Affirmation des fonctions non agricoles et conflits d'usages


Fiche

Les espaces ruraux sont de plus en plus marqués par la multifonctionnalité. Les frontières entre les espaces ruraux et les espaces urbains sont parfois moins nettes : les espaces ruraux sont marqués non seulement par l'agriculture, mais aussi par l'industrie et le tourisme et par les fonctions résidentielles. Ces redéploiements fonctionnels conduisent à des concurrences entre les différents acteurs, mais placent les espaces ruraux à la croisée des chemins : les nouvelles fonctions peuvent être une aubaine pour certains espaces, mais elles accroissent également les conflits entre les usages. La question de la possession et de l'occupation des terres, les conflits d'usages montrent la manière dont s'articulent aujourd'hui les espaces ruraux et les métropoles.
I. L'affirmation des fonctions non agricoles dans les espaces ruraux
1. Industries et campagnes
Les espaces ruraux sont aussi des lieux dans lesquels existent des activités industrielles. L'exploitation forestière fait désormais partie d'une filière très industrialisée. Les activités d'extraction des matières premières ont le plus souvent lieu dans des espaces ruraux, telles les mines en Amérique latine, souvent à ciel ouvert. Si ces activités entraînent souvent la transformation des espaces ruraux en espaces urbains, elles ne se traduisent pas systématiquement par une sortie de la ruralité. Ainsi, au Canada, l'exploitation forestière est réalisée sur un mode extensif et s'exerce dans des zones de faibles densité de population.
• Les espaces ruraux peuvent également représenter des opportunités pour les entreprises. La main-d'œuvre y est souvent moins chère que dans les espaces urbains, et certains espaces ruraux proches des villes ou bien accessibles voient ainsi se développer des tissus industriels plus ou moins denses. C'est le cas des régions rurales de la Chine de l'Est, mais aussi des espaces ruraux du sud des États-Unis. La plupart des ménages de ces régions pratiquent la pluriactivité, qui permet de disposer de meilleurs revenus. Une situation qui, par ailleurs, n'est pas nouvelle : en Toscane, dès le Moyen Âge, la prospérité des villes est liée à la production, dans les campagnes, des plantes tinctoriales destinées à l'industrie textile, dont les premières étapes étaient réalisées dans les campagnes.
2. Campagnes et villes
Fonctions urbaines et fonctions rurales apparaissent donc comme étant liées. Les espaces ruraux sont des lieux importants de déploiement des infrastructures qui, servant également aux espaces ruraux, sont surtout destinées aux grandes villes. On peut citer les infrastructures de transport, autoroutières ou ferroviaires, qui laissent dans la plupart des cas les espaces ruraux dans une situation d'effet tunnel. Mais, là où se trouvent les sorties, on constate souvent un bourgeonnement de pluriactivités. Les barrages, comme celui des Trois Gorges, en Chine, s'inscrivent dans les espaces ruraux, tout comme nombre d'infrastructures à risque ou polluantes. Les centrales nucléaires, souvent implantées dans des zones de faible densité en raison des risques, se trouvent dans des zones rurales. Il en va de même pour les structures de stockage des déchets. Dans ces cas, les acteurs urbains décident souvent de ces implantations au nom de l'intérêt général.
• Les espaces ruraux sont également, de plus en plus, des lieux de résidence pour les urbains. De manière constante, avec la rurbanisation, ou sous la forme de résidences secondaires.
3. Campagnes, tourisme et espaces récréatifs
• Les campagnes connaissent également une importante diversification avec le développement des activités touristiques et récréatives. Elles permettent une tertiarisation des activités tout en maintenant les caractéristiques apparentes de la ruralité. Cela se fait souvent au prix d'une transformation des traditions vivantes en folklore proposé aux touristes, l'authentique devenant parfois un produit marketing.
• Les richesses du patrimoine rural sont parfois mises en valeur par des circuits et des voyages thématiques, qu'il s'agisse de patrimoine bâti, naturel ou culturel. C'est le cas en Toscane.
II. Des conflits d'usages entre les différents acteurs des espaces ruraux
1. Des incompatibilités
Certaines de ces activités entrent en conflit. Les parcs naturels, les parcours nature, l'accès aux grands sites nécessitent des infrastructures, mais s'accommodent de la visibilité de celles-ci dans les paysages. Dans certains parcs, une partie de la population accuse cette structure de freiner le développement économique. De même que la préservation de certaines espèces, comme les loups, qui peuvent s'attaquer aux troupeaux, ce qui nécessite la mise en place d'un système de compensations.
• Dans les espaces ruraux confrontés à la croissance urbaine, la pression foncière sur les sols conduit à une déprise agricole et à une transformation sociologique importante. Les néoruraux, ou les propriétaires de résidences secondaires ayant une image des espaces ruraux différente de leur réalité. Ainsi, en France, des plaintes sont déposées contre le chant du coq ou la sonnerie des cloches de l'église, et certains maires ont décidé de proposer le classement des bruits ruraux au titre du patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'Unesco.
• Entre les activités agricoles intensives, les industries et parfois le tourisme, des tensions existent pour les usages de l'eau, en été, dans des régions comme l'Andalousie, marquée par l'aridité. L'implantation d'infrastructures, l'artificialisation des sols peuvent poser des problèmes environnementaux.
2. Des conflits d'échelle
• Ces différentes situations peuvent conduire à des conflits à plusieurs échelles. À l'échelle internationale, les espaces ruraux constituent un enjeu pour certaines puissances. Les fronts pionniers en Indonésie ou au Brésil sont destinés à mettre en valeur de nouvelles terres agricoles ou à exploiter de nouvelles ressources minières, avec des conséquences souvent graves pour l'environnement.
La possession des terres agricoles est aussi un enjeu pour les pays qui en manquent. La Chine, la Corée du Sud ou encore des pétromonarchies acquièrent d'importantes terres agricoles dans des pays africains afin d'y introduire des cultures destinées à l'exportation, au détriment des consommations locales (langbrabbing).
• À l'échelle nationale, se pose également le choix de la filière agricole. Dans les pays du Sud, la question de l'orientation par l'État ou les FTN de la production agricole est une question politique. En Amérique latine, les pays marqués par le bolivarisme, comme le Venezuela et la Bolivie, tendent à soutenir plutôt une redistribution des terres, dans la lignée des réformes agraires des années 1960 et 1970, afin de trouver un équilibre entre cultures vivrières, exportations et juste rémunération des exploitants, alors que d'autres, comme le Brésil, favorisent plutôt l'exploitation de leurs espaces agricoles par des grandes FTN.
• Dans l'Union européenne, les directives dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) subventionnent et orientent les productions, créant un échelon supplémentaire entre État, entreprises du secteur agroalimentaire et agriculteurs, et conditionnent les évolutions des paysages.
3. Des espaces ruraux plurifonctionnels
La dimension plurifonctionnelle des espaces ruraux apparaît comme essentielle dans certains pays en voie de développement. En Inde, l'importante population rurale a été marquée par la révolution verte qui a permis l'autosuffisance du pays. Toutefois, cette ambition n'a été possible que grâce à des transformations profondes des espaces ruraux, la création d'infrastructures. Celles-ci ont parfois été concertées avec les habitants, mais elles apparaissent souvent comme une volonté d'intrusion de l'État dans des processus autrefois gérés à l'échelle locale.
• Dans certaines régions, les concertations entre les différents acteurs permettent des synergies qui profitent aux espaces ruraux tout en renforçant leurs liens avec les métropoles. En Toscane, par exemple, la valorisation des territoires ruraux par le tourisme et les activités liées aux productions agricoles de qualités (labels DOC) passe par une volonté de préserver les paysages et les activités traditionnelles, dans des structures telles que les agritourismes. Cependant, la plupart de ces aménagements sont liés au semis très dense de villes historiques en Toscane et à l'arrivée massive de touristes essentiellement urbains. La préservation des formes de paysages ruraux est nécessaire pour que ceux-ci trouvent dans la région les aspects véhiculés par la promotion touristique.
Les espaces ruraux sont également des environnements fragiles. Le maintien d'une « ceinture verte » est souvent un enjeu dans les métropoles, avec la difficulté de ne pas brider leur croissance. Le « cœur vert » de la métropole de la Randstad Holland, aux Pays-Bas, constitue un autre cas : dans cet espace rural préservé se trouve l'aéroport de Schiphol, le plus important du pays. Parfois, ce sont les contraintes des infrastructures qui maintiennent dans les villes des poches de ruralité. On peut prendre pour exemple le triangle de Gonesse, dans la région Île-de-France, situé dans l'axe de l'aéroport Charles-de-Gaulle, dernière poche d'activités agricoles au sein de l'agglomération parisienne, et concerné aujourd'hui par un projet d'aménagement commercial, compte tenu de sa localisation et de la hausse de la valeur foncière. Dans le maintien d'une activité agricole rentable, la question des intrants chimiques pose également question. Une partie des nouveaux agriculteurs a ainsi orienté une partie de leur production vers les agricultures biologiques.
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