pendant la guerre froide, les mouvements religieux conservateurs, notamment protestants évangélistes, ont soutenu les candidats à la présidence favorables à une ligne dure face au monde communiste, favorisant ainsi l'élection de Ronald Reagan en 1980. Les mouvements conservateurs ont également soutenu l'élection de George W. Bush et, en partie, de Donald Trump. Leur action a surtout pour but, actuellement, d'entraver l'inscription dans la loi des évolutions sociétales liées à la sexualité ou à la famille qu'ils considèrent comme contraires au message biblique. Certains médias comme Fox News ont parfois relayé quelques-uns de leurs thèmes. Aujourd'hui, leur influence semble de plus en plus en plus limitée, face au progrès de la sécularisation aux États-Unis, où la part des personnes ne se reconnaissant pas dans l'affiliation à une religion atteint aujourd'hui 23 %. De plus, l'intervention des institutions juridiques fédérales, comme la Cour suprême, limite l'influence des groupes et lobbies religieux conservateurs en rendant des jugements favorables à l'esprit de la laïcité.
Exercice n°4Exercice n°5
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